Environnement - Négawatt, entre utopie écologique et réalisme économique
L’association Negawatt a publié son scénario 2011 pour une sortie du nucléaire et une évolution de la consommation énergétique en France. Utopie pour certains, réaliste pour d’autres…Qu’en est-il réellement ?
Le document de cette association est de présenter des pistes pour sortir du nucléaire et améliorer l’efficacité énergétique de la France et de la comparer à l’évolution naturelle, appelée “tendanciel”. Tout le document montre les deux résultats, le scénario négawatt cumulant le résultat de toutes les politiques possibles, sans apporter de coût économique en face. Ce point explique le fait qu’on traite le projet d’utopie. Pourtant, si l’on utilise correctement le rapport, il est une base intéressante pour mieux définir les axes de progrès en fonction de leur apport à l’économie d’énergie. Chacun devra alors mettre en face le coût des mesures pour, par exemple, définir les choix de sources d’énergie dans le cadre d’un débat national.
Le second problème du document est de se focaliser sur deux points majeurs : la sortie des énergies fossiles et la sortie du nucléaire. Le modèle utilisé est une France indépendante de l’extérieurà l’image d’un calcul théorique de rendement énergétique. Le facteur économique n’étant pas pris en compte, l’impact du document s’en trouve réduit. C’est pourtant un point essentiel qui peut influencer les mentalités et permettre ou non de valider les politiques choisies. Ainsi la sortie des énergies fossiles et du nucléaire ne seront validables qu’en montrant qu’il y a aussi un fort risque de renchérissement de ces énergies à travers la fourniture de matière première, le problème des déchets, la géopolitique.
Voyons maintenant les éléments de calcul et les pistes choisies.
- Pour la consommation énergétique des logements : L’objectif est de passer à 40KWh/m2 pour les rénovations et à 15KW/m2 pour les nouveaux logements. Rappelons qu’en 2012, nous passons à 50KWh/m2 pour les nouveaux logements et que la moyenne est à environ 240KWh/m2 pour l’ancien, l’estimation étant même basse avec le laxisme de la norme. Ce n’est donc pas par 4 mais par 6 qu’il faudrait diminuer l’ensemble du parc immobilier avec des coûts très variables, des mesures anarchiques et beaucoup d’ignorance (volontaire ou pas…) de la part des professionnels du chauffage et du bâtiment. Mais le vrai blocage sera sur les mentalités où la somme investie dans les travaux doit se retrouver dans les économies réalisées. Les acheteurs de voitures hybrides le font plus pour la consommation que pour les grammes de CO2. Seule une politique très volontariste permettrait un résultat aussi mirobolant, la diminution de 40% étant plus envisageable lorsqu’on regarde le niveau déjà atteint par nos voisins allemands. La vision réaliste est donc plus proche du tendanciel que du scénario avec une moyenne à 150kWh/m2 et un décrochage plus lointain pour atteindre ces objectifs.
- Concernant les transports, le scénario se base sur une évolution des modes de vie avec une utilisation moindre de l’automobile. Cela sous entend aussi une évolution dans la consommation des ménages qui font plus leurs courses en supermarchés, situés en périphéries des grandes agglomérations. Ce type de comportement est très différent en France de celui de nos voisins européens qui ont souvent des commerces de taille moyenne plus proches de leurs domiciles et viennent plus souvent pour de plus petites quantités. Le scénario parle aussi de l’utilisation de biogaz, un carburant renouvelable mais pas forcément plus efficient en terme de rejet de CO2. A l’heure où l’on parle d’aéroport à Nantes, le sujet de la plateforme multimodale est peu abordée dans le transport et la France est sous exploitée malgré une position privilégiée. C’est un axe où Négawatt n’insiste pas assez, même s’il est lié au sujet suivant.
- L’industrie est aussi très consommatrice mais paradoxalement, c’est un des postes où la France a fait plus de progrès que l’Allemagne dans la même période. Il reste évidemment des gisements et les normes environnementales comme l’ISO14001 peuvent aider à les mettre en place mais ne fixent aucun objectifs. Mais le scénario Négawatt parle d’autres pistes comme l’emballage, l’obsolescence programmée et la réparabilité. Le modèle choisi d’une France autosuffisante entre en conflit avec ces notions car, hélas, les produits concernés sont de plus en plus rarement fabriqués en France. L’hypothèse Négawatt ne serait valide qu’en cas de localisation des productions sur notre territoire. Celle-ci ne pourrait être impulsée que si, par exemple, l’Europe poussait à des réglementations plus strices sur ces sujets et pour une taxation carbone sur les transports. Pour l’Automobile, on parle d’une baisse de 30% des matériaux, en consommation énergétique. Les démarches entreprises par les constructeurs en recyclabilité, consommation d’eau et d’énergie à la production ou diminution de la masse vont dans ce sens. Le chiffre paraît donc réaliste dans ce cas.
- Le scénario Négawatt parle aussi de l’agriculture avec une diminution du cheptel et de l’agriculture intensive, poussée par un changement de consommation avec moins de protéines animales, moins de lipides, moins de lait, moins de glucide. Nous ne pouvons qu’adhérer au scénario mais aller vers le végétarisme n’est envisageable que par une politique d’un état affranchi des lobbies de l’agroalimentaire et de la médecine. Nous en sommes très loin et pourtant en 50 ans, c’est l’effet inverse qui s’est produit. Le modèle est viable économiquement pour cette industrie mais pas encore dans les mentalités.
- Un des points essentiel du projet qui s’étend sur 2012-2050 est la meilleure répartition des activités sur le territoire afin de limiter la mobilité. Le facteur prix de l’immobilier pousse de plus en plus la population dans les banlieues plutôt que les centre villes, rendant les trajets plus longs. Face à cela, le coût du carburant augmente mais ne freine que modérément, sur une période d’environ 6 mois, les déplacements, le temps que l’utilisateur intègre ce nouveau prix. Améliorer la répartition sur le territoire c’est rendre plus accessibles les commerces, les services, ce qui est exactement l’inverse de la politique menée actuellement. Le décrochage très net et rapide du scénario est donc irréaliste même si le potentiel est réel.
Sur ces points, Négawatt a donc une vision réel des axes de progrès mais utopique dans leur progression car ils sont extrèmement dépendants de politiques volontaristes, coûteuses et dépendantes de l’extérieur. La situation économique ne plaide pas pour cela avec des industries pensant au profit immédiat et pas au long terme.
Voyons maintenant l’évolution des sources d’énergie : Négawatt liste les sources possibles et n’en oublie aucune, insistant sur le fait que la France est privilégiée pour l’hydroélectricité, ses côtes pour l’énergie maritime, la possibilité du recours à l’éolien dans les zones venteuses, le solaire thermique, totalement sous-exploité et laissé pour compte par NKM et la biomasse dont nous avons déjà parlé il y a quelques semaines. Là encore, Négawatt est réaliste sur les possibilités d’évolution mais moins dans la rapidité de l’évolution qui comprend un temps de l’instance pour l’installation de ces moyens, même avec une politique rapide et efficace. Le cas des pays nordiques le prouve avec des politiques lancées il y a plus de 10 ans et qui ont porté leur fruits petit à petit avant de réellement prendre de l’importance.
Négawatt se base évidemment sur tous les points précédents pour bâtir un scénario de transition énergétique, un abandon du fossile et du nucléaire d’ici à 2050. Même dans sa vision la plus utopique, certaines phases montrent un manque d’énergie produite, sachant que nous importons déjà de l’électricité dans les périodes de fortes consommation. Car le scénario Négawatt, comme tous les autres et ceux d’Areva compris, lisse le besoin annuel sans tenir compte des pics. Des évolutions sont possibles pour améliorer cette dépendance aux saisons et mettre en place des “réseaux intelligents”. Ce dernier aspect est abordé dans la déperdition d’énergie à la production et à la distribution.
Deux schémas très complexes à lire résument le tendanciel et le scénario Négawatt. S’ils sont inexploitables en l’état par des politiques, ils ont le mérite de montrer les relations entre tous les éléments cités. Les deux ne sont pas viables et c’est entre les deux que nous devrons choisir d’aller selon nos moyens. A l’heure actuel, il n’est pas réaliste de dire que le scénario Négawatt valide des sorties immédiates du fossile et du nucléaire, tant le retard pris est conséquent. Le Grenelle de l’environnement est l’arbre qui a caché la forêt et le peu de mesures prises sont des gouttes d’eau dans un océan de mesures. La démarche Négawatt, aussi criticable soit-elle, permet de prendre conscience de l’absence de politique volontariste et concertée dans le domaine énergétique. Pour faire évoluer nos mentalités, il faudra la rendre lisible, présenter des cibles chiffrées et réalistes économiquement, la réponse de nos politiques et industriels étant le plus souvent : NON, c’est trop cher.
Car non, ce n’est pas forcément cher si les dépenses deviennent des gains sur 30 ans. Quelques exemples :
- la diminution de la filière ovine ne veut pas forcément dire disparition des éleveurs mais évolution du métier vers d’autres filières par la diversification, augmentation de la qualité et du prix de vente et proximité du consommateur.
- Les emplois des sous-traitants du nucléaire sont déplacés vers le démantèlement et le retraitement tandis que les autres filières énergétiques absorberont les emplois de production et de distribution.
- La diminution des hypermarchés en périphérie permettra de relocaliser des emplois dans les villes et villages et diminuer les déplacement domicile-travail en plus de ceux domicile-commerce. Ces même commerces devront limiter les livraisons à des filières locales, baissant ainsi leurs coûts de transport et diminuant les marges des intermédiaires.
Ce ne sont que quelques exemples des possibilités qui sont trop souvent balayées du revers de la main. Le scénario Négawatt ne sera accepté qu’avec cet aspect économique sinon nous aurons encore droit à : “L’écologie, ça va comme ça….” (N. Sarkozy)