Cinéma - The Perfect Candidate de Haifaa Al-Mansour (2020)
On se dit que ce film militant n’a pas du plaire aux emiratis… Et pourtant, il a été financé par l’Arabie saoudite et l’Allemagne pour nous parler démocratie et droit des femmes, mais pas que !
La réalisatrice Haifaa Al-Mansour était déjà le porte de drapeau du cinéma de son pays avec Wadjda en 2013. L’histoire n’est pas si éloignée avec toujours une femme qui se bat pour obtenir plus de liberté. Mais point de vélo ici, mais la reconnaissance des compétences, l’émancipation. L’héroïne, le Dr Maryam (Mila Al Zahrani), malgré son titre officiel est cantonnée à des tâches subalternes dans sa petite clinique de province. Elle rêve d’aller à la capitale dans un grand hôpital qui reconnaîtrait enfin ses capacités. Son père, musicien, récemment veuf, est déprimé mais part dans une tournée de musique traditionnelle. La soeur de Maryam organise et filme des mariages. Tout bascule le jour où Maryam veut prendre l’avion mais se le voit refuser car son « tuteur » (son père) n’a pas validé son autorisation en ligne. Par un quiproquo, elle se retrouve candidate dans l’élection municipale locale. Voilà enfin le moyen pour elle de faire goudronner la route qui mène à la clinique, puisque personne ne s’en soucie.
Dans un film qui nous montre enfin la vie des femmes saoudiennes derrière les portes et les voiles, Haifaa Al-Mansour parvient à la fois à nous faire vivre une belle histoire prenante et à donner un regard très documentaire sur son pays. Le parallèle entre la fille qui part conquérir ses droits et le père qui veut refaire vivre la musique de son pays, souvent interdite, est bien trouvé. Ce sont en effet deux expressions de la liberté, de la vie, de la beauté aussi. Les femmes saoudiennes sont montrées joyeuses, fans de mode, de réseaux sociaux mais souvent résignées jusqu’à ce que le Dr Maryam secoue tout cela. Le père est aussi résigné et insouciant que ces femmes. Il déprime de la perte de son épouse sans voir à quel point Mariam ressemble à celle-ci. Heureusement, il a un ami qui y croit encore, et le tire pour le sortir de ce trou. Il y a justement deux paires de personnages sur ces deux histoires parallèles, avec le père et son ami, Maryam et sa grande soeur, avec l’ombre de la mère disparue en fil d’ariane pour les relier.
Certains plans sont frappants, avec l’uniformité des costumes des hommes en qamis blancs avec leur coiffe traditionnelle et les femmes et leurs abayas en noir, le visage souvent entièrement masqué par le niqab sinon couvert par le hijab. Mais il suffit de quelques notes pour que ce pays désertique et terne resplendisse, que les cœurs s’éveillent. La bande son est très réussie avec de beaux interprètes masculins et féminins. On peut en dire autant du casting avec des actrices très charismatiques. On y découvre l’art de jouer du Oud, au passage, ce magnifique instrument à cordes. Le défaut est parfois dans le rythme qui s’essouffle.
Oui, la vie n’est pas simple dans le royaume, pris dans des carcans, dans le népotisme et la corruption. Mais elle l’est encore moins pour les femmes. Le film décrit justement très bien ces conservatismes tenaces, dont certains sont encore présents chez nous. Il est d’autant plus pertinent que la critique vienne du royaume. Convaincre pour faire tomber les barrières, voilà le message d’espoir du film. La réalisatrice ne dédaigne pas utiliser l’humour dans certaines scènes, mais aussi des symboliques que je vous laisse découvrir. Elle rappelle au passage les origines nomades et tribales de cet immense territoire dans une scène majeure du film.
Voilà donc un très bon film qui sort en contre-programmation face à beaucoup de comédies et de films d’animation, à défaut de blockbuster de l’été. Pour l’instant, c’est mon film de ce mois…A ne pas rater quand il passera ou sera disponible en streaming pour les plus inquiets des cinéphiles