Cinéma - Les Chatouilles d'Andréa Bescond et Eric Métayer (2018)
Je n’irai pas par 4 chemins, ce film me marquera durablement. Avec le sujet abordé, on pourrait penser que c’est normal mais c’est la puissance qu’il dégage qui frappe. De quoi en faire mon film de l’année…
Présenté comme une fiction, c’est pourtant l’auto-biographie d’Andréa Bescond, danseuse-chorégraphe-actrice et maintenant co-réalisatrice, qui est mise à l’écran après une pièce de théatre récompensée aux Molières : “Odette a huit ans. Elle est passionnée de danse. Mais un jour, un ami de la famille la viole, ce qui change le cours de sa vie. “ Odette (Andréa Bescond / Cyrille Mairesse ) c’est “le cygne qui meurt dans le Lac des cygnes, et elle le clame comme si elle y était prédestinée…prédestinée à être danseuse mais aussi à vivre un drame, à voir son plumage immaculé souillé à jamais. Et la mise en scène n’épargne pas le spectateur : Le violeur (Pierre Deladonchamps) apparaît dans les 10 premières minutes et commet le premier viol derrière la porte rose et fleurie de la salle de bain de la petite Odette, une symbolique qui sert de fil rouge. On a la nausée, on est en colère, révolté, impuissant… surtout que cela va se reproduire.
Et pourtant, juste avant, on a souri avec Odette et sa première prof de danse (Arianne Ascaride), ou après lorsqu’elle raconte ses premières sensations de danseuse à sa psy (Carole Franck), des années plus tard. La gravité des actes n’empêche pas de suivre cette jeune fille et cette jeune femme qui tente d’enfouir la cruauté de ces actes dans l’humour ou la rage. Elle se donne à fond dans la danse, éloignée de sa famille bretonne pour aller dans le 19ème arrondissement, ses trafics, ses amitiés, la drogue… La drogue qu’elle verra parfois comme un refuge lorsque ses cauchemars la rattrapent. La Thérapie ne suffit plus car en plus il y a cette absence de dialogue avec une mère absente (Karin Viard), un père aimant (Clovis Cornillac) qui ne voit rien à cause de son travail.
Mais surtout, ces viols ont détruit profondément Odette vis à vis de l’amour, des sentiments, du sexe. Elle est perdue, écorchée vive et elle le montre bien … Tout cela est raconté par le prisme des séances avec la psy qui elle aussi apprend, cherche puis guide Odette. On voit ainsi la scène racontée, la scène fantasmée avec Odette et la Psy qui deviennent spectatrices. La mise en scène est forte. Les séquences dansées (qu’on imagine reprises du spectacle théatral) sont puissantes souvent sur fond noir. Amateur de danse, j’ai eu le plaisir de voir beaucoup de styles différents dans lesquels Andréa Bescond s’est essayé dans sa carrière. Les seuls regrets que l’on peut trouver c’est qu’Andréa ne peut pas paraître totalement 20 ans quand la scène se passe à cet age là. Mais on oublie vite ce détail.
Je comprends que l’on n’aille pas voir ce film pour se distraire de la vie réelle, comme on va voir une comédie ou un film fantastique. Mais ce film est un témoignage de victime, qui retourne le spectateur. Souvent on a envie de rentrer dans l’image, intervenir, prévenir mais on se sent comme figé sur le siège, impuissant face à la violence des mots et de l’image. C’est là que pour moi une vision chez soi en streaming est moins adaptée car on peut “s’échapper”. La plus grande réussite du film est d’avoir su rendre ce sujet grave regardable et explicable. J’espère que, comme Andréa Bescond le souhaite, cela aidera aussi des victimes, des parents, des proches à aborder ces drames.