Géopolitique - Moyen-Orient, les Racines du mal
Si nous n’avons pas fini de chercher ce qui a amené des jeunes français à partir rejoindre les rangs de terroristes, il convient aussi d’observer ce qui a construit si rapidement cette force terroriste et militaire.
Si dans ses diatribes, l’EI fait appel à l’histoire, du démantèlement de l’empire Ottoman à la colonisation franco-britannique, de la “pétrolisation” des économies locales aux trahisons ayant conduit au conflit israelo-palestinien, la constitution du groupe est liée à des évènements plus récents.
Il faut revenir en 1980, lorsqu’un conflit fut déclaré entre l’Iran et l’Irak. L’Iran chiite voulait propager sa révolution, tandis que l’Irak, officiellement laïque mais avec une orientation communautaire pro-sunnite, essaye d’installer une stabilité politique par la force et la dictature dans cet état tribal. Le différent frontalier n’est qu’un prétexte et les occidentaux ferment les yeux un temps sur un conflit qui jugule le modèle iranien et permet aussi la vente d’armes (La France notamment soutiendra militairement l’Irak alors que paradoxalement, l’Iran disposait d’armements américains de la période du Shah). Ce conflit a été un premier marqueur dans la rivalité entre Chiites et Sunnites.
La chute du régime Baasiste de Saddam Hussein a fait ressurgir les rivalités tribales et religieuses. Les trois composantes principales Sunnites-Chiites-Kurdes ont voulu accéder au pouvoir. Les chiites ont réussi plus facilement à se fédérer au sein de l’Alliance Irakienne Unifiée, qui gagne le pouvoir, puis à se scinder en divers partis influents comme le parti Dawa du premier ministre Al Maliki. Les anciens Baasistes et chefs de tribus sunnites étant écartés par les américains (DeBaassisation), ils sont aussi la cible des milices du leader chiite Moqtada Al-Sadr. Dans ce climat où les sunnites se voient rejetés du pouvoir et cibles d’attentats, se constitue le berceau d’une rébellion. S’agglomèrent à eux, ce qui forme Al Quaeda en Irak (composé d’anciens du conflit Afghan ayant cotoyé Ben Laden) et d’autres groupes terroristes sunnites. Les Baasistes y voient une occasion de trouver des forces militaires et tandis que les groupes terroristes profitent des réseaux des Baasistes et de l’expertise militaire d’anciens officiers. Tout cela aurait-pu s’arrêter là si justement d’autres éléments géostratégiques n’entraient pas en ligne de compte.
Le rôle de** l’Arabie Saoudite** est clé. On a vu comment le royaume a su détruire son rival yéménite au sud. La chute de l’Irak était une bonne chose et la première guerre d’Irak avec sa manipulation Koweitienne n’était pas étrangère à la volonté de domination du royaume. Tant que l’Irak est déstabilisé, cela convient aux Saoudiens. Les puits détruits ont mis du temps à reprendre de l’activité mais un autre projet a fait peur au régime. En 2010, un protocole d’accord est signé entre Iran, Irak et Syrie pour construire un pipeline ( le friendship pipeline ) permettant l’acheminement du pétrole vers l’Europe. En 2013, c’est même un accord d’échange Iran/Irak qui est signé. Le But est évidemment aussi de contourner l’embargo américain. De la même manière qu’au Yemen (devenu à la fois base arrière d’Al Quaeda et cible de drones US), la Syrie va être déstabilisée par des éléments extérieurs. Le contexte est idéal entre les “printemps arabes”, la situation de sécheresse. Les Etats-unis ne voient pas d’un mauvais oeil ce qui pourrait contrecarrer ce projet. Si le peuple Syrien avait une volonté légitime d’avoir plus de liberté et de partage des richesses, il faut se souvenir des déclarations de Bachar El Assad à l’époque, parlant d’interventions étrangères, ce qui au vu de l’efficacité des services secrets syriens, ne pouvait qu’être vrai. Ailleurs dans le monde, la construction de pipelines cause aussi des montées de nationalisme et des révolutions, notamment en Asie du Sud-est. Mais c’est une autre histoire… Paradoxalement, Bachar El-Assad jouera d’abord un double jeu lorsque les milices issues d’Al Quaeda vont s’attaquer aux factions syriennes sunnites non “djihadistes”, les laissant détruire son ennemi intérieur.
Un exemple de la complexité de la situation
D’autres états du golfe partagent évidemment les vues des saoudiens et octroient les soutiens financiers à ce mouvement. Si ces groupes terroristes critiquent les régimes du golfe, ils sont aussi très content de récolter ainsi un butin, qui vient également de soutiens à travers le monde. Aider le “Djihad” financièrement est aussi une manière de gagner le paradis, selon ces groupes divisés au fur et à mesure entre partisans de la Charia (l’EI), et partisans de la chute de Bachar El Assad (front Al Nosra), qui s’affrontent parfois. L’habillage religieux n’est qu’une façade pour parler de stabilité, de rigueur à des populations qui deviennent nostalgiques des périodes de paix relative et surtout de périodes où ils se sentaient écoutés en tant que sunnites. L’Irak bénéficiait, il faut le rappeler, d’écoles, d’université, d’hôpitaux… C’est surtout vers les moyens de propagandes que l’Etat Islamique va innover par rapport à un Al Quaeda qui bricolait des cassettes audio et vidéos. Le recrutement d’éléments étranger a été presqu’en encouragé puisqu’il permettait au début de se débarasser d’éléments perturbateurs sur nos territoires qui devaient se faire tuer pour faire chuter un dictateur… Personne ne pensait au retour. Et puis la concurrence entre les mouvements vise autant à recruter qu’à s’attirer les bonnes grâces financières. Si AQMI (bien que d’autres groupes aient revendiqué l’action) a frappé à Bamako quelques jours après l’EI à Paris, ce n’est pas un hasard mais une manière de rappeler son existence. Quant à l’Occident, enferré dans sa vision atlantiste, anti-iranienne et anti-russe, il voir aussi un intérêt à cette guerre civile qui ne fait pourtant qu’étendre le théâtre des opérations. Officiellement, cela ferait un dictateur de moins. Mais ce sont aussi des gisements en plus, des ports en moins pour la Russie.
Ainsi a-t-on vu la France faire du zèle avec un François Hollande lorsqu’il voulait bombarder Damas au moment des attaques chimiques. Au dernier moment, certainement averti d’autres risques, le président Obama n’a pas suivi. Nous aurions alors eu une situation similaire à l’Irak et la Libye dans l’ensemble de la Syrie, débordant encore plus largement sur des pays frontaliers comme le Liban ou la Jordanie. Malheureusement, la France a vendu, elle aussi, des armes à des opposants (supposés démocratiques…dans le discours officiel) au régime, armes qui se sont ensuite retrouvées prises par l’EI. L’attentisme et les hésitations américaines ont fait le reste. Il ne faut pas négliger l’impact financier de ces monarchies qui détiennent à la fois les dettes mais aussi les sources d’approvisionnement pétroliers, ainsi qu’une forme de revanche sur l’histoire.
Dans cet imbroglio, on voit que pour se défaire de cet étau, il ne suffira pas de simples frappes militaires. D’une économie encore tournée vers le pétrole, d’une politique de la dette qui nous expose aux quatre vents, d’une envie de relancer l’économie par le militaire, il faut savoir évoluer dans le même sens avec des intérêts rivaux. Trois pôles sont déjà à unifier : Russie, Etats-Unis, Europe. Au delà, d’autres se tiennent à l’écart, comme Chine, Inde ou Amérique du sud, se gardant bien de mettre un doigt dans cet engrenage.