Automobile - Carlos Ghosn, une oeuvre en trompe-l’oeil
Figure emblématique de l’industrie automobile, Carlos Ghosn a souvent été au cœur de la tourmente et montre un remarquable don pour… rester en poste. Pour autant, il serait bon de se pencher sur le bilan d’un homme en poste chez Nissan depuis 2000 et chez Renault depuis 2005.
Carlos Ghosn est considéré comme l’homme du redressement de Nissan. En effet, lorsqu’il prend les rênes de la marque japonaise, elle est au bord du gouffre, exsangue, à l’image ringarde. Le « cost killer » tranche dans le vif, se séparant des filiales les moins compétitives, gelant ou réduisant les salaires, fermant des usines au Japon même et créant un électrochoc dans une société très hiérarchisée et traditionnelle. L’année suivante, Nissan repasse dans le vert et la success-story semble se poursuivre : en dehors des années noires de 2008-2009, Nissan est toujours à plus de 300 milliards de Yens de résultats nets.
Ghosn a succédé à Louis Schweitzer en 2005 à la tête de Renault. Schweitzer est l’homme qui a relancé Dacia avec le succès que l’on connaît, mais pas celui d’un renouveau chez Renault. Car si certaines Dacia se retrouvent sous le badge Renault à l’export, les modèles véritablement Renault ont été cannibalisés par la marque roumaine et donnent ainsi un bilan en trompe-l’œil.
Résultat : la progression de Renault n’apparait pas si catastrophique et Nissan semble florissant. Mais il faut aller un peu plus loin et considérer la part du marché mondial :
Apparaît clairement que Renault s’érode et que Nissan plafonne, bien que 2010 ait été une excellente année. En effet, Nissan est très en retard sur les marchés émergents par rapport à ses concurrents asiatiques et ne doit son embellie qu’à un marché américain retrouvant le moral et à de bonnes surprises sur les marchés nord-européens et indiens, plus récemment. En effet, coté produit, Nissan brille surtout par des modèles de niche que des modèles de masse, mais avec une bonne adaptation aux goûts du moment : le SUV Quashquai, le Juke ou encore les X-Terra et autres SUV moyens US. Seule exception, le bon accueil de la grosse berline Altima sur le marché US dont une version hybride très performante existe ou la petite March/Micra, conçue maintenant pour l’Inde et l’Asie du Sud est plutôt que pour l’Europe et le Japon.
La politique produit de Ghosn montre son côté étrange avec d’un coté un discours disant que Renault ne doit pas faire d’hybride, car pas rentable (effectivement, sur le marché européen, c’est en 2011 que ça décolle, en dehors de Toyota) et de l’autre un investissement sur l’Hybride très tôt coté Nissan. La synergie entre les deux marques n’a pas aidé beaucoup Renault à s’implanter en Chine, en Inde ou même à reconquérir les États-Unis où Nissan est très présent. Renault n’a eu droit qu’au véhicule électrique pour faire le buzz, plus que pour faire baisser de beaucoup le CO2. Côté produit, rien n’est venu éclairer la marque : des renouvellements plus ou moins réussis, des abandons du haut de gamme, une gamme sportive reconnue, mais cantonnée aux compacts.
Mais là où Ghosn montre sa vision court-moyen terme, c’est sur la déplorable politique qualité des deux marques. Autrefois n°2 ou n°3 japonais en qualité, dans le top 10 des marques les plus fiables, Nissan a sombré peu à peu dans les profondeurs du classement. Le dernier classement Autobild de la qualité automobile en Allemagne est édifiant : Nissan est 15e sur 20 et bon dernier des japonais. Le cabinet JD Power, dans son classement annuel américain de référence, ne met des modèles Nissan que dans les catégories des gros SUV. Au classement par marques, Nissan est bien en dessous de la moyenne, avant dernière marque japonaise. La qualité a un coût et les Allemands s’en rendent aussi compte sur leurs fabrications américaines qui pâtissent d’une mauvaise image qualité. Pire encore, Infinity, la marque de luxe de Nissan, est moins bien classée et très loin des références Lexus et Acura (Honda). Il se dit d’ailleurs que Ghosn aurait voulu la supprimer avant de se raviser récemment. Côté Renault, les progrès enregistrés dans les années 90 paraissent bien loin. La crise Laguna ne s’est pas reproduite, mais le label « Qualité Renault » tient plus du marketing que de la réalité.
Sur le long terme, cette dégradation de l’image peut contrevenir aux ventes. Les dernières Nissan (Micra, Tiida) n’ont rien de très glamour, mais montrent une optimisation du coût comme un leitmotiv. Pas étonnant alors que le client Nissan puisse se retrouver chez Hyundai ou Kia, marques qui cumulent une qualité en nette progression (au top il y a 2 ans en Allemage) et des résultats florissants. Cette fuite en avant peut avoir une incidence sur le long terme face à des concurrents champions du low cost. Pas sur alors que le partenariat en Chine avec Dong Feng (comme PSA qui a aussi un autre partenaire), suffise à sauver Nissan et la tête de Ghosn surtout que ce partenaire souffre d’une mauvaise image… qualité. Sauf que d’ici là, il sera peut-être à la retraite laissant des cadeaux empoisonnés à ses successeurs.