Cinéma - La Fille de Brest d'Emmanuelle Bercot (2016)

Le cinéma n’est pas qu’un simple divertissement, mais aussi une manière de raconter une histoire ou l’histoire, un témoin de la société. C’est justement l’objet de ce film d’Emmanuelle Bercot sur le plus grand scandale sanitaire de ces dernières années : Le Mediator.

Le mediator, alias Benfluorex, est un médicament créé pour lutter contre le diabète mais qui fut aussi prescrit pour faire perdre du poids au patient, de 1976 à 2009. On estime à 2 Millions, les patients de ce médicament. Il est un dérivé de la molécule de Norfenfluramine, une amphétamine, mais proche aussi de la Dexgenfluramine, dont le dérivé médicamenteux l’Isoméride a été retiré du marché français en 1997 suite à une étude montrant son lien avec des cas d’hypertension arthèrielle pulmonaire.  L’histoire du film se concentre sur la découverte des symptômes du Mediator dans le Centre Hospitalier Universitaire de Brest, par une médecin pneumologue aidée de ses collègues, Irène Frachon.

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Du point de vue cinématographique, le film tourne autour de son héroïne, comme le titre peut le laisser penser. Pourquoi avoir transformer Irène Frachon en ressortissante danoise ? Je ne peux répondre, mais Sidse Babett Knudsen, vue dans Borgen et récemment dans Inferno, est totalement investie dans ce rôle énergique. Avec elle, on retrouve celui qui devient l’acteur fêtiche de Bercot, Benoit Magimel, dans le rôle du professeur Le Bihan, chercheur aidant le Dr Frachon a prouver la toxicité du médicament. Il est une sorte de négatif de l’héroïne, fragile, souvent seul, mais partage avec elle la volonté d’aider les patients. Magimel est lui aussi parfait dans ce rôle, utilisant ses failles personnelles dans ce personnage. On citera aussi des seconds rôles bien choisis, comme Lara Neumann, Patrick Ligardes et Gustave Kervern. La photographie est plutôt froide, comme pour rappeler la tristesse apparente du milieu hospitalier. Cette tristesse est contrebalancée par l’ambiance festive du groupe de chercheur, de la famille d’Irène Frachon avec une grande place laissée à la musique, à travers le groupe familial mais aussi la bande son.

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J’avais écrit à l’époque un article après avoir lu le rapport sur le mediator. Je m’étonnais de ne pas y voir de dénonciation des méthodes de tests cliniques aboutissant à une mise sur le marché. On y dénonçait plutôt les liens entre décideurs et laboratoires mais pas les méthodologies. Or, aujourd’hui encore, on teste les médicaments comme en 1976, parfois sur un tout autre but que celui sur lequel sera prescrit le médicament. L’importance de la vivisection est considérable chez Servier, par exemple, et c’est étonnant puisque les créateurs même de cette technique de test ont dénoncé son utilisation face aux progrès de la médecine. Le film n’aborde pas non plus cet aspect technique, montrant pourtant des images de chirurgie toutes aussi choquantes. Il faut dire que la création de médicament est quelque chose de complexe, avec toutes les interactions possibles dans la pharmacopée actuelle. S’ajoutent à cela toutes les substances chimiques auxquelles nous sommes exposées. Emmanuelle Bercot ne pouvait rentrer dans cette complexité et préfère s’attacher à l’aspect humain, à la chaine de décisions aboutissant à ce scandale.

On y parle donc de Lanceurs d’alerte, de la foi qu’il faut pour lutter contre cette véritable Machine du médicament qui broie les médecins récalcitrants. La réalisatrice montre l’impact des financements des laboratoires des hopitaux et des centres de recherche par ces laboratoires, l’infiltration dans les conseils de l’ordre ou organismes décisionnaires. On parle en parallèle du H1N1 et du principe de précaution à géométrie variable. Récemment, on s’étonnera du cas du professeur Joyeux, controversé sur bien des points politiques et de santé, mais radié de l’ordre lorsqu’il s’est attaqué aux laboratoires, entretenant des ruptures de stock artificielles sur des médicaments moins rentables. Le film donne une impression de corruption généralisée illustrée par exemple par le personnage de Mme Lucciani, qui semblerait inspirée par l’ancienne directrice générale adjointe de l’affsaps Fabienne B., si l’on en croit les parallèles avec les interviews de l’époque…. une personne auteur notamment d’une thèse de doctorat en sciences économiques portant sur l’innovation à partir de l’analyse du cas de l’industrie du médicament en France.

Tout le monde connaît hélas la fin du film: Servier n’a jamais été condamné, ni aucun autre responsable. Les victimes et le Dr Frachon continuent de se battre encore aujourd’hui pour être indemnisées et ne pas mourrir des conséquences de l’utilisation du Mediator. L’Affsaps, l’autorité sanitaire, a changé de nom, a été restructurée, mais est-ce que quelque chose a changé ? L’impact des laboratoires pharmaceutiques continue d’être considérable dans notre vie de tous les jours, que ce soit dans les visites médicales aux médecins, dans les fonds sur les recherches, dans les manipulations des stocks ou des prix des médicaments…. et donc sur le budget de remboursement de la sécurité sociale. Emmanuelle Bercot, par son film, pousse le spectateur a être curieux, à se renseigner sur ce cas, mais aussi à croire qu’il existe toujours des médecins et des chercheurs intègres et prêts à se battre pour leurs patients.


Ecrit le : 13/12/2016
Categorie : cinema
Tags : 2010s,Cinéma,industrie,médecine,médicament,mediator,pharmacie,politique,santé,servier

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