Réflexion - Patrimoine architectural
Depuis l’incendie de Notre-dame, je vois que ça cogite sérieusement sur cette notion de patrimoine. Mais curieusement, ce que l’on s’autorise ou pas sur ce monument, nous nous interdisons de le voir partout autour de nous. Car tout est patrimoine…
Paris est majoritairement une ville de la fin du 19ème siècle, avec les travaux d’Haussmann, préfet durant le second empire. S’il ne nous viendrait pas à l’idée de détruire tous les immeubles de cette époque, il y en a pourtant qui ont été remplacés. D’autres voient leurs façades conservées pour être complètement revus de l’intérieur. Le baron n’a pas pris de gants, pourtant, pour raser une bonne partie de la ville, son patrimoine avec, qu’il soit du moyen-âge, de la renaissance ou du premier empire. Ce n’est qu’en rénovant le Louvre, que Paris s’est souvenu de l’origine moyen-âgeuse, pourtant si apparente avec l’ile de la cité, Notre-dame, la conciergerie, et je ne parle même pas de Lutèce. Les fortifications sont devenues un périphérique routier. Entre temps, il y a eu des guerres, des incendies, des révolutions. Personne ne se souvient aujourd’hui de l’incendie de l’Hôtel Dieu en 1718, et 1772, de celui du Palais-royal en 1763, de l’Hôtel de ville pendant la commune de Paris en 1871. Je pourrais remonter plus loin…Dans d’autres villes aussi il reste peu de trace des siècles antérieurs au 19ème siècle parce que nous n’avions pas le même regard sur ce patrimoine architectural et historique.
Le casino avec ses extensions dans tous les sens…
Je vais souvent dans une station balnéaire normande connue pour ses magnifiques villas de la fin 19ème, début 20ème. Mais avec les années, c’est un véritable massacre qui s’opère dans l’indifférence. Si elles sont encore debout, dans le détail, elles ont perdu leur âme. Ce sont d’abord tous les détails des façades, des frontons qui ne sont plus restaurés. Les grandes baies vitrées à entourage alu ou plastique ont remplacé les fenêtres aux multiples carreaux de verre. Souvent, elles ont été vendues par appartements et tous les propriétaires ne restaurent pas ou ne ravalent pas de la même manière. Les toits en chaume ont déjà disparu mais les toits avec les tuiles de couleurs ne sont pas préservés non plus et on se retrouve avec d’ignobles toitures modernes sur une villa aux multiples splendeurs, aux détails flamboyants. J’ai quelques traces de ce glorieux passé dans de vieilles cartes postales. Le pire que j’ai vu, c’est le grand hôtel, vendu une dernière fois dans les années 80 pour devenir un immeuble d’appartements et qui tombe en ruine aujourd’hui. Le casino a aussi été augmenté par de nouvelles ailes modernes, construites sans respecter ce qu’il y avait autour, essayant de singer un peu le style bel époque mais de manière fort maladroite. Je préfère largement la rupture de style comme ce qu’avait fait Pei au Louvre, justement.
L’architecture internationale qui domine aujourd’hui, peut nous paraître froide et sans âme, justement avec son alliance de verre, de béton et de métal. Pour certains, c’était le cas du Bauhaus allemand au début du 20ème siècle. Pourtant, cela fait aussi partie de notre patrimoine actuel ou récent. Tout n’est pas à conserver, comme tous ces hangars de magasins dans nos zones commerciales, ces innombrables rond-points qui parsèment le territoire avec de vagues sculptures en leur centre. Il faut souvent la patine du temps pour s’apercevoir de ce qui fait partie de nos vies. Il faut se souvenir que beaucoup des monuments qui attirent du monde aujourd’hui ont été haïs en leur temps. L’exemple de la tour Eiffel est le plus souvent cité. Je ne suis, par exemple, pas fan de la future tour triangle de Paris, pensant qu’il y avait plus original et utile à faire en ce lieu. J’écoutais Jean Nouvel, l’autre jour, qui disait qu’un architecte n’a plus beaucoup de lattitude de créativité aujourd’hui, disposant juste d’un parallépipède. Mais cette tour risque pourtant bien de devenir un point d’intérêt pour les générations futures qui se l’approprieront. Nous manquons encore de recul sur l’architecture actuelle et ce qu’il en restera.
Cholon et ses maisons tubes
Il faut dire que nous n’avons pas la même histoire architecturale que des pays plus récents, ni les mêmes habitudes. Quand je vais à New York, je vois une ville qui change sans arrêt avec toujours de nouveaux chantiers et plus grand chose du New York du début du 20ème siècle. S’il reste encore le Chrysler Building et l’Empire State Building, c’est pour leur histoire, leurs records de hauteur mais d’autres de leurs concurrents de l’époque n’ont pas eu cette chance. A Detroit, tout le centre de la ville est en ruine et avec lui, des immeubles autrefois prestigieux qui seront souvent remplacés. En Chine, s’il reste des vestiges du passé, maintenant protégés, beaucoup de quartiers historiques ont été sacrifiés à la modernité… et l’expansion démographique. Au Vietnam, on retrouve encore quelques quartiers coloniaux un peu rapiécés mais le vieux quartier chinois de Cholon à Saigon a été sacrifié aussi. Il y a aussi une culture de l’extension des maisons par le haut (les maisons tubes). Je me souviens aussi du vieux quartier de ma ville natale qui a été éventré et remplacé par des immeubles d’habitation sans style, copier-coller de ce qui se fait un peu partout en banlieue. Nous avons vite fait de rayer le passé populaire, ouvrier… Et étrangement aujourd’hui, le grand quartier d’affaire français de La Défense se dresse juste à côté de ce qui était un bidonville il y a seulement 70 ans.
Alors dans le cas de cette cathédrale, je ne sais que penser. Je pense à des villes détruites par les guerres, comme Dresde ou Le Havre et qu’on a reconstruit sans penser au passé. Et en même temps, je pense à une église de Colombe (ci dessus) qui n’a jamais été reconstruite, à un pont de Poissy, à jamais démoli…Et je me baladais sur le bord du Marais à Paris lorsque je suis tombé sur de vieilles bâtisses, défigurées par des ravalements trop modernes et un immeuble en train de s’effondrer :
Là aussi, la technologie pourrait intervenir mais ça m’étonnerait que l’on puisse soulever cet immeuble, sauvegarder les appartements avec encore des rideaux aux fenêtres, la boutique au rez-de-chaussée. J’ai pensé aux immeubles de Marseille, rue d’Aubagne. Eux aussi avaient une histoire, des personnes plus ou moins célèbres passées dans cette rue, mais surtout elle a représenté la vie dans un Marseille cosmopolite, une identité. Et quand j’ai repensé au Marais, je me suis souvenu d’un ancêtre qui y aurait vécu au 19ème siècle, si j’en crois l’état-civil de l’époque. Le patrimoine architectural n’est pas qu’un simple amas de pierres et de ciment, mais une part de l’histoire. La Chine redécouvre aujourd’hui la sienne, entreprend d’en garder un peu en gardant quelques quartiers témoins, tandis qu’à Cuba, on restaure comme on peut les maisons coloniales du passé. On comprend qu’entre l’utilitaire et le beau, il y a d’autres voies, qui n’en sont pas moins commerciales pour autant. Ne voit-on pas des instragramers s’extasier sur des ruelles autrefois méconnues de Paris, avec tous les dégâts du tourisme de masse.
C’est souvent le privilège du vainqueur de décider de ce que l’on fait d’une ville détruite tout en tenant compte des impératifs économiques et sociaux. Aujourd’hui, il faut loger du monde, faire de l’utilitaire, pas du beau. Pendant que dans ma station balnéaire on laisse pourrir des villas, on bazarde des champs de culture pour faire des lotissements de petites maisons identiques un peu plus loin. Dans ma ville actuelle, j’ai vu un terrain d’une maison cossue être divisé mais au moins elle sera restaurée. Beaucoup des demeures du 19ème siècle ont été sacrifiées à des promoteurs pour faire des lotissements qui ne tiendront pas plus de 100 ans. Le vainqueur est souvent le riche, celui à qui l’on prête pour faire des projets lucratifs, de la spéculation immobilière. Le vainqueur de Notre-dame est le président aujourd’hui, qui voudra en faire son symbole, comme d’autres avant lui. Nous verrons bien si le conservatisme de sa pensée l’emportera sur la modernité du marketing ou l’inverse.
Une plaque plutôt que restaurer les inscriptions du monument…
En attendant, dans ma vieille baraque de 80 ans, je pense toujours à redonner les couleurs qu’il pouvait y avoir sur cette façade, devenue blanche, recouverte d’un infâme crépi. Les architectes du patrimoine, incapables de s’entendre entre eux, ne viendront pas m’embêter comme ils peuvent le faire ailleurs, c’est déjà ça. J’ai retrouvé sa soeur jumelle d’ailleurs et ça pourrait être inspirant. Cela prouve surtout que déjà à l’époque, on faisait des maisons en copier-coller, comme maintenant, avec des impératifs économiques pour loger ceux qui pouvaient se le permettre, prenaient le train sur cette ligne pour rejoindre la capitale. On en oublie tous les ouvrages d’art créés à l’époque pour le chemin de fer, dont beaucoup ont été modernisés avec le temps. Là aussi, on a percé, détruit, pour faire des ponts, des viaducs, des voies de chemin de fer, des autoroutes, pour désenclaver des régions, permettre du commerce, ou simplement pour faciliter les choses à un industriel ou commerçant local. Dernier avatar de ce genre de décisions : Un rond point totalement inutile pour se rendre à un nouveau “hangar” commercial d’une enseigne qui s’est déplacée de 1km…et va droit vers la fermeture, en plus du centre commercial qu’elle a quitté et qui se vide peu à peu. Nos descendants dans 2 ou 3 générations garderont-ils tous ces disgracieuses bâtisses commerciales comme témoignage d’une époque ?
La chute des anges déchus de Pieter Bruegel 1562
Tous ces impératifs sont maintenant au coeur des questions de sauvegarde, au même titre que la laïcité pour les bâtiments religieux, le sponsoring et le mécénat. Je sais que je ne pourrais plus aller voir aujourd’hui des monuments que j’ai découvert quand j’étais jeune car ils sont surpeuplés. J’ai pu déjà voir quelques merveilles du monde, c’est déjà pas mal. Pendant ce temps, j’observe les propositions de studios d’architecture sur Notre dame, de ceux qui pensent justement tourisme, commerce, à ceux qui pensent défi technique, progrès, jusqu’à ceux qui pensent préservation. Derrière ça, il y a des politiques, des industriels, des commerçant qui valident, veulent laisser leur trace. Je suis plus inquiet pour tous les centre-villes et villages qui perdent leur âme et leur vie que pour Notre-Dame. Il n’y a pas grand monde pour se pencher sur des défis techniques, sur de l’esthétique, de la cohérence dans ces cas là. Et c’est bien le commerce, les grandes enseignes, et le désengagement des financements qui finissent par défigurer tout ce qu’il y a autour de nous, pour faire rapide, pas cher, mais peu durable. Lorsque la belle famille chinoise du beau frère est venue en France, c’est pourtant bien ces villages, ces maisons du 19ème en train de tomber en ruine, qui les intéressaient, pas les centres commerciaux du type Europa City, et pas toujours le “lunapark” architectural à marche forcée qu’est devenu Paris. A force de vouloir faire trop neuf avec le vieux, ne perd on pas justement l’authenticité ? On en reparle à ma mort…