Blog - La vie en flex-office
Je voulais attendre de lire l’article sur ce sujet dans l’excellente Revue dessinée numéro 19, avant d’écrire mon expérience…et la vivre suffisamment avec un peu de recul pour en parler. Le “Flex-Office”, vite rebaptisé “Sans Bureau Fixe”, c’est la nouvelle mode dans les grandes entreprises françaises, qui ont toujours 5 ans de décalage sur les américaines… et ne lisent pas le retour d’expérience.
Dans les épisodes précédents de la vie des grandes entreprises, on a eu l’Open-space, le Lean, et donc voilà le flex-office, promotionné par Andersen Consulting. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, dit-on. Je ne vais pas vous raconter l’histoire mais juste le vécu. En lisant l’article cité ci-dessus, je me suis aperçu que j’étais dans la version “Light” du genre, sans doute aussi parce que je ne suis pas dans une activité complètement tertiaire. L’idée part du constat qu’un bureau n’est pas utilisé plus de 70% du temps de travail. Pour économiser en immobilier, on a donc l’idée de faire comme pour le surbooking des avions : Moins de bureaux que d’employés et pas de places attribuées. Ca toucherait aujourd’hui jusqu’à 6% des employés et le ratio moyen est de 100 bureaux pour 180 salariés. L’idée date de 20 ans dans les sociétés de consulting, puis de tertiaire, avant de se généraliser en Europe, pendant que les USA changent déjà de méthode.
Comme vous l’aurez compris, l’objectif premier n’est pas l’efficacité du travail ou le bien-être du salarié mais** la rentabilité. Il faut pourtant que l’efficacité ne soit pas perdante pour autant. Si on regarde les sources de distractions dans une journée, ce sont les discussions entre membres d’un même service, le bruit périphérique. Lorsqu’il n’y a plus de bureau fixe, on se retrouve entouré de personnes inconnues ou peu connues avec moins d’envies de discuter. Enfin c’est la théorie car au bout de quelques semaines, on retrouve des “ilots” correspondant aux services et les “mauvaises” habitudes reprennent le dessus. On retrouve les clans, on fait la réunion dans l’espace détente ou café, pardon Work café, car l’autre truc de ce mode de management, c’est bien **le franglais.
J’ai adoré l’espace “branling” de la Revue dessinée et je n’en suis pas loin dans les termes utilisés qui ne veulent pas dire grand chose pour un anglophone. Heureusement, on a des panneaux explicatifs, ce qui veut bien dire que personne n’y comprend rien mais que ça fait claaaasss ! Perso, je trouve surtout que ça fait branling de marketeux. Mais si ça s’arrếtait là? Il faut regarder ce qu’il y a dans ces zones :
- L’espace de travail constitué de bureaux en open space, plus simples (encore que dans mon cas ce sont les mêmes qu’avant) avec écran 24 pouces, cadenas pour le pc portable, prise multiple.
- L’espace café avec sa batterie de machine, son bar, ses fauteuils, son évier, ses tables basses.
- L’espace silence pour … le silence
- Des box pour les petites réunions de travail improvisées, sans réservation
- Des salles avec réservation
- Des casiers pour ranger ses affaires avec une boite cubique de 30cm où on prend ce dont on a besoin pour sa journée de travail
Evidemment, la formule diffère selon les secteurs d’activité mais ça, c’est tel que je le vis. Comme ce sont d’anciens bureaux (économie…) mais qu’on en a jeté, c’est pas très bien conçu. On a trop de place par rapport au besoin et parfois il n’y a plus de petites cloisons entre son voisin et soi. On ne garde évidemment plus d’archives papier puisque l’espace dans les armoires est réduit au minimum. Personne n’a eu de politique de numérisation et voilà comment on perd des données, du savoir. Tout est uniforme, dépersonnalisé et on ne sait plus dans quelle entreprise on est. On ferait de l’agroalimentaire ou un centre d’appel que ça serait presque pareil. Ah oui, il n’y a forcément plus de ligne de téléphone classique. Donc ça passe par du Skype avec le casque et les plus importants ont droit au portable maison.
Cette Dépersonnalisation nous rabaisse très vite à notre rôle de pion. Normalement ça met aussi tout le monde au même niveau puisque l’on croise plus facilement le N+2 qui n’est plus dans son bureau isolé. Mais comme on ne sait jamais où il est et qu’il est souvent en réunion, ce n’est pas gagné. On dit bien bonjour le matin aux voisins mais pas non plus aux 50 personnes dont on ne connaît même pas l’activité réelle. Le lien social ne se fait pas, surtout qu’il faut respecter la quiétude des autres. Enfin ça, c’était au début car très vite on a des îlots de conversation. Nous sommes latins et ça se sent. Si bien que pour s’isoler du bruit de fond, on en vient au casque qui ne sert pas qu’à la conversation. Lorsqu’avant tu pouvais attraper une information dans ton équipe, maintenant tu as des conversations bien différentes de ton centre d’intérêt, quand c’est du boulot d’ailleurs car j’ai plus entendu parler de travaux et bricolages domestiques. Le lien social continue de se faire par des petits groupes à l’espace café mais il y a les heures de pointe, où ça se bouscule et ça déborde. Pour celui qui n’est pas familier de ces moments, c’est l’isolement et rien n’est fait pour sortir de la déprime dans un décor uniforme et sans âme. Je sais qu’il y a des espaces de travail plus glamour mais là, c’est terriblement monotone. Il n’y a même plus la moindre plante verte, le moindre poster.
Et puis comme les bureaux sont moins nombreux et plus resserrés, ça pose d’autres problèmes que la promiscuité. Pour les grands comme moi, il faut des bureaux surélevés. Mais quid des personnes en fauteuil ou ayant besoin d’autres aménagements spécifiques? Le passage entre les bureaux est très limité et une personne en fauteuil sera vite gênée. On a déjà du mal à faire installer des rampes d’accès alors ça…C’est quelque chose qu’on ne verrait pas aux USA où on pense à ça. Je ne parle même pas de la taille des toilettes qui a aussi été réduite et c’est toujours surbooké aussi… et dégueulasse. Nous sommes en France. Mais la différence culturelle n’a pas été prise en compte. Là où l’américain est plus liant d’entrée et plus froid ensuite, là où on vise l’efficacité dans la réunion, le français est bavard, indiscipliné, méfiant d’entrée mais plus volubile ensuite. Notre structure linguisitique pousse aussi à interrompre plus facilement l’autre qu’un Allemand, par exemple. Et au delà de la différence culturelle, il y a la différence d’activité. Elle n’a été prise en compte que dans le ratio bureau/employé où finalement on a pas gagné grand chose. Je ne reste pas tellement à mon bureau mais je fais beaucoup d’aller-retours avec des coupures par des appels, des phases d’analyse, etc. Donc j’ai quand même besoin d’avoir du calme, éviter le stress de trouver un bureau disponible. Et puis personne n’a pensé à prendre en compte l’afflux de stagiaires et apprentis avant l’été.
Munch a saisi la joie des travailleurs après une journée en flex office? Oups, non, c’était en 1915
La mode est aussi au “co-working” (travail en commun), une invention qui n’en est pas vraiment une car avoir des tableaux pour partager nos idées dans des réunions, ce n’est pas nouveau. Sauf qu’après avoir mis en place tout ça pendant des années, on casse tout et … on oublie ces espaces. Il faut donc se débrouiller par soi-même pour trouver un lieu quelque part à privatiser pour cet espace d’échange. Je pense même que ça survivra bien plus que le flex-office, mais bon. J’ai essayé toutes les formules de co-working en dématérialisé et ça ne marche jamais aussi bien que les bons vieux tableaux, stylos et post-its. On a donc deux directions opposées à concilier ici, à se demander si ceux qui aménagent ne travaillent pas … seuls dans leur coin.
Le rendement espéré n’est pas forcément là puisque l’on a de nouvelles activités. Comme je le disais, il faut d’abord trouver un bureau, localiser ses collègues. Ensuite on doit chercher un box quand avant on pouvait réserver plus facilement une salle. Et puis il faut passer par son casier, déposer ses affaires, se changer, puis ensuite par le bureau où l’on démarre son PC, on règle son écran, son siège, on branche les cordons, le cadenas et ça plusieurs fois par jour, parfois. Comme en plus on a un PC et une boite, ça fait autant de risques en plus dans les déplacements pour faire tomber quelque chose. Les chaussures sont laissées dans des casiers à l’air libre mais on a vu plus hygiénique et agréable. Et puis comme les zones sont plus mutualisées qu’avant, on se retrouve avec un problème bien connu en colocation : Qui fait les tâches ménagères ? Déjà que la réduction des coûts a diminué les passages des personnes de l’entretien mais là, ne comptez pas sur les autres pour nettoyer la cafetière senseo, nespresso, dolce gusto, labitatoto, …. C’est pour voir si vous suiviez encore. Ce sont un peu souvent les mêmes qui prennent le soin de nettoyer, parce qu’on apprécie l’hygiène. Sinon, on a la solution “Machine à café”, le truc qui nous sort un jus marron dégueulasse. Question de goût…
Bilan, après quelques mois, on ne peut pas dire que les habitudes soient prises et qu’on gagne en productivité. La communication intra-service y perd et celle inter-service n’y gagne pas non plus. Cela tient aussi au management général, c’est sûr, car certains se disent que c’est du tout cuit. Mais le pire c’est que l’ambiance est morose alors qu’avant on avait quand même un peu de chaleur. On entend parfois la mouche voler mais c’est plus son ronflement car elle s’endort. On se sent plus oppressé par cette promiscuité forcée. Mais surtout ça va totalement à l’encontre de l’idée du bien-être au travail, de créer l’envie de venir dans un environnement agréable. Parallèlement à cette mise en place, je voyais des cours magistraux sur la recherche de ce bien être. Là, c’est l’inverse qui a été fait parce que, comme je vous disais en introduction, on a 20 ans de retour d’expérience aux USA et ailleurs sur ce mode de fonctionnement. Apparemment, les décideurs de ce genre de choses ignorent tout. On va avoir des gens encore plus stressés, venant la boule au ventre dans ces usines à tertiaire. Et je vois défiler ainsi ces modes d’aménagement au fil des années, comme si certains se creusaient périodiquement la tête pour se donner un boulot et pas pour améliorer celui des autres. On retrouve aussi l’écueil de vouloir appliquer des idées d’un pays/d’une entreprise à une autre sans prendre en compte la culture présente des deux cotés. J’ai connu ça aussi en système qualité où c’est une catastrophe. Heureusement, là aussi, on évite la recopie bête, aujourd’hui. J’attends déjà impatiemment le nouvel aménagement. En axe de progrès, je propose déjà l’avenir et ca motivera peut-être mon camarade Anatole…
Mais en attendant, il faut que je m’entraine à être en forme pour porter mon petit cartable, ma petite caissette d’affaires personnelles sur chacun des bureaux. Ma copine Olivia se charge de l’entrainement.