Réflexion - Le divertissement en mode vieux geek
J’avais commencé par écrire « Vieux con » et puis je me suis ravisé…car finalement, ma vision du divertissement est largement perçue à travers mes yeux usés d’un Geek des années 80-90.
Aujourd’hui, je ne me reconnais pas dans cette société du divertissement où l’offre est devenue à la fois pléthorique (en apparence…) et facilement accessible. A tout moment, à n’importe quel endroit, nous avons le moyen de nous distraire que cela soit par des vidéos (cinéma, série), de la musique, des jeux, ou même… des lectures. Dans la poche je transporte tout cela dans un petit rectangle bourré de composants électroniques qui aurait fait rêver nos ancêtres (et nous même plus jeunes) et qui parvient aujourd’hui à nous faire faire des cauchemars. Pourtant je continue de « consommer » du divertissement autrement, « à l’ancienne » tout en ayant fait évoluer mes pratiques.
(wikimedia)
Je continue d’aller au cinéma, m’attendant pourtant à des fermetures en masse de ces lieux désertés depuis la crise sanitaire surtout avec des couvre-feux. Je consomme des vidéos en DVD/BR ou téléchargées/enregistrées en numérique. Je continue d’avoir de la musique matérialisée mais aussi téléchargée et non « streamée » à volonté (même si je pourrais sur Bandcamp par exemple). Je continue de ne pas avoir un ou de multiples comptes sur les plateformes de streaming, après des essais infructueux. Bref, je réagis comme un vieux tout en ayant de nouvelles pratiques. Evidemment, pour les parents c’est pire, ils n’ont même pas de musique en format numérique, à peine quelques DVD. Je regarde pourtant des vidéos sur Youtube/Peertube et j’écoute des Podcasts. Je ne suis donc pas totalement en décalage, c’est juste que mon goût est de ne pas céder à toutes ces facilités, notamment parce que je n’y trouve pas mon compte en matière de catalogue, alors qu’en théorie ce devrait être l’inverse. Ok, j’avoue avoir des goûts en décalage avec la majorité puisqu’au cinéma, par exemple, je tombe rarement dans une salle pleine, ou je me retrouve dans des salles d’art et d’essai. C’est un sujet récurrent aussi chez moi…
juste des goûts très simples pour meubler un studio
Passons sur l’aspect écologique du streaming, il peut se discuter… Je m’étonne aujourd’hui de cette consommation vidéo effrénée quoique le streaming, c’est un peu le supermarché par rapport à l’épicerie spécialisée. A mon époque (introduction typique du vieux…), le graal c’était le Home Cinéma, avoir les conditions d’une salle de cinéma chez soi, avec même le siège qui va bien, le grand écran, le son qui dépote. Ça me semble devenu un plaisir de gens de mon âge. J’ai une installation honnête pour profiter de mes films (grand écran, système 5.1, possibilité 3D passive pour les films qui en étaient pourvus)…J’ai parfois un plaisir assez proche de celui d’une salle de cinéma en y rajoutant quelques odeurs de pop-corn qui ne dérangeront pas mes voisins. Aller au cinéma, c’est un tout, une ambiance, la discussion avant et après, le gigantisme, la puissance d’un son qui nous enveloppe. Aujourd’hui, ce n’est plus cela et combien de films ou séries se retrouvent baladés entre l’écran de la télévision et le smartphone ou la tablette à travers un compte de plateforme de streaming. Ils sont tronçonnés ou accélérés parfois par notre rythme de vie alors que dans une salle on se donne une fenêtre pour en profiter. Cette petite période que je réserve à mon divertissement, elle peut être ensuite dans les transports, dans les moments plus intimes, etc…chacun se fixe ses règles quand auparavant le média pouvait fixer les siennes (horaire de diffusion télé, séance de cinéma..). Plus jeune, il m’arrivait justement de profiter des vidéos sur mon PC avec un bon son donné par un bon système d’enceintes mais sans ce moment de concentration nécessaire. Je connais donc ce travers qui peut aller jusqu’à l’avance rapide. (et qui se fait aussi sur Netflix entre autres)
Paradoxalement, la liberté de faire ce que l’on veut peut nous rendre encore plus captif de notre addiction au divertissement. Le but évident est de nous faire consommer plus et seulement dans un service. Donc on a un gros catalogue, plutôt diversifié et pour s’y retrouver on peut faire appel à un algorithme qui s’adapte à nos goûts, nous y enfermant aussi quelque part, un peu comme la bulle créée par Google dans les recherches ou Facebook dans le fil d’info. Rien n’empêche la curiosité pourtant et de parcourir des listes de films, séries, de voir les nouveautés du moment ou chercher les pépites méconnues. Je disais que c’est comme un supermarché par rapport à la petite épicerie et donc on a des rayonnages de trucs quasi identiques (comme dans les chaines généralistes on enchaîne les séries policières US), et des rayons mal éclairés et désertés au fond, mais rarement le truc particulier, un peu vieillot mais pourtant indispensable que l’on trouvait dans la petite quincaillerie de détail. Les plateformes offrant cela ne sont pas très rentables aujourd’hui ou n’existent pas (j’en ai cherché des vieux films justement sur ces catalogues en ligne… sans céder aux sirènes de la nouveauté ou des remakes). Si tu n’es pas dans une cible marketing, tu n’existes pas. Aujourd’hui je n’existe pas, ça changera peut-être, qui sait…puisque le but est la domination totale du marché. On a bien vu des supermarché et gros industriels faire du vegan ces derniers temps, hum…et en train de diminuer déjà le rayon. Et d’ailleurs, il y a des documentaires tout à fait sympathiques dans ces grosses plateformes, films qui avaient du mal à se financer autrement…Profitons de cette période de conquête du marché, propice à cela. Je crains juste que ça ne dure pas.
Un autre aspect du divertissement qui montre mon décalage, c’est l‘aspect réaliste de ce qui est proposé aujourd’hui. Dans le cinéma, c’est le progrès de l’image de synthèse qui a révolutionné les effets spéciaux. On peut rire aujourd’hui des premiers King-kong et Gozilla, et même des premiers Space Opera comme « Lost in space » (l’original) ou les premiers Star trek. Je rigole même de certains effets des premiers Star wars. Aujourd’hui, cela paraît crédible au point que l’on arrive même à transformer la réalité, à s’insérer dans des clips vidéos par ces trucages numériques. Dans les vieux films, on voyait que les acteurs n’étaient pas réellement au volant d’une voiture avec un décor qui bougeait derrière de manière irréaliste. Et pourtant on y faisait moins attention qu’aujourd’hui. L’histoire nous captait sans doute plus par d’autres moyens. De la même manière, nous arrivions à jouer à des jeux très minimalistes en se croyant transposés dans des univers merveilleux. Les premiers Mario n’étaient que de petits sprites mal définis avec des champignons, des tortues, des tuyaux et ça faisait rếver les enfants que nous étions. D’autres y étaient étanches… Le photo réalisme, comme le rappelle Sid Meier dans ses mémoires, a ouvert le jeu vidéo à un plus large publique comme les effets spéciaux calculés pour le cinéma. Autrefois moqués, les super-héros en collants et spandex deviennent des héros de films grand-publics. Qu’il semble loin le temps de Mélies et de ses bricolages qui faisaient croire que la lune était peuplée. Certains y voient du ridicule, d’autres de la poésie…
J’y vois pourtant une perte dans notre capacité à développer un imaginaire. J’admets bien la notion de progrès et je n’ai rien contre voir enfin des univers tels que je les imaginais (Les terres du milieu, Poudlard…). Mais il faut avouer aussi que cela modifie beaucoup de nos perceptions. La lecture, dont on dit qu’elle diminue peu à peu, a notamment cette capacité à nous faire construire un imaginaire à partir de mots. On se construit l’image du héros ou de l’héroïne, son décor, les personnages, … Comme le jeu vidéo minimaliste le faisait aussi. C’était une capacité d’évasion sans doute un peu plus difficile d’accès que ce qui est offert aujourd’hui. J’ai pourtant l’impression que cela nous poussait plus à rêver, à imaginer, à créer. Cela dit, aujourd’hui, on peut créer des histoires paralèlles, comme les fanfictions. Sans doute est-ce une vision de vieux con, mais il y a moins de cette capacité à voir différemment du créateur puisque tout est servi directement. Le « geek » était aussi celui qui vivait dans « son » monde, qui le créait, le modifiait le façonnait. Le terme n’a plus vraiment ce sens aujourd’hui. Je suis toujours cet enfant qui s’imaginait des jeux avec pas grand chose. Heureusement, il reste encore nos jeux d’antan pour les enfants d’aujourd’hui, quand on ne s’en débarrasse pas avec une tablette et quelques films. Pour me contredire, on dira que les dessins animés pour enfants n’ont toujours rien de réalistes avec des animaux colorés qui parlent dans des univers improbables…Je reste pourtant persuadé que le manque stimule l’imaginaire, et que l’imaginaire est une force.
Surtout que l’on voit qu’il est difficile de faire admettre des changements à des licences typées geeks. Regardez les réactions de fans de Star Wars ou de tout autre licence très marquée, lorsqu’il y a un nouvel opus, un remake, etc…Surtout qu’il faut assouvir la soif de nouveauté en même temps en faisant régulièrement des remakes, des reboots, des suites, des spin-off, et autres termes qu’on a du mal à franciser dans le langage courant. On se retrouve donc à deux positions opposées : Soit refaire un peu la même chose de peur de s’attirer les foudres des fans et là on finit par lasser. Soit partir sur autre chose et là on peut créer un bad buzz et créer du grand n’importe quoi dans un univers bien construit. Rien de nouveau dans tout cela pourtant puisque Marvel, pour ne citer que ça, a déjà utilisé le même principe dans ses séries papier, croisant, décroisant, réinventant ses héros, tout comme le concurrent DC Comics. Si tout le monde y trouvait son compte par des visions différentes, on aboutissait à des choses incohérentes entre les différentes séries. Je suis assez peu friand de tous ces remakes moi même, parce que justement on en a abusé. Pourtant j’aime parfois confronter la version créatrice à une version plus moderne. Il m’est assez difficile par exemple de relire des vieilles BD / vieux comics parce que le style a beaucoup évolué…ce qui peut aussi valoir pour quelques vieux films (regardez les premiers Tarzan, vous comprendrez…)
quoi, Indiana Jones était Amish ???! …. meuh non, il était témoin, et pas de Jehovah.
Pour paraphraser quelqu’un, je ne suis pas un amish qui refuse le progrès. J’en ai plutôt (ou j’essaie d’en avoir) une utilisation réfléchie. La domination d’une ou deux plateformes avec un même modèle économique et une idéologie sous-jacente peut être inquiétante. On a vu le résultat avec « Mignonnes« , production française diffusée sur Netflix mais incomprise par des extrémistes US qui auraient voulu sa suppression. Tout finit relativement bien ici mais jusqu’à quand ? Sans parler du dumping économique. A penser mondial dans la production, on finit par penser aussi conciliation des goûts et donc standardiser… ou bien viser un marché plus dominant que les autres. La vision du dernier Mulan de Disney m’a confirmé cela avec un film réussi techniquement mais sans aspérité, sans relief. Quand on pense déjà que des chercheurs rêvent d’algorithmes créateurs de romans, de peintures, ou capables de remplacer des journalistes, j’ai alors une vision d’amish qui refuse le progrès pour ne pas avoir des choses asseptisées… bon c’est un peu le cas en Musique et Cinéma des grands studios, non ? J’aime l’imprévu, les défauts, les failles justement, les erreurs et refus. Si j’utilise un smartphone ou une tablette pour lire aujourd’hui, ça ne change pas forcément ma manière de lire ou ce que je lis et je suis autant perdu dans mon choix de livre que lorsque j’allais à la bibliothèque municipale ou chez un grand libraire ou même chez le petit libraire qui était bien incapable de conseiller un esprit tordu comme le mien.
Je pense au fond que je suis dans l’entre deux, entre une génération purement « analogique » qui se contentait de ce qu’elle avait et se déplace encore lorsqu’elle veut quelque chose et une génération « numérique » qui attend d’avoir tout disponible sans bouger ses fesses. Je caricature sans doute mais nous sommes nombreux dans cet entre-deux, basculant plus ou moins d’un côté ou de l’autre. J’ai en mémoire un post sur un forum qui parlait du besoin d’avoir les playlists spotify dans la chambre du gamin mais sans tablette, juste en audio…Comme si une bonne petite compilation sur un lecteur CD, ça ne peut pas le faire, quitte à renouveler les versions au fil de l’évolution des goûts…Ou encore un ipod d’occasion ou baladeur mp3 branché sur un pack d’enceinte. A force de cherches des solutions dans le fil du post, c’est revenu justement à des solutions de vieux geeks. Peut-être aussi parce qu’on l’est. Mais aussi parce que les hypothèses plus novatrices n’existent pas ou sont trop chères ou incompatibles avec un usage d’un enfant. Musicalement justement, il y a longtemps que j’ai utilisé spotify, deeezer, avant que ça se démocratise à ce point sur tous les supports…et j’en ai vu l’évolution et les failles. Je préfère avoir tout au même endroit que d’avoir tel artiste dispo sur une application, tel sur une autre, au gré des contrats, des exclus ou pas. Je dis ça pour avoir connu des revirements justement. Et puis en terme de Jeu Vidéo avec des connexions devenues obligatoires pour jouer via des plateformes, c’est quand on perd sa connexion que l’on voit le problème d’avoir une console remplie de jeux inaccessibles. D’autres vieux geeks célèbres (Marcus de GameOne/Nolife par exemple) pensent à cela…Au fond, c’est parce que j’ai vu arriver ces nouvelles manières de consommer le divertissement, se construire et que j’ai été dans les « early adopters » que j’en suis déjà sorti. On me dit parfois que j’exagère en prédisant à quelqu’un qu’il s’en lassera parce que je ne suis pas lui/elle. Possible mais je sais que l’humain par nature se lasse de tout…Il suffit juste de regarder notre évolution du web en seulement 30 ans, la technique n’expliquant pas tout. D’où justement le fait que tous ces médias se réinventent et alimentent le sentiment de nouveauté perpétuelle. Il y a toujours une nouvelle génération d’utilisateurs pour remplacer ceux qui se lassent et garder ainsi une base de clientèle. Netflix a du développer l’international pour s’assurer une croissance car il commençait à plafonner sur son marché intérieur, justement, après avoir tué le marché de la location de vidéo. Bien malin celui qui saura dire comment sera le monde de demain. Et bien malin celui qui prédira ce que serait ce même billet de blog dans 10 ou 15 ans…