Géopolitique - Paris - Bagdad
Paris a été touché ce 13 Novembre 2015 par une vague d’attentats sans précédent…. quoique.
Lorsque l’on remonte le fil de l’histoire de France, on trouve des périodes tumultueuses où des bombes frappaient aveuglément (1883-84 par exemple). Mais si on regarde plus récemment, on peut trouver des pays où c’est presque quotidiennement que l’on a de tels attentats qui frappent des civils innocents. Bagdad, Mogadiscio, Alep, ne sont que des noms lointains pour nous, auxquels on ne fait même plus attention dans la litanie des violences de ce monde. Et soudain, on se réveille parce qu’aujourd’hui c’est chez nous que ça se passe. Il y a peu, j’imaginais un monde où nous serions devenus “migrants”, réfugiés sans attaches voguant sur les flots à la recherche d’un havre de paix. Ceux que l’on rejette aujourd’hui fuient souvent ce que l’on vient de connaître une première fois dans notre vie qui n’a pas connu la guerre sur son territoire. L’ennemi a même la perversité d’utiliser ce travestissement pour nous apeurer encore plus. Mais l’ennemi porte-t-il seulement le nom de “Groupe Etat Islamique”?
Nous sommes nos propres ennemis. Car à l’origine de tout ce chaos, de ce groupe terroriste, il y a plus qu’une guerre en Irak. La guerre de 2003 a eu pour prétexte des attentats qui eux même viennent de groupes armés créés en Afghanistan dans ce qui était à l’époque un avatar de la guerre froide est-ouest. Ces groupes ont donné lieu à d’autres conflits ensuite, ont essaimé à travers le monde, que cela soit en Tchétchénie, en Indonésie, dans la corne de l’Afrique, au Yemen, et même en Bosnie et au Kosovo il y a quelques années, soutenus par des capitaux et des armes bien réels. Il faut ajouter à cela le terreau colonialiste du 19ème et 20ème siècle et nous avons une situation difficile à décrire mais qui peut se comparer au conflit mondial de 39-45, poursuite de celui de 14-18, lui même résurgence de celui de 1870 en ce qui concerne la France et l’Allemagne. Toute cette histoire ne se refait pas, ne se corrige pas d’un coup de baguette magique. Elle s’apprend, elle s’enseigne, elle s’analyse mais apparemment, pas chez les bonnes personnes. On parle déjà de nouvelle guerre froide aujourd’hui. On nous parle faussement de guerre de civilisation. Après en avoir tué autant par le passé, la notre a-t-elle le droit de survivre indemne ?
Entendre aujourd’hui le secrétaire d’état John Kerry parler d’une solution syrienne en forme de départ de Bachar El Assad montre bien la naïveté qui est au commande. Elle est déjà au commande lorsque l’on croit que des frappes aériennes occidentales coordonnées sont une solution. La Syrie n’est qu’une case sur l’échiquier, comme l’est aussi l’Irak, la Jordanie, le Liban, le Kurdistan, le Yemen et tant d’autres. Nous avons cru que nous pouvions jouer à loisir avec des pions, aller puiser dans les ressources pétrolières en engraissant de dollars des princes et rois. Mais nous avons oublié l’histoire et la culture locale. Nous avons oublié que “diviser pour mieux régner” ne va jamais très loin. Nous avons oublié que la mondialisation que nous avons créé a aussi un prix qui n’est pas une dette seulement financière. Nous avons oublié de respecter l’autre en ne le laissant pas jouer à notre jeu.
L’ancien premier ministre et diplomate français Dominique de Villepin, connu pour son rejet de la guerre en Irak en 2003, a eu cette analyse pertinente et pourtant isolée, qui veut que l’on réfléchisse à la politique globale plutôt que de s’enferrer dans une guerre contre le terrorisme perdue d’avance. L’autre soir, Jean-Luc Melenchon, le leader de la Gauche française*, parlait lui aussi d’actions non militaires, de décisions fortes géopolitiquement pour ce conflit qui nous dépasse. On pense évidemment à ce pétrole acheté à ces terroristes, à ces armes et munitions qui ne s’épuisent pas, à ces capitaux que ne sont pas que le fruit de pillages. Nous avons ouvert depuis longtemps la boite de Pandore, avec notre cupidité et ce n’est pas par la force mais par la ruse qu’il faudra la refermer. Aller dans une “bunkerisation” de notre vie, pour reprendre le terme de De Villepin, et comme le proposent Valls-Hollande, Sarkozy, Le Pen, est une voie sans issue. Cela va, en effet, à l’inverse de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, si tant est qu’il en reste encore aujourd’hui. La France a été frappée pour cette image qu’elle représente encore à travers le monde mais ne nous trompons pas, c’est bien le monde qui est visé. L’exemple américain montre un pays où le meurtre par arme à feu est quotidien, où les prisons sont remplies plus que dans des dictatures, et où on se barricade par caste. Est-ce cela que l’on veut ? Est-ce pour cela que nos ainés sont morts inutilement déjà dans les conflits précédents ?
L’autre voie, celle qui n’est pas encore matérialisée, semble utopique, sans assurance. Elle n’est pas celle d’une lutte frontale, elle n’est pas celle d’une réponse coup pour coup. Elle n’est pas celle de la privation de liberté par suspiçion comme le proposent Laurent Wauquiez et Arno Klarsfeld. Elle n’est pas celle des frontières étanches voulues par les Le Pen en France ou les Viktor Orban en Hongrie. Elle est celle de l’analyse approfondie, de la réflexion à froid. Elle est celle de l’intelligence et non de la force. Et il ne faut pas sous estimer celle de l’adversaire que l’on caricature trop vite en ce qui constitue son bras armé aujourd’hui. Enfermer tous ceux qui ont “le profil” n’empêche rien et crée même d’autres viviers du mal. Se barricader non plus, comme l’a montré encore la situation en Israël. Seule la paix et la richesse partagée tueront le terrorisme. Écouter la rage qui mène à la folie meurtrière chez ces jeunes, cela n’a pas été fait. Écouter ceux qui ont faim, dans le Maghreb, cela n’a pas été fait. Écouter ceux qui ne veulent plus être pillés par des grands groupes étrangers, cela n’a pas été fait. On préfère rustiner que de s’attaquer aux causes profondes. Récolter des données sur nos concitoyens, disperser inutilement nos forces dans ces moyens n’a aucun sens alors que l’urgence est de travailler et d’investir sur l’intelligence d’abord. Le juge anti-terroriste Trevidic émettait justement des réserves, il y a quelques mois, sur ces lois mal ciblées.
Après l’écoute et l’analyse, viendra l’heure des actes. Nous n’avons pas franchi la première étape, sourds que nous sommes aux cris des autres, même à ceux de nos propres voisins. Qui nous dit que demain, en Grèce, en Irlande, nous n’aurons pas d’autres viviers de haine, une haine créée par nous même. Paris a fait penser à Bagdad pendant une journée. Demain, cela sera une autre ville, un autre lieu, un autre évènement, créant une peur castratrice de liberté. L’attentat de Charlie Hebdo a été suivi par tout ce qu’il ne fallait pas faire. C’est encore la peur qui prédomine dans ce que l’on entend, dans ces appels à plus de violence encore. Le Président Hollande a peur et écoutera des gens apeurés, des va-t-en guerre dans son congrès et dans ses entrevues avec les responsables politiques. Il écoutera même des prédécesseurs qui oublient leur inaction et leur contre-productivité sur le sujet sécuritaire. Il n’écoutera pas ceux qui ont besoin d’être entendu, une fois encore. Il n’écoutera pas ceux qui ont le sang-froid pour l’analyse, pour aller contre la marée, trop souvent seuls. Se dressera-t-il un de ses homologues un peu mieux conseillé pour ne pas aller dans la voie dont rêvent les terroristes ? Des milliards d’êtres humains l’espèrent secrètement.
(a): nous considèrerons le PS désormais au centre gauche