Blog - Who we are
Comment ça un titre en anglais ? Et encore une histoire d’identité ? Non, je ne vais pas parler de ce sujet, encore que… Mais je fais référence à “Who is America”, la nouvelle émission TV de Sasha Baron Cohen, qui défraie la chronique.
Sasha Baron Cohen, je vous le situe, c’est le réalisateur acteur de Borat, de Brüno ou encore de The Dictator. C’est un provocateur né, le roi des vraies fausses interviews à coté duquel Raphael Mezrahi passe pour un bisounours. Son truc, c’est d’incarner un personnage extrême devant des personnes réelles. Ainsi, il y a eu le journaliste Kazakh qui découvre naïvement l’Amérique, puis le journaliste de mode homosexuel hardcore qui veut devenir le nouveau pape de la mode et enfin le dictateur amiral général Hafez Aladeen. C’est dérangeant et désopilant la fois et on se demande où s’arrête la réalité par rapport à la fiction. Alors quand j’ai vu qu’il déclinait le concept dans une série qui fait le portrait de l’Amérique de Trump, j’en salivait d’avance.
Je n’ai pas été déçu du voyage et cela paraît, au premier abord, incroyable de pouvoir faire dire de telles horreurs à des gens face caméra. Tellement incroyable que c’est proprement effrayant à quel point on peut on peut être à la fois manipulé (car il y en a dans le tournage, forcément) mais aussi proférer des horreurs. On a droit à l’homophobie, au racisme, aux armes, au monde de l’art, rien que dans le premier épisode. Le seul qui s’en sort honorablement, c’est Bernie Sanders, candidat démocrate très à gauche (pour les USA). Pour le reste, ça pourrait paraître une caricature mais hélas, ce sont de vrais gens face à notre héros déguisé en d’improbables personnages. Il a le bon goût de montrer aussi ceux qui n’ont pas été piégés et ont stoppé l’interview, même des républicains. Mais après le visionnage, je me suis demandé ce que cela pourrait donner en France, puisque c’est quand même le pays que je connais le mieux. Est-ce que si nous avions un Sasha Baron Cohen français, nous pourrions tourner cela ? En dehors de l’aspect juridique qui empêcherait toute diffusion d’images sans accord de la personne, je ne vois pas qui pourrait le faire. Mezrahi, c’était simplement marrant sans être politique. Baffie, c’est un faux rebelle qui a trouvé un bon créneau. Mais qu’importe la personne, il faudrait surtout de la matière.
Des hommes et femmes politiques capables de sortir de telles choses, de l’insulte raciste à l’idiotie complète, nous en avons déjà vu et possédons quelques champion(ne)s du genre. Mais il se trouve que la semaine précédente, “dans la vraie vie”, j’ai entendu des discours qui auraient pu être filmés pour une telle série. Il suffit de pas grand chose pour libérer la bête qui sommeille. Il suffit par exemple d’aborder un sujet qui fâche d’une manière ouverte avec la bonne personne. Tiens, lui est judéophobe alors je vais parler des juifs de manière neutre. L’autre est islamophobe, alors je vais parler d’une personne musulmane, et ainsi de suite. Lui, je ne sais pas, alors je teste… Il n’y a pas besoin de faire grand chose une fois que la personne est en confiance, ça sort tout seul. La haine était là, juste nichée à l’intérieur, prête à bondir et d’ailleurs, n’est-elle pas aussi chez moi, quelque part nichée. Sans doute, j’en ai forcément envers certaines personnes, et j’ai le bon goût (hum) de ne pas trop le cacher à la personne concernée parfois mais est-ce comparable ?
Mme Jeantaud dans le miroir - Edgar Degas 1875
On peut se dire que tout tient** à la grâce du montage et de la manipulation alors ?** Oui, il y a une exagération qui arrive (ça s’essouffle dès l’épisode 3 je trouve) mais ça ne suffit pas. On a un portrait du mal qui nous ronge et qui pourtant va… faire rire ! Car c’est tellement énorme que l’on finit par rire, comme si nous nous comparions avec ces personnes, en se disant “Mais qu’ils sont cons !”. Ce sont des idiots utiles mais des idiots qui ont du pouvoir parfois et c’est cela qui fait avoir une réaction horrifiée. Sasha Baron Cohen est un peu un Michael Moore trash, avec le même type de ressort de mise en scène que l’on peut critiquer mais qui reste révélateur d’une situation, d’un fond (la réunion de rednecks en Arizona est assez édifiante mais je suis sûr que l’on peut faire la même un peu partout en France et en Europe). S’il s’était contenté d’une conversation plus banale, ça n’intéresserait personne, mais faire sortir toutes les rumeurs et “fake news” en vogue (et même les journaux TV font des erreurs étrangement involontaires et à répétition) à quelqu’un qui paraît tout à fait sain d’esprit, ça capte l’attention. Sauf qu’à un moment, on se demande si ça ne propage pas cette rumeur ou cette fausse information.
Car si moi je regarde avec un œil critique, en sachant “la vérité” et en détectant certaines horreurs et erreurs, ce ne sera pas le cas de tout le monde. Même si la mise en scène pousse à prendre cela en dérision, on montre une idée malsaine et on peut rallier aussi ce “camp du mal”. C’est un peu comme ces petites discussions que l’on peut avoir dans un groupe de personne. On se retrouve vite dans une guerre de tranchée qui n’a rien de bon-enfant. Conforté par les propos d’une personne, une autre embraye et vient grossir le propos, abonder dans ce sens et on se retrouve tout seul face à la meute. L’effet de groupe reste toujours présent chez l’humain, twitter n’ayant rien inventé ( le forum 18-25 de JeuxVideo.com s’est illustré jeudi dernier par un envahissement de Mastodon, montrant au passage la fragilité de la fédération(?), avec insultes et provocation…hum, certaines leçons ne suffisent pas). Pas plus tard que la semaine dernière, le youtubeur Squeezie parlait d’abus de mineurs chez des Youtubeurs sans citer de noms. Beaucoup de ses followers se sont chargés de propager des rumeurs sur quelques personnes, avec des montages etc… De la pure diffamation qui peut ruiner une réputation d’innocent ou bien un fond de vérité ? Impossible de le savoir mais ça a duré et ça laisse des traces dans la tête d’un public encore très jeune et qui ne sais pas décoder le vrai du faux. N’étant pas très familier avec les stars de Youtube, je ne sais qu’en penser mais nous sommes dans une relation star-groupies avec les dérives déjà bien connues.
Il faut avoir les moyens de décoder et contrer tout cela. Il m’arrive souvent d’entendre des “rumeurs” sur les juifs, les francs maçons, les arabes, les chinois, les riches, les pauvres, les “migrants”*, les roumains, la liste est longue… Et je finis souvent par demander la source de l’information. Ca se termine toujours par “c’est untel qui me l’a dit”. Et moi d’insister pour aller chercher une source fiable, même si on me dit que le untel est bien informé. Le terme “bien informé” aujourd’hui, avec Internet, n’a plus vraiment de sens. Il y a de la désinformation volontaire, des informations que l’on privilégie pour en masquer d’autres, des tonnes de sites qui alimentent les théories les plus “croquignolesques” (oui, j’essaie de parler ce dialecte parlé dans des contrées reculées de Paris 8ème, voir Bormes les Mimosas l’été…) et ainsi alimentent les moteurs de recherche pour passer devant l’information neutre et sérieuse. Je suis allé lire ou relire des passages du Coran ou de la Bible, pour comprendre parfois, lire des articles dans la langue originale avec plusieurs traductions. La vérité se mérite, s’il y en a une claire. Sasha Baron Cohen a même été jusqu’à créer un vrai faux site sur les fakenews, pour construire un personnage. Et avouons que parfois nous sommes attirés par le sensationnel, que nous ne croyons pas toujours à des coïncidences, des trous dans les histoires que certains pensent masquer au lieu de les combler. La nature déteste le vide et nous aussi. Sauf que nous avons tendance à le remplir de merde.
Parfois je me dis que si j’étais filmé moi aussi, si on m’interrogeais,** je serais sûrement horrible à regarder** pour beaucoup de gens. J’alimenterais des théories auxquelles je crois, j’exprimerais du ressentiment, je montrerais la vérité de la manière que je veux et qui m’arrange, j’aurais l’air aussi idiot voir plus que d’autres. Cascador parle souvent du sentiment d’imposteur. Je l’ai également, même si je peux me surprendre en bien parfois. J’ai cet impression qu’on me voit parfois mieux que je ne suis réellement, que le masque va finir par tomber pour dévoiler ma médiocrité et révéler “Qui je suis”. Bon, je suis revenu à ce que je disais ne pas faire au début de l’article, finalement. Sans doute parce que la période s’y prête aussi mais c’est ce que m’a amené à penser au final à cette émission et ce que j’ai pu vivre ces quelques semaines à travers des conversations. J’ai l’impression que ce que nous sommes aujourd’hui ferait peur à ce que nous étions il y a 30 ans. Il y a 30 ans, nous étions en 1988, avant la chute du mur, au début d’un deuxième septennat de gauche, dans une Europe qui donnait encore un peu d’envie et d’espoir mais déjà avec des guerres, des migrations, une industrie ancienne qui peinait à renaître et tant d’autres symptômes qui alimentaient les peurs. Je suis plus âgé, j’ai une vision différente du monde, de la technologie, des informations. Et je ne sais toujours pas, après la génération désenchantée qui m’a suivi, ce que la génération actuelle fera. Parfois risible, parfois surprenante, elle n’est pas dans ce portrait de l’Amérique en tout cas mais elle deviendra un sujet de reportages.( Elle n’est pas non plus dans ma “Chronologie”.)
- : lu sur twitter d’un député LR et d’une élue RN, L’Aquarius prendrait directement les migrants dans les ports libyens en les rachetant à des passeurs. C’est évidemment totalement faux et non sourcé !