Réflexion - Connaissance et Créativité ne font pas toujours bon ménage

Suite à mon article sur le retour de mon côté Gamer et d’un autre blog, j’ai entrepris d’élargir le sujet sur la nécessité de connaître pour créer…

L’autrice su blog parlait donc de cette connaissance en neuroscience qui permet d’améliorer l’expérience utilisateur du joueur (l’UX)… Je ne serai pas aussi catégorique, sur le besoin de ce recours, ou de ces analyses, ou même du résultat apporté, puisque le but est à interroger. Je vais élargir volontairement le champ de cet article à d’autres processus de création qui font appel à des connaissances, notamment vis à vis des « consommateurs ». La musique est-elle l’apanage de personnes qui font des études de musicologie ou même simplement qui connaissent le solfège ? Pour l’écriture, doit-on avoir des méthodes ? Doit-on se reposer sur l’expérience ? Recourir à des codes ? Et même pour le théâtre, la seule « méthode » est-elle la réponse à tout ? … A l’opposé de cela, ne doit-on compter que sur un don ? Dors et déjà, vous vous doutez que la réponse n’est pas aussi manichéenne et tranchée.

Partons donc du jeu vidéo, cet art qui n’a qu’environ 50 ans si l’on se réfère à l’éclosion des jeux d’arcade puis des consoles et ordinateurs. Comme je l’ai dit dans mon article consacré un peu plus au retrogaming, il n’y a pas que du bon dans le passé, et pas plus dans le jeu vidéo d’aujourd’hui. Pourtant, des progrès incontestables ont été faits techniquement, dans les interfaces utilisateur aussi mais cela s’accompagne d’une complexification de la programmation, de la conception. Si il y a encore quelques années une personne seule pouvait développer un jeu « mobile » chez lui, comme dans les premiers temps des jeux vidéos, cela devient à nouveau difficile avec la diversité des supports et la vitesse des mises à jour d’OS, de terminaux. Les environnements de développement eux-même évoluent au gré des desiderata de Microsoft, Google et Apple et des constructeurs de matériels. La connaissance technique est impérative…mais cela va un peu au delà, la mise en scène de titres d’aventure tenant plus du cinéma, quand on aborde plutôt du scientifique et de la modélisation mathématique pour des simulations.

Par contre, l’objectif du développeur n’est plus vraiment ou seulement de faire le « meilleur jeu » mais souvent le plus rentable et l’un ne va pas toujours avec l’autre, hélas. A force de mettre du contenu téléchargeable, des éléments payants à débloquer, on modifie la relation de l’utilisateur au jeu. Il ne s’agit plus uniquement de lui faire passer un « bon moment » mais aussi de créer une frustration qui le poussera non seulement à continuer à jouer mais aussi à acheter. Je l’ai vu sur la longueur dans Final Fantasy Brave Exvius, par exemple où le système devient proche d’une loterie et pousse l’utilisateur à acheter son loto quotidien. (Gia To développe aussi cette idée dans la vidéo ci-dessous). La connaissance a justement progressé dans cette gestion de la dépendance du joueur, de sa frustration et fait partie des impératifs pour les grands studios. Ne pas faire trop difficile d’entrée, gérer la progressivité de la difficulté est aussi un élément à prendre en compte et est beaucoup plus bordé qu’avant, même si dès l’origine du jeu vidéo, des études avaient été menées dans ce sens.

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Si l’on ajoute tous ces éléments dans un processus de création, j’ai tendance à penser que l’on va vers le stéréotype. D’autant que depuis le début du jeu vidéo, on a tendance à recopier les solutions qui marchent. Les premiers hits du jeu vidéo ont été copiés, légèrement améliorés, que cela soit le casse-briques, prolongement de pong, que cela soit les shoot’em up prolongement de space invaders. Il fut un temps où les jeux de plateforme en 2D sortaient à foison au point d’en dégoutter le joueur. Je ne compte pas le nombre de clones de jeux de « stratégie temps réel » ou apparentés sur mobile aujourd’hui. Et tous ont les mêmes recettes pour faire jouer plus, plus longtemps, plus cher…des recettes connues depuis longtemps mais pas si bien appliquées. Le joueur qui parvient à ne pas tomber dans cet écueil en vient à fuir carrément ce fonctionnement « freemium » et ces stéréotypes. C’est devenu un peu mon cas, l’âge aidant aussi. Car l’équilibre jouabilité/rentabilité est rompu (il avait déjà tué les consoles dans les années 80…cf un documentaire Netflix sur le sujet, tiens).

Et justement j’en suis aussi venu à la même conclusion sur la musique. Là aussi les productions dites « commerciales » sont devenues stéréotypées avec des modes et des outils que l’on recopie à l’envie. Il y a la fameuse règle des 8 secondes pour le refrain par exemple, liée à la capacité de concentration du cerveau humain. Il y a aussi le recours systématique au « break » dans un morceau avec le solo pour certains genres. Il y a le temps de 3 minutes 30 pour se caler à la radio et qui reste, malgré le streaming et youtube (où l’on rajoute quand même des intros et outros), une règle. Même « Stairway to Heaven » de Led Zeppelin a droit à son « radio edit » alors que ce morceau était voué aux oubliettes dans sa structure. Car heureusement il y a des exceptions qui confirment la règle, des hits qui ne répondent pas du tout aux standards en vigueur…Bon, avouons qu’ils sont quand même anciens car je ne trouve rien de récent pour prouver le contraire.

Mais pour revenir au sujet, un bon musicologue, qui connaît toutes les recettes, sera-t-il un bon créateur lui même ? Pour en avoir croisé quelques uns, pour avoir aussi croisé quelques musiciens de studios extrêmement talentueux et que l’on s’arrachait, je répondrais… NON. A force d’avoir toutes les clés, toutes les informations, on aura tendance naturellement à ne plus savoir choisir ou recopier sans le vouloir ou à dessein. Me vient en tête le youtubeur PV Nova qui a incontestablement du talent pour décrypter les recettes, et pour jouer de multiples instruments. Mais au moment de faire un morceau de sa création sans singer quoique ce soit, cela a été plus dur. Je ne me suis pas retrouvé du tout dans ses tentatives de création, à la fois trop complexes, bancales, trop démonstratives et perdant finalement le fil de la création, ce petit truc qui fait que l’on ne calcule pas le résultat. Tout est bien fait, mais il n’y a aucune magie…Après tout, il y a bien des succès qui restent des mystères pour moi (M. Pokkora, Vianney ? :p )

Ne pas calculer, c’est un peu ce que je ressens dans la création littéraire ou poétique. Lorsque l’on s’évertue à analyser des œuvres sous toutes les coutures, on en oublie cette magie de la création, quand l’écrivain se retrouve face à une feuille et laisse les mots venir à lui. Il y a une infinité de méthodes pour écrire, autant que d’auteurs. Certains sont de purs instinctifs quand d’autres ont une méthode, des notes, des structures, des équipes même pour préparer cela. Je n’ai moi même que rarement rencontré ces instants de « transe » où l’on est soi-même transporté dans un autre monde, où l’on a l’impression que les mots ont pris le pouvoir et que ce n’est plus vraiment nous qui écrivons. Même sur un exercice de blog, sur de multiples articles, j’essaie de trouver ces quelques moments et je n’en ai qu’une petite poignée par an. En les relisant, je me demande alors qui était aux commandes… Alors vous comprenez mon désarroi pour essayer de faire correctement ce « roman feuilleton » sans que cela ne devienne une corvée. C’est presque plus facile pour la poésie car c’est plus court…ou pas.

Mais évidemment, le moment de création fait appel à des connaissances emmagasinées par l’expérience. Celui qui n’a jamais lu ne pourrait pas bien écrire, même dans un style plus « parlé ». Il y a un besoin d’avoir eu des échanges, avec des écrits ou avec des personnes. Ce mélange de connaissances que l’on constitue influence inconsciemment ce que l’on écrit. Et on y rajoute la part de soi, de son vécu pour nourrir récits, essais, romans. Pour mon roman feuilleton, c’est assez évident au premier abord, … Reste aussi à connaître les habitudes du genre que l’on aborde, ou à faire le choix de les rompre, en connaissance de cause. En littérature, il peut y avoir des schémas types que l’on peut reproduire à l’envie, que cela soit pour le roman à l’eau de rose, ou sur les page-turners et autres best-sellers. Mais ce n’est pas facile pour autant, comme la condescendance des critiques littéraires aimerait le faire croire. Il ne s’agit pas seulement de capter le goût du moment comme le marketing sait le faire. L’histoire de la peinture est aussi riche d’enseignement sur ce sujet avec les académismes du moment qui rejetaient l’évolution ou des manques de technique supposés.

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Dire que Gèrome était exposé au Louvre avec ce tableau quand on refusait les impressionnistes

J’ai pourtant cette impression que le marketing prend le pas sur la création en guidant vers le stéréotype pur et simple, un peu à la manière de l’académisme en peinture, finalement. Ne recherche-t-on pas à créer des IA pour créer depuis des décénies? Ce n’est pas d’aujourd’hui ou d’hier mais d’avant-hier. Lorsqu’un groupe de musique fonctionne, aussi sec, on signait dans les majors tout ce qui s’en rapprochait. A l’époque de Nirvana, tous les groupes de Seattle ont été signés, jusqu’aux plus quelconques. Avant eux, ce furent tous les groupes de Hard du strip de LA, ou toute la mouvance Thrash, ou bien encore la NWOBHM. Les meilleurs ont-ils survécus pour autant ? Pas toujours. Dans le jeu vidéo, il y a eu aussi des modes, il y en a encore avec des clones des dernières réussites. On a eu des clones des premiers jeux de donjons, des clones des jeux de plateformes à la Mario, des casse-briques, jusqu’aux clones de God of War ou autres gros hits ou des FPS et jeux de stratégie temps réel ou même le MMORPG quand cela fonctionnait. Certains emprunts à des jeux comme le quick-time-event (cf Shenmue) furent aussi symptomatiques et caricaturaux. Chaque studio s’emploie à remplir toutes les catégories qui marchent. Les copies ont rarement dépassé l’original ou fait progresser le genre, quelque soit l’art. La synthèse de différents genre a mieux fonctionné.

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L’exemple même du jeu à oublier et totalement injouable aujourd’hui du fait de son interface (et déjà hier)

De la même manière, il ne faut pas chambouler les habitudes de l’utilisateur. Le mélomane habitué à un certain type de musique s’attend à la présence d’éléments et l’humain n’aime pas le changement. Quand on mêle le marketing à cela, on réitère des schémas. Ainsi pour une interface, on recherche naturellement ce que l’on a connu. On veut un menu à tel endroit, une croix pour fermer une fenêtre, des couleurs qui donnent l’impression que c’est positif ou négatif et tout un bagage culturel acquis par l’expérience. Les rares tentatives de changement radical se sont soldées par des échecs ou des retours en arrière, à de rares exceptions ( les fans qui acceptent tout, tant que ça a le goût de pomme? ce n’est même plus vrai quand on voit les versions d’iOS). Dans la création artistique, un artiste a souvent du mal à changer son style, luttant à la fois contre le marketing de son éditeur et ses lecteurs/auditeurs/… J’ai en mémoire quelques jeux vidéos (où l’interface est souvent plus libre) gâchés par les accès à des menus et des lenteurs rédhibitoires.

Cela dit, cette passion du créateur peut aussi le mener sur de fausses pistes, vers des échecs. Aussi génial soit-il, avec toute la connaissance de soi et de son art , celui qui crée peut faire n’importe quoi. Et comme il n’y a aucune recette du succès en magasin, ce n’est pas facile de le faire comprendre. Combien de chefs d’oeuvre d’aujourd’hui ont été raillés à leur époque. Combien d’œuvres actuelles encensées en ce moment disparaîtront demain dans l’oubli? Combien d’exemples à la Duke Nukem Forever ou Chinese Democracy. Les éléments de la réussite étaient là mais comme dans le Don Quichotte de Terry Gilliam, les fées avaient fui le berceau. La malchance, les conflits de personnes, l’absence de choix peuvent aussi contrecarrer tous les bons éléments, la magie que l’on a au début, les connaissances emmagasinées.

Mais alors si on a juste un don, sans les connaissances, ça marche aussi ? Si je prends le contre-pied de ce que je disais, il y a l’exemple de l’acteur instinctif qui n’est jamais allé dans la moindre école. Face à lui, des gens qui ont fait appel à « la méthode » ou qui ont fait le conservatoire, appris avec des classiques, au théâtre, etc… Rares sont les cas de personnes douées mais il faut quand même un petit quelque chose en plus. Pourtant le don se travaille ensuite, parce qu’il faut de la méthode pour apprendre des textes, se plier à des disciplines de mise en scène, explorer d’autres domaines…Pour revenir au sujet initial qui tournait autour du jeu vidéo, le programmeur génial qui crée dans son coin un concept génial comme Tetris, par exemple, ça n’existe plus aujourd’hui. Je dirai même que le même jeu sorti aujourd’hui tel quel n’aurait aucune chance dans le contexte actuel de jeu mobile, casual, et du besoin de rentabilité immédiate avec la publicité et les Downloadable Contents.

Il faut inclure de toute façon des éléments externes au simple domaine de la création parce que tous ces arts que j’ai cité sont devenus des biens de consommation. Il faut inclure surtout le rapport au temps qui est devenu différent. Lorsque je parlais de retro-gaming, je disais que j’avais choisi ma PSP comme support ou mon smartphone plutôt qu’une console de salon comme la PS3 modifiée ou des consoles rétro à brancher en HDMI sur la télé. Il y a 25 ans, je ne l’envisageais pas. Mais tout a changé, ma vie a changé, mes habitudes ont changé. Je ne lis plus que rarement des livres avec du papier aussi. Je n’écoute plus la musique de la même manière non plus. J’ai accès quand je veux à tous les titres que je veux et je peux passez rapidement de l’un à l’autre quand avant je n’avais que quelques cassettes dans un sac avec un baladeur. Nous sommes sollicités de toute part et cet élément fait partie maintenant de la « connaissance » à avoir, parfois de manière innée pour les plus doués. D’où le besoin d’un refrain accrocheur pour la musique, d’une scène clé en introduction d’un livre, d’un film, d’une série… Si des gens issus du Marketing ont pris les commandes de maison de disque sans y connaitre grand chose à cet art, ce n’est pas un hasard…Les musiciens en sont les premières victimes.

Si je prends l’anti-thèse de cela, je citait le Bohemian Rhapsody de Queen : Il ne fait pas 3 minutes 30 (5 minutes 55), il n’a pas de refrain accrocheur. Que retient-on pourtant ? Pour la plupart des gens, c’est le break « opera » et ses « Galileo figaro » que personne ne comprend pourtant. J’en connais même qui ne connaissent que la version de Wayne’s world, ou ne retiendront que le solo de Brian May. Aujourd’hui, un tel morceau n’arriverait même pas à être diffusé avec la panellisation, s’il n’était un classique. La « connaissance » actuelle en matière d’appropriation de la musique le rejetterait. Et la tentation de recréer un tel titre doit aussi exister chez un musicien…Même chez Queen où Innuendo reprenait un peu de ces recettes, c’est dire.

Alors après tout cela, que faut-il apprendre ? Faut-il avoir un gros bagage de connaissance pour faire un bon créateur ? Une des formes de l’apprentissage est bien justement la recopie. Les impressionnistes eux-même ont commencé par apprendre la technique classique avant d’en sortir, de partager avec leurs contemporains et de fonder inconsciemment cette école. Il n’y a pas de réponse toute faite, justement et cela dépendra surtout de sa capacité à faire le tri entre ce que dicte l’instinct et ce que dicte l’apprentissage. Avoir un libre arbitre aussi. J’en suis bien incapable dans bien des domaines, comme vous avez pu le remarquer, hé, hé. J’ai cette impression, due à mon age, mes expériences, de voir sans arrêt les mêmes choses avec juste du progrès technique en plus. (NDLR : j’ai volontairement évité l’aspect design automobile pour ne pas me fâcher avec … enfin bon, des gens quoi). Pour d’autres personnes plus jeunes, voir un original par rapport à un remake est impossible car c’est justement l’aspect technique (noir et blanc, son de l’époque, basse résolution, interface humain-machine) qui sera rebutant. C’est là que l’on voit que l’aspect temporel est essentiel pour inscrire une oeuvre avec son temps, en avance, ou même dans la durée. Dans une époque où la culture se vend avant tout, la connaissance de la mode du moment est devenue essentielle. Je le regrette pour le stéréotype que cela crée en toute chose, pour l’immobilisme que cela induit pour des périodes plus ou moins longues.

Car ce n’est qu’avec ce phénomène de lassitude propre à l’humain que nous avançons finalement, quand tout a été fait dans un genre et qu’il faut trouver la prochaine « tendance », qui elle même sera recopiée à l’excès. Après la 3D dans le cinéma, après le vocoder en musique, les suites de suites de licence en jeu vidéo, les séries à outrance, on attend impatiemment la suite, plutôt que de se taper des remakes, covers, compilations à longueur de temps. La course à la nouveauté compense virtuellement mais jusqu’à quand ? La technique apporte sa pierre à l’édifice, un édifice de plus en plus complexe, qui demande à déléguer de plus en plus même dans des arts plus solitaires. Et au moment de choisir un titre final, je n’ai pas cherché mais laissé venir la musique dans cet instant. Un titre démodé, commercial lui aussi, et qui pourtant revient à la mode et repartira aux oubliettes un jour. Quelques larmes de regrets dans la joie de danser ?

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Ecrit le : 29/08/2020
Categorie : reflexion
Tags : geek,culture,jeuvideo,musique,littérature,création

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