Blog - Une histoire de recyclage
Chaque semaine, je regarde le niveau de mes deux poubelles principales, celle où l’on recycle, celle où l’on ne recycle pas. Et je me dis que ce monde est mal fait…
Déjà, les éboueurs passent deux fois plus pour ce que l’on ne recycle pas que pour ce que l’on recycle. Si je n’avais pas de litière de chat, je pourrais presque me passer complètement d’un des passages. Je vois juste remonter le niveau de cartons que je recycle lorsque je passe commande par Internet, au lieu d’un magasin qui a disparu ou a déménagé trop loin (on a beau dire que c’est un problème de citoyens, mais l’aménagement du territoire, ça compte aussi). Mais hélas, il n’y a pas que les déchets dits ménagers. Il y a tous les déchets électroniques, les matériels de bureau de l’environnement professionnel.
Récemment, c’est une alimentation de laboratoire qui nous lâche au boulot. Le truc coûte environ 1300 euros neuf, pour balancer du 20 V avec 50A de manière stable. La panne est complexe, intermittente, quand l’alimentation chauffe un peu longtemps en charge. Le distributeur français nous annonce un forfait de 500 Euros. Nous passons par une société tierce pour la maintenance qui se prend 20% au passage. On sort alors la petite règle de gestion qui veut qu’on ne répare pas ce qui coûte plus de 30% du prix neuf et au revoir l’alimentation. Ca marche comme ça dans les grosses boites. Et puis nous sommes à la fin de l’année, le budget du service est déjà bien mangé, donc pour racheter une neuve, il va falloir prouver que c’est indispensable, qu’on ne peut pas travailler sans, etc… Evidemment, on peut toujours se démerder sans, être “Agile”, comme on dit en novlangue ! Nous pourrions aussi passer du temps à l’ouvrir, regarder quel composant peut être en cause, le commander, le déssouder, le changer… Ce n’est pas notre métier et nous avons déjà trop à faire pour perdre du temps là dessus. L’alimentation va partir dans une benne “déchets électroniques”, prise par un autre prestataire dont on espère juste qu’il n’envoie pas tout dans un pays du tiers monde pour valoriser tout cela.
La Roue de Bicyclette - Marcel Duchamp 1913
A côté de ça, nous avons les changements de mobilier dans les réaménagement de zone. Les chaises de bureau sont les premières à partir à la benne, même fonctionnelles. Parfois, nous réutilisions des organes de ces chaises pour faire autre chose, comme le support, les roulettes pour poser des choses dessus, les régler en hauteur, les faire rouler. Aujourd’hui, on fait appel à des entreprises des pays de l’est pour tout dépouiller partout, ramener ça chez eux pour la revente, le recyclage. Idem pour toutes les installations lourdes et on ne fait pas dans la dentelle. Tout doit disparaître le plus vite possible. On ne sait pas où, ce n’est plus notre problème. Même les écrans d’ordinateurs qui fonctionnaient ont été jetés, pour de nouveaux 24 pouces scintillant parfois bien plus que les anciens. Le peu de soin pris pour les faire disparaître ne leur laisse aucune chance de survie. Les entreprises peuvent se verdir dans les pubs, les actes aussi élémentaires ne sont pas là!
Dans ce monde un peu fou, nous avons aussi de petits objets qui nous servent à sauvegarder des données. Le disque dur portable, baladé un peu partout, ne dure pas si longtemps que ça. Il meurt avec des données peut-être confidentielles mais devenues inaccessibles à moins d’y mettre le prix. Et puis il y a** la clé USB**, souvent la seule sauvegarde des Michu, au point qu’on supprime trop souvent l’original… Sauf que cette clé, fabriquée en Asie du sud-est dans des conditions déplorables, est rarement le truc hyper fiable mais plus souvent du low cost donné comme cadeau. A force de quelques cycles d’utilisation, c’est la panne, la disparition des données et la mise à la poubelle. Car si on peut encore trouver quelque chose dessus, c’est à coup de billet de 500 pour quelque chose qui n’en vaut que 5 ou 10! Personne ne nous prévient de la fiabilité du disque dur, de la clé USB ou même du Dvd gravé. Personne ou presque n’envisage que ça s’efface. Personne ne pèse le risque et ne respecte la règle des 3.2.1.
Aujourd’hui, je m’inquiète du** sort de mon ancien smartphone**. Il y a encore des données dessus, forcément. Je ne peux plus le recharger, donc le redémarrer puisque prise H.S. et batterie H.S. en plus de l’obsolescence artificielle des versions logicielles. Je n’ai rien de bien secret dessus mais il reste partiellement fonctionnel. Je vais donc le mettre au recyclage qui va peut être valoriser le truc, mais il y a peu de chance qu’il soit réparé. Je pourrais m’amuser aussi à bricoler une prise de recharge, changer la batterie ou le laisser comme ça, effacer ce qu’il y a, le dépecer et revendre ou donner les composants utiles. Cela dépasse les compétences que j’ai vue la petitesse des composants concernés sur ces cartes mères qui respirent si mal. Je prends le risque de le déposer au recyclage, sans massacrer la mémoire de masse.
Heureusement, tout n’est pas comme ça. On peut encore réparer des choses, comme l’alimentation si fragile d’une console PS3. On peut démonter encore des PC pour enlever le disque dur, pour changer la batterie, même si c’est de moins en moins accessible. Sur mon netbook sur lequel j’écris encore, j’ai une trappe pour le disque, une batterie amovible. Trop cher aujourd’hui avec cette mode de l’unibody ou tout intégré. Mais si ce n’est pas impossible, cela reste cher. Cascador parlait récemment de son portable d’une sombre marque taiwanaise à éviter comme la peste (coucou Acer !), dont la batterie coûte 80 Euros ! Ca va encore, on ne réfléchit pas trop par rapport au prix du neuf, de même que pour un disque dur. On réfléchit un peu plus quand c’est l’écran, hors garantie, car c’est plus difficile à faire soi même, donc main d’oeuvre. Cela s’adresse au passionné, au spécialiste, au bricoleur, ce que ne sont pas tous ceux qui cassent l’écran, en général. Car j’ai tendance à penser que celui qui aime bricoler ce genre de choses fait plus attention à son matériel. (bien que je connaisse des contre-exemples)
(Jonathan McIntosh sur Wikipedia)
Aujourd’hui, je vois les télévisions qui sont aussi l’objet de devis la rendant économiquement peu réparable. La grande dalle de 140cm, tu ne la transportes pas sous le bras, donc tu as déjà le forfait déplacement. Le technicien qui vient, sous-traitant de sous-traitant, n’a sans doute pas d’intérêt à rester très longtemps donc à aller chercher la petite bête. Et pour beaucoup de monde, se passer de télé, aujourd’hui, c’est comme se passer de portable, faut pas que ça soit trop long. On joue sur le psychologique, sur l’acceptation de la mort d’un objet. On a pourtant parfois intérêt à parcourir le net pour trouver ce qui lâche souvent dessus, le composant à changer, avoir un minimum d’outils ou d’amis en ayant pour se démerder. Sinon, là aussi, ce sont des centaines d’euros à la benne, c’est un gâchis de plus dont on ne mesure même pas l’impact environnemental. Et si on légifère sur l’obsolescence programmée, il n’y a aucune notion de réparabilité, pas de petite note sur l’étiquette du prix de A à F comme pour l’énergie. Et pourtant, c’est beaucoup d’énergie de refabriquer, de transporter les déchets, les recycler.
Alors récemment, j’entendais un médiatique ministre partir, la mine sinistre, en disant que personne ne défilait dans la rue pour l’environnement, pour la biodiversité, les abeilles. Je lui aurais fait remarqué qu’on défile aussi moins qu’avant pour les acquis sociaux les plus essentiels, comme la sauvegarde de nos hôpitaux, ou même de nos commerces de proximité… Il parlait de responsabilité individuelle, en plus de celle du politique qui fait face aux enjeux économique. Il y a quand même des minimas pour permettre au citoyen d’agir. Quand je ne peux plus acheter “local” pour certaines denrées, ce n’est pas de ma faute. Quand je n’ai plus de service public ou de commerce près de chez moi et que je dois prendre une voiture, ce n’est pas de ma faute. Quand le bien-être animal n’est plus pris en compte nulle part et que je ne trouve pas d’alternative, ce n’est pas de ma faute. Quand je ne trouve pas d’alternative éthique et durable en électronique, ce n’est pas de ma faute. (on me parlera du Fairphone, du Librem, de Firefox OS…. en oubliant le prix, la disponibilité, la diffusion ).
Evidemment, on peut aussi se poser la question façon “qui de l’oeuf ou la poule….”, Qui du consommateur ou du producteur décide de supprimer ou fournir tout cela ? Il n’est pas faux de dire que le pouvoir d’achat nous guide vers des solutions ou d’autres. Le notre baisse et ça a comme conséquence aussi de faire baisser un peu plus la balance commerciale, un ruissellement à l’envers que certains oublient. En cherchant à payer moins cher, nous allons plus loin, dans de grandes surfaces, dans des hard-discounters ou faisons transporter de très loin en commandant par Internet. Le prix indirect de tout ça, qu’il soit environnemental, social, nous ne le voyons jamais. Si je fais attention à prendre local dans les fruits et légumes, si je privilégie une fabrication européenne ou française à une autre, il y a bien des moments où je ferme les yeux. Trop souvent… Parce que je ne peux pas toujours m’en passer, parce que je ne peux pas être toujours “agile”, parce que je ne recycle ou ne répare pas tout non plus, parce que je suis parfois sensible au marketing, parce qu’entre plaisir et moyen il y a des choix à faire, pas toujours logiques.
Peter s’y entendait, lui , dans ce domaine !