Economie - Les programmes et cartes de fidélité de la grande distribution, un danger ?
À chaque fois que vous passez à la caisse du supermarché, on vous demande maintenant systématiquement « vous avez la carte du magasin ? ». La promesse de ces cartes de fidélité : bénéficier de réductions. Mais sont-elles si généreuses ? Ne sont elles pas orientées et orientantes ? Ne récoltent-elles pas trop d’informations sur vos comportements d’acheteurs ? une enquête durant… 1 an.
La simplicité avant tout
Rien de plus simple pour demander sa carte : Sur le Web ou à la caisse centrale, on vous demande juste de donner son nom, son adresse, sa profession et, parfois, le nombre de personnes dans le foyer. La remise de la carte est immédiate. J’ai testé pour vous 6 enseignes différentes : Système U, Simply Market (groupe Auchan), Carrefour, Leader Price (groupe Casino), Leclerc, Intermarché. Et parmi ces 6 groupes, un seul n’utilise pas de carte, mais un système de bon d’achat. Tous ces systèmes fonctionnent à la fois en passant à la caisse, en « drive », en caisse automatique, voire même sur le net. Consultable sur internet également, le bilan des points. Même s’il est plus difficile de savoir comment ils sont comptabilisés.
Le gain, oui, mais pour qui ?
Mais ce qui est intéressant, dans une carte de fidélité, c’est le gain proposé au client. La petite carte à tampon du commerçant de quartier est ici bien loin, et les étals des supermarchés sont constellés de messages offrant des points bonus pour tel article ou des remises en euros pour les détenteurs de la carte. Enfin, en euros, en centimes d’euros devrait-on dire. À travers cette démarche promotionnelle, la volonté est d’orienter le client sur certains produits plutôt que d’autres. Et, bien entendu, ce n’est pas sans contrepartie. Est-ce selon la marge, le stock, les accords passés avec le fournisseur ? Sans doute un peu de tout cela, mais c’est sur ce point que les différentes offres diffèrent.
Chez Carrefour (et toutes les enseignes du groupe, Carrefour Market, City), le client se retrouve avec un ticket crédité de quelques centimes à chaque achat des produits bonussés. Il y a bien souvent des produits de marque distributeur, mais Carrefour ajoute aussi des offres limitées dans le temps sur des produits de marque. Et maintenant, Carrefour ajoute des jours de promotions par typologie de produit, même sans la carte. Le gain reste très faible pour le consommateur qui ne jouera pas le jeu de l’enseigne. La politique est similaire chez Leclerc, Système U, Simply Market et Intermarché avec là encore des offres limitées dans le temps sur des produits non pas ciblés sur nos habitudes de consommation, mais ciblés sur les accords commerciaux distributeur-fournisseur ou sur des achats en grande quantité. Les marques distributeur font l’objet de bonus si l’achat est fait en nombre. De quoi pousser à la consommation alors que le prix unitaire paraît raisonnable.
On voit donc bien que ce système ne profite pas tant que cela au client, mais plus sûrement au magasin. Chez toutes ces enseignes, le gain pour le client est très variable selon les périodes et les choix promotionnels de l’enseigne. Ainsin, le gain était fort il y a un an chez Simply Market avant de basculer plus du côté d’Intermarché. Mais attention, les dates d’utilisation des bons d’achat sont très courtes chez cette enseigne. Chez Leclerc, c’est un crédit sur la carte, utilisable à loisir, ce qui est plus pratique et évite de collectionner des tickets dans son portefeuille ou sac à main. Chez d’autres, il faut obtenir un minimum avant d’avoir droit à un bon d’achat. Mais le gain dépassera rarement les 2%, plutôt proche des 0,5-1%.
Enfin, Leader Price est un cas à part, notamment dans le monde des hard-discounter. L’enseigne n’offre pas de carte de fidélité, mais propose de s’inscrire sur son site pour recevoir des bons d’achat hebdomadaires. S’ils ne sont valables que dans le magasin choisi, ils sont souvent très compétitifs, faisant baisser le ticket de près de 10%. Mais c’est à chaque magasin de gérer ces offres et selon la zone géographique, nous aurons de grosses variations.
Utilisation de nos données
À l’arrivée de ces cartes, de nombreuses personnes ont parlé de l’espionnage qu’elles constituaient sur nos pratiques de consommateurs. Elles permettent de mieux cibler des profils d’acheteurs, dans le type de produit acheté, dans les périodes d’achat, etc. Mieux encore, les enseignes ont maintenant mis en place les « scanneuses », ces petits boitiers qui permettent d’enregistrer ses achats pour passer plus vite à la caisse. L’avantage est considérable pour l’enseigne par rapport à la carte, car elles permettent de connaître l’ordre d’achat et le parcours du consommateur dans le magasin. Plus besoin de magasin-témoin et de consulter des cabinets de consultants spécialisés : les données arrivent directement au gérant qui peut ainsi choisir l’implantation des rayons pour orienter le client vers les zones les plus lucratives.
Pour le client, quel est le risque de donner ses habitudes quasi gratuitement ou en échange d’une maigre contrepartie ? En connaissant plus finement les habitudes des clients par magasin, par jour et par saison, il y a risque de voir une modulation des prix pour tirer un maximum de profit. Autrement dit, augmenter de quelques centimes les produits populaires et faire des baisses modérées sur des produits moins vendus. Ajoutons à cela que les prix des concurrents sont constamment observés et c’est donc une guerre qui se joue avec comme munitions et troupes les… données des consommateurs. Ajoutons qu’avec notre email et nos coordonnées postales, notre profil d’acheteur intéresse les publicitaires pour un marketing ciblé. Là encore, les grandes enseignes (ou les sociétés sous-traitantes gérant la carte) pourront revendre leurs fichiers avec un profit considérable
Bilan, après 1 an d’utilisation, nous avons conservé un seul magasin qui répond le mieux à notre profil d’acheteur et nos habitudes. Et finalement, c’est bien cela que visent les enseignes : fidéliser dans leur enseigne et leurs marques. Entre la liberté du choix et la (maigre) rentabilité, le consommateur que nous sommes tous doit faire son chemin, en connaissance de cause. Mais ça, lecteurs , vous l’aviez déjà compris.