Réflexion - Dématérialisation et destruction de l'environnement
Dans la chasse au gaspillage, aux papiers inutiles, à la possession physique, notre monde est parti dans la dématérialisation des contenus. Cloud, streaming, périphériques connectés sont les mamelles de cette nouvelle économie que l’on croît plus propre. Mais si c’était tout le contraire et que nous surconsommions sans le savoir ?
C’est en m’intéressant au sujet du stockage numérique et de la sauvegarde des documents que je me suis mis à penser optimisation. J’étais déjà convaincu que le streaming était un gros problème, notamment en terme de bande passante et de moyens à mettre en oeuvre pour assurer une qualité de service chez les fournisseurs d’accès (FAI). Mais aujourd’hui, on revient dans les travers du tout distant, du zéro stockage sur son poste avec des nouveaux “network computer” que sont les Chrome OS. Donne moi tes données, je saurais les sauvegarder. Mais derrière cette impression de sécurité, et au delà du simple pillage des données personnelles, il y a aussi une consommation de ressources. Alors que lire un fichier sur son poste/terminal n’utilise que son poste/terminal, aller chercher un fichier distant utilise des dizaines d’installations, pour ne pas dire plus : J’ai fait un test pour Deezer et je trouve déjà 4 serveurs intermédiaires. Même en utilisant un NAS personnel chez soi, on utilisera moins de données… Si on reste chez soi bien entendu. Je ne ferai pas la démonstration que prendre un peu moins de fichiers musicaux sur son téléphone, c’est aussi “Mieux écouter”.
Des études existent pour démontrer le fait que ce modèle économique du streaming audio et vidéo est tout sauf écologique, et surtout très contre-productif. Et en plus, ça paye moins les créateurs de contenus que sont les artistes…. à quelques exceptions, peu utilisées. Si je prends l’exemple de cet article Suisse, un pays plutôt proche du notre dans les modes de consommation numérique, on a donc 8% de l’électricité qui part dans les infrastructures web locales. On ajoute 7% sur le matériel électronique utilisé sur ce réseau. Il faudrait ajouter une part de tous les serveurs extérieurs au pays pour être complet. Mais sans cela, on a déjà 15% de l’énergie consommée ! Dans certains pays, ça veut dire des hydrocarbures, du charbon… Dans cet article, on parle de 10% de la consommation mondiale qui passe dans le numérique, quand d’autres parlent de 18% pour les seuls data-centers. Si des efforts sont faits pour récupérer la chaleur et la transformer à nouveau en énergie, cela ne compense pas la croissance exponentielle du secteur. Les prospectives vont plutôt vers 25% de l’énergie produite consommée par l’industrie du numérique en 2030 ! Google peut y aller de ses promesses...
Ce n’est pas être décroissant que de dire cela. C’est juste de l’intelligence et de l’efficience. Mieux gérer son contenu numérique, c’est donc aussi participer à cette frugalité énergétique tant appelée de nos voeux. Tout ne se mesure pas, hélas, sur les relevés de notre Linky adoré. Combien de fois charge-t-on son mobile en dehors de chez soi, par exemple. Et combien de fois ne coupe-t-on pas ses données sur le mobile, ce qui ne manque pas d’utiliser des ressources, en même temps qu’envoyer ce que l’on ne voudrait pas ? (voir les 10 commandements…). Il faudrait rajouter donc des commandement dans les 10 déjà vu à commencer par sa boite mail. J’ai depuis 2 ans revu complètement ma manière de la gérer, avec un tri systématique de ce qui entre dans les 24h puis un tri trimestriel des dossiers, une suppression des vieux mails automatiques. A mon boulot, on vient même de nous l’imposer, aussi pour des raisons de sécurité et de classement. Car tous ces mails, ce sont des GigaOctets de données, des serveurs, donc de l’électricité. A chaque fois que l’on réaffiche ça, c’est de l’échange de données. On peut déjà en archiver quelques uns. D’autres règles s’imposent, un peu comme le courrier papier que l’on reçoit chez soi, d’ailleurs.
Mais pour les autres contenus numériques, comme par exemple la musique où les vidéos, il faut trouver un juste milieu. Pas question de se promener avec sa pochette de CD, son Discman/Balladeur CD ou DVD pour voir des films. C’est tellement années 2000 ! On peut évidemment avoir des fichiers sur son téléphone ou quoique ce soit qui puisse jouer de la musique pour nous. Comme je disais, c’est l’occasion de se poser des questions sur ce que l’on écoute, ce que l’on a envie d’écouter. Je récupère quelques podcasts que je veux écouter et réécouter, par exemple sans avoir à interroger la terre entière pour y ré accéder. J’ai quelques albums classiques avec moi et ceux que j’ai envie de découvrir. Je me suis fixé une limite totalement arbitraire à 50 et vous verrez que c’est peu quand on y réfléchit un peu… ça force à faire des compilations. Pour les films, séries, j’ai numérisé moi même quelques DVD que je possédais et je continue de bannir Netflix de ma vie, même au delà du problème de l’optimisation fiscale de cette boîte. Il y a d”abord le fait de voir un film ou une série comme une sorte de kleenex ou de hamburger de fast-food. Vite consommé, vite vu mais trop distrait pour bien le faire avec toutes les solicitations que l’on a autour de nous à la maison. J’y reviendrai…Mais si en plus on ajoute à cela la pollution générée par ce trafic, ça commence à faire beaucoup.
Mon choix se porte donc sur des plateformes qui permettent la “Possession” plutôt que la “location”. Quand on paye un forfait pour streamer, cela nous pousse à surconsommer, histoire de rentabiliser. J’ai eu même cette tendance avec le cinéma en illimité mais ça, c’était moins grave. Quand on achète, même en dématérialisé, pour posséder, on réfléchit déjà plus. Sur Bandcamp, je prends le temps de la réflexion, de l’écoute des extraits avant de me décider. Sur Deezer ou Spotify, je zappe plus volontiers, je butine mais je n’en garde pas grand chose. Et en plus un produit mis en favori en streaming peut disparaître du jour au lendemain, ou ne plus être accessible si on change de pays, par exemple. Je suis même revenu à l’encodage vidéo de ce que j’ai acheté par le passé, pour en disposer sur MON Nas, qui lui même a des horaires de fonctionnement, des veilles efficaces pour ne pas gaspiller trop d’énergie aussi. La surproduction de série et de films de licence n’aide pas à la frugalité culturelle, c’est sûr et il faut raison garder. De la même manière, il faut raison garder sur notre faculté à être informé en permanence. Ca ne sert à rien surtout quand l’essentiel est de la recopie de recopie et de la discussion sur peu d’éléments. Là aussi, je reviens peu à peu au temps long, à un choix d’information payante plutôt que des dépêches visant le buzz.
Le numérique dans toute sa splendeur…
Il y a quelques semaines, je parlais justement de l’information et cherchais un juste milieu. Mes flux RSS continuent de fluctuer mais avec une tendance à la baisse de plus en plus nette. J’ai regardé ce que je tirais des centaines d’information qui arrivent chaque jour. Pour une moyenne de 300 articles, je dois en garder 2,5 en moyenne qui m’intéressent. Cela sous-entend que je suis trop gourmand en information, en flux et donc je devrais aussi faire du ménage, ou du minimalisme, comme le dit Damien. Mais justement le flux RSS reste un moyen efficace d’éviter de trop consommer de données, en ne diffusant que l’essentiel… à condition de ne pas mettre tout l’article. Cela nécessite aussi de penser l’accroche de début d’article, évidemment sans tomber dans la caricature. Je n’ai pas besoin de parcourir longuement des sites lourds à charger lorsque je fais mon pré-tri par les en-tête et débuts d’articles sur mon lecteur. En plus du temps, je gagne de la consommation d’énergie.
Et puis au delà du contenu, il reste tous les terminaux dont la durée de vie n’est pas toujours un modèle. Si les PC portables ou non d’il y a 10 ans peuvent survivre, aujourd’hui avec le Unibody, on a des engins qui ne sont plus réparables, bardés de colles et de vis propriétaires. J’ai ma collection de tournevis et accessoires pour réparer des smartphones, maintenant. Un smartphone, c’est devenu difficile de le conserver au delà de 5 ans. Le recyclage des batteries n’est pas maîtrisé aujourd’hui, pas plus que dans l’automobile électrique qui envisage des secondes vies en stockage d’énergie tampon. Bien souvent, nos déchêts numériques finissent dans les pays du tiers monde, nourrissant une croissance virtuelle pour eux, mais surtout une pollution bien réelle. Mon choix se porte toujours vers la fiabilité, le suivi des versions d’OS/ROM, la réparabilité. Il faut donc que j’attende de voir un tuto sur un modèle avant d’acheter, ce qui n’est pas une mince affaire. Comme pour l’électro-ménager, je fais un compromis entre coût d’achat et disponibilité/provenance des pièces détachées. Sauf que dans le hardware numérique, nous n’avons que peu d’information sur cela. Trouver une batterie neuve pour un smartphone de 5 ans devient problématique. Même mon vieux PC va aller vers sa troisième batterie, si ça continue, l’écran et le reste continuant leur route. Et puis c’est complètement opposé à la notion même de croissance dans notre économie capitaliste où les marques doivent vendre et continuer à vendre. Ce n’est pas un hasard si beaucoup laissent le hardware pour faire du service.
La dématérialisation compte bien justement sur des biens matériels pour proliférer, des biens fabriqués loin, sans trop de contrôle environnementaux, pour l’instant, et aucune alternative pour le consommateur. Repenser local est difficile globalement mais peut s’imaginer peu à peu. Ma règle sera encore “Matériel d’occasion”, démontable et réparable avec OS Maintenable ce qui n’est pas encore la règle dans cette industrie. Paradoxalement, j’ai l’impression que l’on faisait mieux dans les années 90-2000 que maintenant. Comme pour les data-centers où la prise de conscience est récente, la recherche de durabilité et d’efficience n’est pas encore courante. Refaire du local, c’est donc imaginer une économie du broker de proximité, en qui on peut avoir conscience, une économie du développement d’OS pour maintenir les moyens fonctionnels, une économie de la pièce détachée où il n’est pas plus cher de réparer par rapport à racheter du neuf et c’est là que ça coince. Comment peut-on imaginer concurrencer un bien fabriqué à très bas coût, souvent par des enfants, avec un transport qui coûte si peu cher tout en polluant, par rapport à une économie locale qui a des contraintes sociales et environnementales ? Illusoire pour l’instant sinon à niveler par le bas notre propre économie. C’est trop souvent ce que l’on voit comme alternative.
L’éthique a donc un coût, comme l’écologie. Ca devient compliqué quand elle a un cout indirecte dans son recyclage plutôt que sa consommation d’énergie. Il y a 15 ans, j’ai fait le choix d’un véhicule hybride, comptant sur la fiabilité de la marque plutôt que prendre un véhicule qui aurait duré la moitié. Je m’y retrouve donc même en considérant le recyclage problématique du surpoids en batterie et aujourd’hui, je suis au niveau d’un véhicule actuel de taille inférieure en terme d’émissions de polluants. Ce n’était pas gagné et d’autres propriétaires du même véhicule ont continué à changer rapidement leur engin pour consommer…Alors qu’il continuait à rouler. Je pense même que certains ont du être détruits avec des primes à la casse ! Le surcoût à l’achat que j’avais, était aussi calculé sur la durée pour me garantir que je restais rentable économiquement, mais surtout écologiquement par rapport à des prestations équivalentes de l’époque. Aujourd’hui, ce n’est pas complètement certain sur le véhicule électrique, selon les pays, et pas valable économiquement sans aides. Et bien sur nos périphériques numériques et sur nos consommations dématérialisées, ça sera aussi la même problématique. Prendre un abonnement à une plateforme de streaming ou à un logiciel dématérialisé (Office, Photoshop…), ça peut paraître une bonne idée par rapport à un achat physique ou pas, ponctuel. Il y a des biens que l’on n’utilise qu’une fois ou deux (films DVD, Blue Ray, par exemple) et l’économie de l’occasion est même dissuasive. Est-ce qu’il faut agir sur le prix neuf à baisser ou sur le prix d’occasion à monter ? La réponse va de soi pour le consommateur… Baisser, toujours baisser.
Jardin d’email de Jean Dubuffet 1974
J’entendais l’autre jour un producteur d’œufs de poule bio qui parlait de son prix élevé. A un euro l’œuf, c’est cher mais derrière, il affirme ne pas tuer les poussins mâles, ne pas couper les becs, nourrir et laisser vivre correctement les poules à plus de 18 mois, c’est à dire tout ce qui n’est pas la règle dans les œufs bio aujourd’hui. Apparemment, il s’y retrouve avec ce prix élevé avec une clientèle qui est prête à cela. Aujourd’hui, pas grand monde n’est prêt à payer 500 euros un smartphone à peine capable de performances d’un modèle à 150 euros pour une éthique imparfaite, en plus. Ce n’est pas la même chose qu’un œuf, avec une barrière psychologique sur le montant, des habitudes. Et pourtant ce même producteur d’œufs dit pouvoir baisser le prix avec des volumes plus importants, à l’avenir. Le consommateur ne veut déjà plus d’œufs en batterie donc on a avancé. Si le consommateur veut aujourd’hui tous ses médias partout, comme il voudrait tous les fruits toute l’année, il va falloir comprendre que ça n’a pas de sens. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de possibilité de posséder réellement un film en numérique, par exemple, pas plus que de trouver de vieux films sur des plateformes de streaming légal (Metropolis 3 euros en location, 8 Euros en achat sur les plateformes franco-françaises, L‘Aurore de Murnau, non). Une culture qui ne vit plus est une culture qui meurt. Tout ce que l’on peut espérer c’est donc la même prise de conscience pour l’économie numérique. De quoi retrouver notre harmonie sur le bon tempo.