Blog - Voyage dans la 4ème dimension
Le week-end dernier, je suis allé au cinéma voir un film que normalement je n’aurais jamais du voir… Mais plus que la comédie potache qu’on me promettait, je me suis retrouvé dans une sorte d’univers parallèle dont j’avais un peu trop ignoré l’existence : La France d’aujourd’hui.
Tout a commencé dès mon arrivée au cinéma, où j’ai eu l’idée absurde de prendre un café. Chez UGC (oui, je balance…), on te dit : “Pas de problème, installez vous à une table, j’arrive pour vous servir”. Bon, j’ai une bonne demi-heure d’avance, ça devrait aller et je pense naïvement que la salle ne sera pas pleine pour …ça. On donne la carte de fidélité (la carte illimité) et on commande à la table. Et là on voit notre serveuse qui part à la caisse des confiseries voir sa collègue et servir des clients…Il n’y avait qu’une file de 2 clients. Elle nous laisse en plan et 5 minutes après, on voit sa collègue revenir à sa place avec notre carte dans la main….Et servir des clients arrivés bien après nous au comptoir. Vu le temps que met la machine à chauffer, elle avait déjà intérêt à la mettre en route mais non, c’est normal. Elle ne connaît pas madame Ice qui lui bondit dessus pour lui rappeler que ça serait bien de faire les choses dans l’ordre. Le problème c’est que dans ce cinéma, ça devient routinier ce genre de désorganisation. C’est la panique dès qu’ils ont 3 clients en même temps et le management brille par son absence et son incompétence. Pour tout vous dire, deux fois ils ont oublié les lumières au début de la projection et j’ai dû aller à l’entrée du cinéma pour trouver une personne compétente. Mais bon, ma soirée dans ce monde parallèle ne faisait que commencer.
Ils sont là, parmi nous…. les envahisseurs (et là encore, ils ont l’air normaux)
On se rend donc vers la salle, à 15 minutes de la séance (sachant que tu as 20 minutes de pubs en plus derrière) et là, grosse file d’attente. Bon, il faut que je vous dise que je suis allé voir “les Tuche 3”, parce que ça s’annonce dans le top 10 de l’année et que j’ai autant de mal à comprendre qu’on en soit au 3 que pour Fast and Furious qui va atteindre un jour le 10ème épisode. Devant nous, une foule de gens de tous ages, toutes origines sociales (j’insiste sur ce point pour ne pas qu’on y voit un mépris de classe dans ce qui suit…) mais souvent avec enfant. Bon, c’est vrai que je fais assez vite le lien entre les Tuche et les realTV scriptées genre les marseillais vs les chtis. Juste devant nous, deux sœurs BCBG , la quarantaine, avec une gamine. Je viens juste de me les taper dans la file confiserie (je suis con, je voulais un soda…) lorsqu’elles faisaient la queue, laissant leur gamine faire des allers-retours dans les rayons pour choisir… et faire attendre les clients. Je reste zen… Mais là, voilà qu’elles identifient un “ami” au fin fond de la queue derrière nous. Il vient leur dire bonjour mais au lieu de repartir derrière, le voilà qui tape l’incruste. Mais pas tout seul, ah non, il vient avec toute sa famille, soit 5 personnes de plus et pas même la politesse de demander si ça dérange quelqu’un qu’il passe devant 30 personnes, sachant que le trio de départ ne venait pas pour réserver de la place. Zen, nous restons zen….ce qui rime avec sans-gène.
un film qui se fout de toi, tu lui mets pas son copyright…
Allez, on rentre dans la salle. Il reste du popcorn sur le siège et madame se tape un siège dont l’assise coulisse en avant pour laisser un trou béant avec le dossier. Devant nous, une rangée de gamins avec parents, genre famille recomposée. J’aurais du dire décomposée, vu ce qui va suivre. La moitié est rivée à son smartphone, et pas du petit smartphone d’entrée de gamme, de l’iPhone et du galaxy S. Chacun a ses priorités, me direz vous (faudrait que je vous raconte les conversations des lyceéns dans le bus, tiens). Les pubs commencent, parfaitement ciblées par rapport au public des Tuche : Dubosc, Boon, … on reste dans la comédie familiale, presque haut de gamme par rapport à ce que je vais voir. Je viens en terrain connu, j’ai vu le 1 (que j’ai noté 2/10 sur imdb) et madame a même eu le courage dans une période dépressive de voir le 2. Les gamins sont toujours rivés sur leur smartphone, à faire des photos, des sms, …bon, le message disant d’éteindre son téléphone passe à l’écran. Pas de réaction. Le film commence, ils continuent. Le gamin de 8-10 ans devant nous, surtout, qui mitraille. J’essaie de me concentrer sur l’intrigue (oui, je déconne, ça nécessite peu de neurones et synapses actifs…) et au bout d’un moment je lui tape sur l’épaule, pour lui signifier que c’est dérangeant, avec la formule de politesse et en prenant le soin d’interpeler son voisin que j’imagine le grand frère. Il tiendra 15 minutes….Il recommencera, jusqu’à filmer quelques secondes mais là, ce sont les gens du cinéma qui sont venus, ainsi que pour sa “soeur” qui faisait pareil. Ils tiendront 1/2 h et après ils ne vont faire que sortir, rentrer de la salle, faire une photo, revenir, sans arrêt. La famille Tuche était en fait sur l’écran et devant moi. Pire qu’une séance de Rocky Horror Picture Show au Studio Galande car là au moins c’est du 4ème degré.
Un autre représentant de la famille Tuche? On peut se le demander…
Je vous parle du film? Ca reste très BD, caricatural au possible, comme une succession de sketchs pas très drôles. Même avec une salle bonne cliente, ça faisait léger en rires. N’empêche que ça fait à chaque fois des millions d’entrées : 1,5M pour le premier, 4,7M pour le deuxième…Et ils se mettent à 5 scénaristes pour ça (je veux pas les mêmes substances qu’eux pour pondre ça…). Cette fois, ils se moquent de la politique mais en fait tu te dis rapidement qu’ils se moquent de toi, spectateur. Oui, tu es un Tuche quelque part à voter pour le candidat Tuche, celui qui fait le buzz sur un sujet creux…. et à aller voir un film Tuche. C’est une mise en abîme, voilà. La subtilité a échappé à beaucoup, comme lorsque l’on regarde un film des Charlots. On a quand même une grande spécialité du navet en France (qui va se poursuivre avec les adaptations de Gaston Lagaffe, Spirou et Fantasio, les ex-Robin- des-Bois s’étant fait une spécialité du massacre de la BD à sketch franco-belge ce qui est inadaptable, de toute façon) et je peux vous dire que coté humour régressif, des films comme “Idiocracy” ou “Rien que pour vos cheveux” sont d’une intelligence et d’une pertinence à des kilomètres au dessus. J’irai même jusqu’à dire qu’un bon Ace Ventura, ça le fait…Sur le lot, il y a quand même 3 ou 4 bonnes vannes, qui peuvent garnir une bande annonce. Mais de là à faire un film…. Enfin bon, ça dure 1H30 qui paraissent interminables (notez le jeu de mot très subtil…) Et nous avons réussi à ne pas faire bouffer du silicium et des terres rares à des gamins et des parents plus débiles que Jeff Tuche. Mais là je me suis posé des questions sur l’état mental de ces gens… (oui je prends mon ton hautain et condescendant)
Idiocracy, c’est pas culte, c’est une prophétie…
Déjà l’autre jour chez le médecin (vous connaissez mon amour pour cette profession pour laquelle j’ai des cartes de fidélité depuis 2 ans …), je vois la mère qui file directement son portable à une de ses gamines, histoire d’être débarrassée. Désolé, mais ça, je ne comprends pas. Tu as des bouquins à lire à coté, tu peux leur apprendre la patience comme on me l’a apprise, ou partager au moins ce moment. Non, on va vers la facilité. Au cinéma, c’est aussi ça avec cette famille. Plutôt que d’apprendre ce qu’est une séance de ciné par rapport à la télévision, qu’il faut savoir se tenir, non, on se dit qu’un smartphone règle le problème. On ne contrôle même pas ce qu’ils peuvent faire dessus et ils auraient aussi bien regarder une vidéo de cul pendant le film. Quand au fait de trouver normal de ne pas respecter l’ordre d’arrivée, d’oublier le sens de la clientèle, ça me dépasse et madame Ice qui a travaillé en Fast food dans les années 80-90 est exaspéré de voir ce que tout est devenu dans les activités de service comme dans le comportement. Individualisme, chacun pour soi… Ne doit-on pas y voir urgemment un problème d’éducation car je n’ai pas rencontré cela dans tous les pays où j’ai voyagé.
Samedi dernier, Cyrille a sorti un article justement sur le sujet de l’éducation et il est vraiment en première ligne par rapport à moi qui récupère quelques “grands”. Si j’avais des gamins, je serai vu comme un tyran, aujourd’hui et pourtant je vois quelques rares collègues qui ont été intransigeants avec leur progéniture. Donc c’est possible….et aujourd’hui leurs enfants leur disent merci. Cyrille parle notamment du redoublement et du manque de sanction qui fait que l’on laisse tout filer, du rôle des parents. Il se trouve que j’ai rencontré ça déjà il y a 20 ans, lorsque pendant mon service militaire je suis tombé sur un type qui ne savait pas lire ou écrire correctement et qui pourtant était allé jusqu’en troisième! Il avait redoublé mais au fur et à mesure, on le faisait tripler puis passer sans que sa situation s’améliore. Derrière tout ça, il y avait aussi des parents violents et sans doute plus mais ça, je ne pourrais le savoir aujourd’hui. Des gamins qu’on disait alors “attardés”, “à problème” qu’on laissait de coté, j’en ai croisé dans ma vie et la société n’est pas tendre avec eux. Déjà les enfants se moquent d’eux avec une violence inouïe qui n’a du faire que décupler avec les réseaux sociaux et beaucoup de parents n’ont sans doute pas idée de cela, de ce que commettent leur propre progéniture, reproduisant même parfois le comportement de leurs parents. Mais rien n’est prévu non plus ensuite pour eux. Je lisais le dernier numéro de la Revue Dessinée et sur le reportage sur une “pseudo-école Montessori” (on peut discuter du bien fondé de cette méthode après…), on rencontre encore un exemple du même type avec une absence de réponse des pédagos malgré les demandes des profs. Et quand on voit aussi comment on traite nos vieux, ça laisse une idée de ce que devient notre société. Mais ne croyez pas que la famille que j’avais devant moi était une famille “d’attardés”….ou que les attardés d’hier l’étaient réellement. Pas du tout, c’est plus complexe que cela.
Mais enfin en arriver à voir des gamins incapables de rester concentrés sur quelque chose qu’ils ont pourtant l’air d’aimer et connaître, c’est proprement hallucinant. On parle d’études sur la dopamine, sur l’addictivité à ces objets connectés et aux écrans, à la nouveauté. Oui, il y a de cela mais laisse-t-on alors nos enfants tous sombrer dans l’alcool, le cannabis, la coke… hum, joker. Là aussi, on achète la paix sociale à peu de frais, jusqu’au point de non retour, autant dans les ministères que dans les familles. Je suis à peu près persuadé aujourd’hui que cette génération est la sacrifiée de l’ère numérique, celle qui n’a pas encore compris ce qu’il se passe alors que petit à petit on “redompte la bête” de manière désordonnée. L’éducation nationale (sa direction, pas ses troupes) est toujours à la rue à hésiter entre le modèle nordique (responsabilisation) et le modèle asiatique du nord-est (bachotage) sans avoir pris en compte l’élément sociétal : Notre éducation parentale n’a rien à voir avec les sociétés nordiques ou asiatiques (je voudrais quand même préciser qu’il s’agit de Corée et Japon, surtout). Elle n’a même rien à voir avec celle des allemands, nos voisins, c’est dire. Il s’agit de remettre les parents devant leurs responsabilités et même plus de recréer la solidarité que l’on a oublié. Et ce n’est certainement pas le rôle des profs d’éduquer les parents à leurs responsabilités, à leur comportement.
Dans mon voyage dans cette salle de cinéma, je dois dire aussi que j’en fréquente souvent, que j’en ai fréquenté dans bien des pays aussi. Mais étrangement, c’était la première fois que je rencontrais cela et ça a sans doute aussi à voir avec le public du film. Un collègue a eu déjà ce cas là et a réagi comme moi. J’ai bien eu des “racailles” parfois dans un Megarama du nord de Paris mais ça restait juste des mecs venant foutre le bordel, expédiés dehors par 2 vigiles. L’individualisme, je l’ai vu partout, même dans des salles d’art et d’essai de gauchistes dans une municipalité de droite (Dieu fera le tri…). Mais cette descente lente vers la lobotomisation de masse, c’est comme si je revoyais justement quelques films anodins qui prophétisaient cela il y a une dizaine d’années (d’ailleurs le MIT parle du problème des algorithmes et de l’accentuation des inégalités… ah oui, c’est en anglais, comme pour Manjaro :p). Le manque de créativité ambiant que je ressens aussi dans le monde du design ou de l’art vient aussi sans doute de tout cela. Nous avons trop de possibilités et la contrainte a toujours stimulé la créativité. Ce n’est pas seulement la lassitude de quelqu’un qui a trop vu, c’est un constat de plus en plus partagé. On standardise, on évite le risque, on reste sur des licences et de fausses dénonciations. Je lisais un article sur ces papes de l’art moderne comme Ai Wei Wei ou Jeff Koons qui n’ont aucun fond mais s’arrachent dans les milieux de la finance. C’est typiquement un reflet de la perte de l’échelle des valeurs. On fait de l’image sans fond dans un règne du tout image. On sait tout truquer ou retoucher mais rien regarder.
La débilité profonde d’Ai Wei Wei (ou de ses fans?) qui croit dénoncer par cela…
Et inévitablement, il faut parler du niveau général de l’éducation. Chaque année, on a des parents qui se plaignent d’épreuves trop difficiles. Maintenant c’est un QCM dans Parcoursup pour les étudiants en droit. Il serait infaisable pour des élèves de terminales. Euh, comment dire? Il n’y a pas de chronomètre ou d’obligation de ne pas chercher d’aide ailleurs et ça a valeur d’autoévaluation, histoire de voir si l’élève est toujours motivé. Il y en a même qui trouvent ça anxiogène….brr, les pauvres. Ne faites pas d’entretien d’embauche, alors avec des tests de personnalité ou de logique! Rien que les questions d’orthographe n’ont rien d’insurmontable si on se concentre. Mais le niveau est tellement faible aujourd’hui. La compréhension du texte ne fait pas appel à des notions de droit mais simplement de français et de vocabulaire. Au lieu de se plaindre, les parents feraient mieux de faire travailler un peu leurs gamins geignards qui sont venu pleurer dans leurs pantalons et jupes.
Et puis même dans le monde professionnel, tu vois des choses que tu ne voyais pas autant avant. Il n’y a plus de respect du matériel avec lequel tu travailles. Il n’y a aucune curiosité dans l’activité que tu pratiques. On te dit de faire des guides d’utilisation pour les utilisateurs avec photos et tout ça mais ils ne lisent même pas le truc. Tu les formes mais tu as l’impression de déranger. Tu essaies de faire ludique, de stimuler un peu la recherche de solution, de faire des petits groupes, mais la moitié préfère regarder son écran de smartphone et faire autre chose. Dans les réunions, il y a même des fois où je fais exprès de regarder le mien, juste pour voir les réactions. Il n’y en a pas… Quand je passe dans les installations d’essais, je vois tous les opérateurs rivés à leur smartphone plutôt que sur les panneaux de contrôle ou les rapports d’essais. Et il ne se passe pas une semaine sans que je trouve une erreur de saisie de paramètre ou résultat d’essai foireux qui aurait du sauter aux yeux. Cette semaine, j’ai encore fait de la prévention et de la formation sur ces sujets en essayant de trouver des moyens d’éviter les erreurs. Les ingénieurs sont balancés devant des résultats d’essais qu’ils ne comprennnent pas et qui n’ont parfois aucun sens. On a beau mettre X personnes à valider des essais et des rapports, la plupart ne les lisent pas avant, voir non pas les compétences pour les comprendre. Mais le jour où un hiérarchique montrera son ignorance crasse sur un sujet n’est pas encore arrivé. J’aime pourtant aller voir les anciens, les ouvriers expérimentés pour qu’ils me racontent, m’expliquent. J’étais réjoui quand même d’entendre le même discours chez un jeune qui s’occupe de créer des pièces pour monter tous les instruments de mesure sur un moteur. Tout n’est pas perdu…
Bon, je fais un peu mon rageux, c’est sûr mais on va essayer(*) de terminer par du positif. La couleur préférée des acheteurs de voiture anglais est … le noir, après des années de blanc. Vous voyez, on revient comme dans les années 20 quand Henry Ford voulait produire toutes les couleurs que l’on voulait pourvu que ce soit le noir. Un paradoxe temporel je vous dis, comme celui de vouloir être écolo et d’acheter des voitures de plus en plus grosses, de vouloir des services publics efficaces en votant pour ceux qui les démantèlent, de vouloir de la justice en ne respectant pas les règles les plus simples. Elle est pas belle la vie dans cette dimension? M’en fout, je m’habille en couleur!
(*): j’ai pas dit réussir…