Géopolitique - France ou Moyen-Orient, des avis divergents de la majorité ...

Votre modeste serviteur n’a sans doute pas la respectabilité de grandes figures politique ou de la diplomatie dans ses analyses et avis. Pourtant, je retire un certain plaisir à lire des analyses que je partage à 100% et qui rejoignent mes avis.

Le professeur de relations internationales d’Harvard, Stephen Walt, connu pour être à contre-courant de la politique américaine actuelle, y va aussi d’une analyse“Ne donnez pas à l’EI ce qu’il veut”. **Un avis qui utilise justement l’expérience post 11 Septembre 2001.

“Quand un évènement comme l’attaque de Paris arrive, nous savons comment le monde va répondre.Il y aura de la consternation, un élan de solidarité et de sympathie, des discours provocateurs des politiciens et une frénésie médiatique. Malheureusement, ces réactions familières donnent aux terroristes ce qu’ils veulent : De l’attention à leur cause et la possibilité que leurs cibles fassent quelquechose qui aidera leurs buts radicaux

Ce dont nous avons besoin dans de tels moments, ce n’est pas la colère, l’outrage ou montrer du doigt mais une résolution calme, du sang froid, une pensée prudente. […] , nous devons répondre avec nos têtes, pas seulement nos coeurs. Voici 5 leçons à garder en tête lorsque nous réévaluons les dangers et cherchons une réponse efficace.

No. 1: Garder la Menace en perspective

[…] Les morts à Paris, ce 13 novembre, sont tragiques mais il y a eu des incidents similaires, pales en comparaison avec le carnage et l’inhumanité dont l’Europe a souffert en 1914-18 et 1939-45. […] L’europe est aujourd’hui plus riche, libre, sure et plus ouverte, plus égale et plus stable qu’elle n’a jamais été dans son histoire, et ces réalisations ne doivent pas être remises en cause. Si la France et ses voisins tournent le dos à ce qui a été construit en 60 ans, cela sera une victoire pour ses assaillants, qui ne le méritent pourtant pas.

Souvenons nous que d’autres villes ou sociétés ont eu des expériences similaires. New York, Oslo, Londres, Boston, Madrid, Paris, Ankara et plusieurs autres villes ont eu des attaques terroristes ces dernières années, mais en les visitant aujourd’hui nous retrouvons des communautés reconstituées. Alors que nous pleurons nos morts, nous devons savoir que le terrorisme est l’arme du faible et ne peut avoir qu’un impact limité sur sa cible. La Cité des lumières sera là encore longtemps après ceux qui ont ordonné ces attaques et seront oubliés.

No. 2: Accepter que la sécurité à 100% n’est pas possible

Un certain nombre de pays ont répondu aux attaques en fermant les frontières et en prenant des mesures à court terme. Les efforts pour améliorer le renseignement seront pris. Ces étapes ont un sens pour rassurer une population inquiète et aider à limiter de futures actions terroristes.

Mais il n’y a pas de moyen pour défendre une société contre chaque extrémiste qui veut tuer quelqu’un et mourir avec. Comme j’ai longtemps argumenté auparavant, chaque société moderne contient un nombre illimité de “cibles moles”, et nous ne pouvons toutes les garder. Même les états autoritaires comme la Russie ou la Chine ont eu l’expérience de violence terroriste de grande échelle, ce qui montre que des méthodes d’état policier n’éliminent pas le problème.[…]

No. 3: Vaincre l’extremisme nécessite de comprendre son origine

Nous ne pouvons espérer réduire le danger de cette sorte d’extrémisme violent si nous ne comprenns pas et connaissons son origine. Contrairement aux ecrits des islamophobes contemporains, la violence du jihad n’est pas intrinsèque à l’islam. Le coran condamne explicitement ces attaques sur les innocents non combattants, et la très large majorité des musulmans dans le monde rejettent de telles actions. Condamner l’islam ainsi c’est condamner le christianisme pour l’attaque d’Anders Breivik à Oslo, le Judaisme comme responsable de la tuerie de Baruch Goldstein à Hébron.

Le terrorisme jihadiste est un mouvement politique d’une infime minorité basée sur une interprétation fondamentaliste de l’islam. L’émergence de tels groupe est symptomatique d’un manque de légitimité et la crise de gouvernance dans le monde arabe et musulman. C’est aussi une réponse compréhensible à des années et même des siècles d’influence occidentale dans le moyen orient, spécialement les politiques qui ont pris la vie de centaines de milliers de personnes dans cette région.

Cela n’excuse en rien ce qui s’est passé à Paris […] En même temps, prétendre que les actions américaines et européennes n’ont rien à voir avec le problème, c’est se mettre la tête dans le sable et ignorer l’évidence. Par exemple : Si les Etats-unis s’étaient abstenues d’envahir l’Irak en 2003, l’état Islamique n’existerait probablement pas. Nous devons regarder les faits : Les décénies d’erreurs US et européennes ont laissé beaucoup de personnes dans le monde arabe et islamique avec de la colère et du ressentiment contre l’occident. Cela inclut les supports à diverses dictatures arabes, le soutien aveugle aux politiques brutales d’Israel envers les Palestiniens, et les campagnes aériennes, les sanctions et les invasions de pays du moyen orient servant à des intérêts à court terme. Considérons comment nous réagirions si une puissance étrangère nous faisait la même chose, et pendant plusieurs années. Sans surprise, une poignée de personne a décidé de faire payer l’occident pour ces interférences et ces meurtres illégitimes. Leur réponse est moralement criticable et ne résoudra rien mais ce n’est pas difficile à comprendre.

Il y a aussi quelque chose de nouveau sur ce qu’il se passe. Les grandes puissances ont longtemps pris l’avantage sur les sociétés plus faibles mais aujourd’hui, les plus faibles sont capable de se défendre sur la terre des grandes puissances. La Grande Bretagne, la France, la Belgique et d’autres ont usé du colonialisme avec brutalité et parfois avec le meurtre, mais les peuples colonisés ne pouvaient pas frapper leurs maitres coloniaux sur leurs terres. Aujourd’hui, des groupes comme EI ou Al Qaeda peuvent le faire, qu’importe les précautions que nous prenons.

No. 4. L’Etat Islamique a une stratégie, ne l’oublions pas.

[…] L’état islamique use de la violence dans un mode hautement stratégique. Les attentats récents apparaissent comme des réponses à des pertes territoriales et à la coalition qui se monte contre eux. Leurs leaders montrent aux coalisés que ce sera le prix à payer pour les abattre. L’état islamique a une stratégie de long terme. Il veut consolider son pouvoir territorial en Syrie et Irak et étendre son califat dans tout le monde musulman. Pour cela, les idéologues veulent durcir le conflit entre les musulmans et les autres et forces les peuples au milieu à choisir un camp. Ainsi ils espères attirer des sympathisants. S’ils amènent la France et d’autres pays à cibler leurs citoyens musulmans et l’occident à réoccuper le moyen orient, alors leur discours trouvera un écho et les montrera comme des défenseurs de l’islam.

Notre challenge et de vaincre cette stratégie et le premier pas est de ne pas tomber dans le piège tendu. Si nous rentrons dans ce jeu de conflit de civilisation de culture et de religion, nous en ferons une réalité. Mais compte tenu de la faiblesse de l’EI aujourd’hui, la dernière chose à faire est d’encourager quiconque à les voir en héros.

No. 5: Gardons notre calme et continuons

La tentation évidente est de mobiliser tous nos efforts pour détruire l’EI. L’argument serait de se concentrer sur les opérations locales. Spécifiquement, former une coalition de volontaire et envoyer une force expéditionnaire en Irak et Syrie pour tuer le plus de jihadistes possible pour détruire l’EI. Une telle campagne affaiblirait surement l’EI, réduisant sa liberté de planifier plus d’attaques et diminuant la menace pour l’occident. Mais cela ne réglerait pas le problème au final et ferait surement pire. Si les USA, la France et leurs alliés lancent une nouvelle croisade au Moyen orient, le message de l’EI sera de plus en plus vindicatif et de plus en plus de personnes les verront comme des martys face aux éternelles forces hostiles de l’occident. De plus, les forces d’invasion ne trouveront pas dans ces territoires de facilités à gouverner et pacifier, comme lorsque les USA avaient 150 000 hommes sur le terrain. Même si l’EI était détruit, ses idées resteraient et quelques uns de ses cadres resteraient aussi. De nouveaux groupes terroristes se formeraient à nouveau.

Le seul remède à long terme, et cette solution ne sera pas totale, est la restauration d’institutions plus légitimes dans ces régions. Mais nous avons vu de manière répétée que ce n’est pas ce que peut faire une armée d’invasion. Cela ne peut être fait que par ceux qui vivent sur place. C’est pourquoi, le plus gros effort doit être fait pour traiter avec des acteurs locaux, USA et France devant rester le plus possible en arrière. “

Ainsi, Dominique de Villepin, ancien premier ministre et représentant de la France aux Nations Unis en 2003, y va d’une analyse particulièrement clairvoyante :

“Je refuse de vivre dans le monde que veulent nous imposer les terroristes. C’est pourquoi je veux que nous nous donnions les moyens de décider nous-mêmes de notre avenir, forts du courage et de l’exemple de tant de nos compatriotes à l’occasion des attentats de Paris et Saint-Denis.

La guerre ne nous rend pas plus forts, elle nous rend vulnérables. […] Premièrement, les hommes de Daech cherchent à susciter la guerre civile en France et en Europe, à monter les populations contre les musulmans, français, immigrés ou réfugiés. […] En nous lançant à corps perdu dans la restriction des libertés individuelles ou dans la suspicion généralisée envers l’islam à travers une laïcité de combat traquant barbes et voiles, nous leur donnerions le choix des armes.

Notre force, c’est notre Etat de droit et c’est la fidélité à nos principes, c’est l’équilibre et la mesure, en utilisant avec fermeté tous les moyens d’enquête et de poursuite de notre Etat, en mobilisant ses forces de sécurité et de défense. Qu’il faille des mesures exceptionnelles pour faire face à l’urgence, je le crois. Mais méfions-nous de l’état d’urgence permanent et de la surenchère sécuritaire qui, je le crains, va dominer notre vie politique pour plusieurs années. On voudra toujours plus de fermeté vis-à-vis des étrangers et on n’obtiendra que le ressentiment. On voudra, de façon préventive, une lutte de plus en plus dure contre la délinquance, notamment dans les banlieues, et on obtiendra la criminalisation d’une frange de la société et l’incitation à la radicalisation. On voudra le contrôle accru de l’expression des religions et on n’obtiendra que la radicalisation de l’islam des caves. Bref, nous serons un pas plus proche de la guerre civile. Et nous aurons renié les libertés mêmes que les terroristes ont voulu attaquer.

Deuxièmement, Daech cherche méthodiquement à créer les conditions de la guerre généralisée au Moyen Orient.[…]En quête d’un appel d’air, elle a multiplié les attentats hors de sa zone de contrôle. En Tunisie, pour fragiliser la transition démocratique, entraîner la répression et la récession, marginaliser un islam politique qui n’est pas son allié ; en Egypte, pour durcir la persécution de tous les opposants au régime et les pousser davantage vers le jihadisme et pour entraîner la Russie plus avant dans l’engagement au sol avec les forces de Bachar al-Assad ; au Liban, pour déstabiliser un pays fragilisé par plus d’un million de réfugiés syriens ; en France, enfin, pour susciter une alliance militaire tout-sauf-Daech qui unirait les forces du régime syrien, de l’Iran, des Occidentaux dans une lutte qui nourrirait le sentiment victimaire des populations sunnites.

Dans quel but ? La chute des régimes politiquement fragilisés, comme l’Arabie Saoudite, avec en ligne de mire la conquête symbolique des lieux saints. Daech place ses pions méthodiquement et les meilleurs ne sont pas dans le territoire qu’il s’est taillé, ils se trouvent dans l’expansion du conflit vers l’Afrique sahélienne où l’organisation noue des liens avec les islamistes locaux, vers le Caucase et l’Asie centrale et vers l’Asie du Sud-Est, notamment au Bangladesh. Regardons aussi la stratégie de Daech au Proche-Orient, où il se prépare peu à peu à agir à Gaza et en Cisjordanie, pour usurper la cause palestinienne, l’un des plus puissants vecteurs de ressentiment parmi les populations musulmanes.

Dans ce contexte, répondre à l’attaque par la guerre, c’est éteindre un incendie au lance-flammes.[…]Soyons lucides aussi sur la solitude de la France en dépit des protestations de solidarité. Les Européens ne s’engagent que du bout des lèvres de peur d’être ciblés à leur tour, les Américains ne rêvent que de désengagement ; la Russie a ses propres objectifs, parmi lesquels Daech n’est pas forcément la priorité ; la Turquie joue sur plusieurs tableaux, comme les Etats du Golfe et l’Iran. Sabre au clair et seuls sur le champ de bataille, quelles seront nos marges de manœuvre ? Dire que la solution est politique, cela ne signifie pas que la lutte ne doive pas être sans merci. Cela veut dire qu’elle doit être efficace. Les militaires sont les premiers à le dire : une guerre sans stratégie politique, c’est au mieux un coup d’épée dans l’eau.

[…]Accepter la guerre, c’est accepter la fuite en avant. Il faut bien tirer les leçons de l’expérience. Le 11 septembre 2001, nous étions tous derrière une Amérique frappée au cœur. L’administration Bush a alors choisi dans les premières heures le mot d’ordre de la guerre au terrorisme parce qu’elle donnait l’illusion de la riposte. Ils se sont ainsi enlisés en Afghanistan puis jetés dans l’aventure de l’Irak en 2003. Ils ont largement affaibli Al-Qaeda, mais au prix de la naissance de Daech, qui unit d’anciens combattants d’Al-Qaeda à d’anciens officiers baasistes, sur fond d’humiliation des populations sunnites d’Irak. Ce n’est pas seulement une page d’histoire, mais aussi un avertissement pour la France. Ayons la force de ne pas commettre les erreurs qui élargiront encore davantage le cercle de l’horreur.”

A méditer…


Ecrit le : 09/12/2015
Categorie : geopolitique
Tags : EI,france,Geopolitique,moyenorient,politique,terrorisme

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