Blog - Dissidence numérique
On parle de décroissance, de droit à la déconnexion mais ne pourrait-on parler simplement de dissidence dans cette recherche d’une nouvelle approche aux outils numériques.
Selon Wikipedia, “Un dissident est une personne qui se sépare d’une communauté ou parti politique dont elle était membre. Le dissident ne reconnaît plus la légitimité de l’autorité à laquelle il devait se soumettre jusqu’alors, et qui conteste de façon plus ou moins radicale le système politique du pays dont il est résident.” Dit comme ça, ça pourrait mettre les utilisateurs de TorBrowser ou autre “pseudo-anonymiseur” dans cette catégorie. Mais si on considère non pas un pays mais le net et sa propriété actuelle, soit un trafic qui transite majoritairement par des réseaux sociaux, des moteurs de recherche intrusifs et deux gros fournisseurs de distraction et une grosse boutique (Google, Facebook, Amazon, Netflix et leurs fililales), être dissident serait ne pas utiliser ces services.
Dans la vidéo, on parle de cette mode des assistants vocaux, ces espions que l’on paye pour soit disant nous aider, sorte de prolongement de ceux déjà présents sur les smartphones. En réalité, il n’en est rien et la domotique existe depuis des dizaines d’années. Il y a 30 ans, on savait déjà programmer son chauffage pour des périodes, ou programmer électriquement le déclenchement de volets roulants ou de lumières. La preuve, il me suffit de petits boitiers pour simuler ma présence chez moi et sans avoir besoin de mon smartphone pour ouvrir un réseau local mal protégé des intrusions. La météo, on me la rabâche sur le smartphone, le PC, à la radio et à la télévision et je sais encore chercher quels films sont programmés dans ma salle habituelle alors pas besoin d’appeler un assistant, ce domestique numérique pour se valoriser et avoir l’air moderne. Au contraire c’est bien devenir soit même servile en évitant de réfléchir. C’est comme le collègue qui met les réunions sur son agenda en ligne, sur son smartphone et qui pourtant est toujours en retard ou absent. Si tu ne prépares pas ton travail, tu es mauvais, point !
Aujourd’hui, nous sommes drogués de tout cela, de ces applications et notifications. La première chose que je fais sur un smartphone, c’est supprimer les notifications, hors de mes rendez-vous perso. Même les mails…Et pourtant je suis encore trop souvent drogué à la nouvelle, à l’actualité, comme si ça changeait quelque chose. Rien d’immédiat pourtant dans mes flux RSS et pourtant je reçois encore 240 articles par jour. Il faut que j’en supprime encore, c’est trop et inutile. Je ne rate vraiment rien d’essentiel. La dissidence, ici, c’est de** quitter le traitement immédiat **pour le traitement réfléchi de l’information, ce qui est loin d’être évident. Je choisis du documentaire à froid plutôt que l’image choc, le buzz. Mais c’est tentant de craquer, surtout quand tu entends des discussions autour de toi sur des futilités. Kyan Khojandi en parle bien dans son sketch, le paradoxe étant que c’est diffusé sur … un réseau social.
Après tout, dissidence, ça veut dire partir mais ça ne veut pas dire arrêter d’avoir un lien avec son lieu d’origine. Ici, dans le cas d’internet, on peut avoir une utilisation réfléchie des réseaux en y piochant des choses, en s’y introduisant indirectement. Ca veut dire diffuser dessus sans interagir ou lire, par exemple, ce qui poussera le lecteur utilisateur du réseau à en sortir. Ca commence à être le cas sur Facebook par chez nous si j’en juge par le peu d’activité, moins sur les zombies Snapchat et Twitter, encore moins sur Instagram, symbole de la décadence de notre société. Il est dur de trouver un temps de cerveau disponible quand l’activité chez soi revient à “se vider le cerveau”. Pour certains, il n’est déjà pas bien plein, ça ira vite… Mais là aussi, nous sommes drogués aux écrans, au “vide” qui consiste à avoir la présence d’une émission au lieu d’un individu. Pourtant, le cerveau est une sorte de muscle qui a besoin d’entrainement (Pr Kawashima, sort de ce corps). C’est là que l’utilisation réfléchie se heurte à un mur si on ne réfléchit plus à ce que l’on fait et que l’on agit par réflexe.
Je vois que je deviens de moins en moins réfléchi et de plus en plus instinctif mais, hélas, dans le mauvais sens du terme, pas un instinct utile comme les animaux. Posons nous la question de ce que l’on fait en se levant ou en rentrant de son travail le soir et nous seront étonné de cet enchainement machinal de tâches. Machinal… Robot… programmé… Tiens, ça me rappelle quelque chose. Nous soit-disant évolués, nous aimerions revenir dans un état de machine programmée, sans imagination. On créerait une intelligence artificielle pour palier à la perte de la notre? C’est pourtant bien ce qui devrait nous aider à progresser, à comprendre notre univers mais nous tendons naturellement à nous fondre dans la masse. Dans notre vie numérique, ça revient à suivre les modes, à utiliser les mêmes outils, réagir aux sujets chauds, se réunir par affinité sur des réseaux sociaux, même alternatifs mais finalement bien ronronnant. Pour ma part, j’ai gardé des comptes actifs mais vides de toute activité. ça permet de faire du “au cas où..” et de maintenir un semblant de réseau. Et au sujet de ce “besoin” que l’on peut avoir de réagir sur tout, j’ai eu une idée qui aboutira à une rubrique l’année prochaine, je pense… (teasing, hé hé )
En cherchant dissident, je suis tombé sur Dissident.ai, le nouveau joujou de Tariq Krim. Tariq Krim, c’est le créateur de Netvibes, un portail agréagateur de flux RSS et autres, avant l’heure et qui vivote encore. C’est aussi un gars qui a cru à un OS basé sur le cloud, genre Chrome OS mais qui avait bricolé son Jolicloud sur une Ubuntu avec une surcouche. J’ai utilisé un peu à l’époque pour voir … surtout les limites qui finalement sont les mêmes que celles de Chrome OS aujourd’hui. Dissident.ai, c’est finalement une alliance de tout cela et l’affirmation disant que l’on reprend le contrôle est mensongère, autant que dire que mettre ses données chez Framasoft ou Cozycloud c’est reprendre possession de ses données. C’est juste mieux contrôler ce qu’elles deviennent. Dissident n’est qu’un agrégateur avec un centralisateur de données cloud et culturelles. Les deux derniers éléments sont intéressants dans une démarche de culture ouverte d’un côté et de portabilité de ses données. Ca se rapproche aussi d’un nouveau concept du net dont j’avais parlé auparavant, ce que promeut Tim Berners-Lee, un des papas de ce que nous utilisons. Mais cette démarche de Dissident.ai est dépendante de l’ouverture des API des grosses plateformes de Cloud, tout en étant plus concrète que ce que propose Berners-Lee aujourd’hui. C’est un service facilitateur mais qui ne va pas assez loin dans le sens d’une dissidence ou d’une refondation du net.
Oeuvre de Le Ba Dang, dissident vietnamien
Car j’entends par ailleurs Tariq Krim parler aussi d’un autre internet, d’avoir le discours nostalgique que beaucoup de pionniers ont. Nous voulons un net moins mercantile et pourtant nous sommes content d’y trouver tout et n’importe quoi. Nous voulons un net du partage de l’information sans entrave, de la culture et pourtant nous nous abonnons à des services qui dématérialisent et formatent la culture. Nus voulons un net sans publicité mais nous ne voulons pas payer non plus. Je parlais récemment sur un autre blog en commentaire de ce sentiment de privatisation de la culture avec des musées privés bâtis à coup de subventions et avantages fiscaux, des réservations qui passent par des plateformes privées pour des lieux publics, des concerts qui deviennent hors de prix, jouets d’une mafia du billet pré-acheté, autant que verrouillés par des playbacks (à votre avis, pourquoi je vais voir de vieux groupes ou des du hard et du metal…?). Ce sont les mêmes symboles de la décadence de ce monde dont il faut être dissident. On peut me dire tout ce qu’on veut, jamais je ne prendrais un abonnement Netflix avec toutes les conséquences que cette plateforme a sur la production, le financement de la culture. Le dernier Cuaron financé par Netflix n’a ainsi pas eu droit à une sortie en salle en France, alors qu’il est vraiment fait pour le grand écran. Je ne suis pas non plus pour l’obligation d’avoir de multiples abonnements à des plateformes de presse ou de musique, en “streaming” sur des modèles économiques douteux. Remarquez que ces modèles se basent sur un monde archi-connecté avec un besoin d’alimenter ce besoin de …vide.
Vous allez rire, mais je suis repassé au bon vieux calepin, ce petit bloc de feuilles qui permet de prendre des notes où on veut quand on veut, de faire de petits schémas avec un crayon. J’y laisse des idées d’articles, j’y rature des texte, j’y fait des schémas de ce que je vois où j’imagine, bien mieux que tout smartphone, même avec stylet. J’ai pourtant gouté à tous les types d’assistant depuis leur apparition pour revenir au raisonnable. Retrouver la raison, c’est peut être là, la clé, quand on voit la vacuité de ce que l’on regarde aujourd’hui, juste parfois pour se penser plus intelligent. Il n’y a aucune décroissance là dedans mais juste savoir apprivoiser le progrès, après la joie de la découverte. Nous sommes encore en permanence dans cette phase du “déballage du cadeau”, comme l’enfant à Noël qui ne va faire que jouer avec. Puis vient un moment de lassitude et une utilisation plus raisonnable et réfléchie. Comme aujourd’hui il n’y a plus grand chose de nouveau pour les vieux routiers du net, on peut repenser les choses. On nous balance de fausses nouveautés pour sans cesse nous faire retomber dans ce syndrôme. Pour les autres, ça viendra au fur et à mesure. A moins que quelqu’un révolutionne tout ? Ca serait étonnant que ça arrive dans les 5 ans à venir, même avec les débits mirobolants qu’on nous promet. La dissidence finira pourtant par devenir une nouvelle norme et ainsi de suite.