Réflexion - Faire durer plutôt que consommer
Combien de fois entend-on que pour être plus écologique, il faut changer ses appareils ? Changer de voiture, changer d’électroménager, … Et puis de l’autre côté on nous dit de ne pas changer trop souvent de PC, de smartphone, etc… Un message contradictoire qui cache de l’ignorance coupable.
J’ai une voiture depuis 14 ans qui en a remplacé une qui commençait à vieillir au bout de 8 ans. Elle consomme toujours moins que la moyenne et émet bien moins de polluants que des nouvelles qui sont encore commercialisées pour quelques années. J’ai une machine à laver que j’utilise sur des cycles assez courts et qui consomme à priori plus que les toutes dernières. J’ai comme un doute vu les cycles pris en compte mais je trouve quand même que d’après mon Linky c’est elle qui fait surconsommer. Sauf qu’elle tourne encore et que je n’ai pas envie d’en faire venir une de l’autre bout de l’Europe, voire du monde. Mon précédent PC a duré plus de 12 ans, mon smartphone va sur ses 5 ans et n’a pas de signe d’usure. Je sais ce que tous ces objets consomment comme énergie et donc je sais estimer ce que ça donne sur un an. Mais par contre, est-ce que je sais l’énergie que représente la construction d’un nouveau modèle de chacun de ces objets. Parce que certes, ça ne consommera pas là où je vis, mais à l’échelle de la planète, ça compte. Nous n’avons aucun élément pour juger, choisir aujourd’hui, ni même comparer les consommations de ce que nous utilisons.
Le Smartphone
Mon smartphone, par exemple? Admettons que je le recharge tous les deux jours ce qui représente 60% d’une batterie de 3180mah. Il y a une conversion en 5V à partir du 220V avec un rendement inférieur à 80% sans doute. Ma batterie est donnée pour 3,87V. Ca donne 9,3Wh à chaque recharge pour mon utilisation contre 15,3Wh pour une décharge complète. Sur un an, ça donne 1,6KWh/an pour moi, contre 4,1KWh/an pour quelqu’un rechargeant tous les jours l’ensemble de la batterie.
La construction d’un smartphone est estimée à 136kWh (source Greenpeace). On en déduit donc qu’il faudrait entre 33 et 80 ans de consommation électrique par la recharge de son smartphone pour consommer autant que sa fabrication. Impossible à atteindre évidemment. Il y a quand même tout intérêt à le faire durer le plus possible. Cela sous-entend d’avoir un chargeur de qualité qui préserve la batterie, d’avoir protégé son écran et sa coque, d’avoir un bon suivi de l’OS et des mises à jour de sécurité…Ce qui a un prix, la plupart du temps, mais pas forcément pour toutes les marques.
Grin Reaper - Banksy (domaine public wikimedia)
Il y a aussi d’autres rejets, des consommations d’eau dans la fabrication dont je ne tiens pas compte, me concentrant sur la différence entre la fabrication et l’usage en terme d’énergie. A noter que les chargeurs sans fil ont une consommation déplorable ce qui peut aller jusqu’à doubler la consommation réelle. Et puis il y a les coûts de ce qui tourne autour des smartphones, les serveurs, etc… qui ne comptent pas ici. Et pourtant, c’est sans doute dans ces échanges que la consommation est la plus importante.
Une des estimations données serait de 0.1KWh par heure de vidéo par exemple, en supposant qu’une vidéo fait 1.9Go en moyenne si on tient compte des différentes qualité disponible, soit donc 0.05Kw/h par Go. On peut donc considérer qu’avec un usage moyen 5Go/mois (les chiffres augmentent), ça nous donnerait 3KWh/an. Je pense qu’on doit aussi oublier là dedans tous les intermédiaires alors la fourchette doit être de 3 à 30kWh/an approximativement, mais ça situe les choses.
La voiture
Comparons cette fois en équivalent CO2 puisque c’est ce qu’émet un véhicule thermique. On peut calculer l’équivalent aussi pour un véhicule électrique. Je ne tiens pas compte là encore des autres consommations, polluants, même si dans ce cas, ils sont influents sur la santé.
Prenons l’exemple de ma voiture qui consomme 5,1l/100km pour environ 10 000km par an. C’est une berline hybride moyenne et j’estime donc sa fabrication à 18tonnes CO2 environ d’après les chiffres de The Guardian. Il faut rajouter un peu plus pour les batteries par rapport à une autre berline plus simple qui serait à 17 tonnes. (source)
En équivalent carbone annuel, j’ai une émission de 5,1 x 10000 / 100 x 2,28 (facteur d’équivalence pour de l’essence) = 1,162 T CO2/an. Il me faut donc considérer que dans mon utilisation cela correspond à 15 ans d’usage pour la fabriquer.
Prenons maintenant une voiture électrique courante, comme la Renault Zoe. Elle fait du 17kwh de consommation et doit sans doute faire moins de 7000 km/an. On peut considérer qu’elle représente 15% de plus d’équivalent CO2 à construire du fait d’un côté des batteries à amener mais de l’autre la simplification et la réduction du nombre de pièces. On peut donc compter qu’elle coûte 6,9T de CO2 à fabriquer
On a donc en équivalent annuel, 71kg puisqu’elle roule beaucoup moins, si c’est du mix énergétique français (chiffre RTE de 59g/kwh). Et avec cette utilisation c’est 97 ans de consommation par rapport à la fabrication. Sauf qu’elle remplace souvent un véhicule thermique équivalent qui lui doit être à au moins 1,5T/an…C’est donc effectivement rentable dans ce sens. Mais au moment de remplacer une électrique dans quelques années, on peut se poser des questions. Il faudrait connaître alors le coût énergétique du pack batterie à changer, par exemple.
A moins que vous ne preniez ce qui sort beaucoup aujourd’hui, un SUV hybride rechargeable. On peut dire que ça doit être un coût autour de 30 à 50 T de CO2 cette fois et là on comprend très vite que ce n’est pas aussi rentable… pour la planète, comme pour vous d’ailleurs.
Bref, j’ai peut-être intérêt à changer ma voiture par une électrique frugale et petite mais par contre je n’ai pas trop d’intérêt à changer régulièrement de voiture électrique, et encore moins à prendre un SUV hybride rechargeable. Et ça, ça n’est vraiment pas une chose à dire aux constructeurs automobiles qui n’ont de toute façon pas prévu une durée de vie des batteries à plus de 20 ans en général, sans parler des autres pièces d’usure du véhicule. La durabilité est pourtant essentielle comme donnée.
L’électroménager
Je vais me concentrer sur un lave-linge, élément souvent montré du doigt pour sa consommation à l’usage. Admettons cette fois que je fasse 3 lessives par semaine, soit 52 x 3 = 156 lessives/an ce qui est un peu moins que la moyenne retenue dans les calculs des étiquettes, qui était de 220 cycles/an. Mon vieux lave-linge est un classe B de l’époque et donne donc une consommation d’environ 1,5kwh/cycle. Cela nous donne une consommation annuelle de 235 kWh/an.
Mais combien ça coute à fabriquer un lave linge, aussi ? Impossible de trouver des chiffres en KWh mais l’Ademe donne des chiffres en kg de CO2. Donc pour comparer, les 235 kWh font 13,9kg CO2/an avec le mix énergétique français actuel. Et la construction d’un lave-linge représente 68 kg de CO2. Cette fois, il peut être vraiment intéressant de changer de matériel au bout de peu d’années. La durée de vie est finalement cohérente avec cela. Reste que le recyclage est important et non pris totalement en compte dans ces chiffres, comme pour les autres catégories.
Et si on comparait
Vous le voyez bien, les trois biens matériels sélectionnés n’ont pas tous intérêt à être changés régulièrement. Mais pourtant ils n’ont pas du tout le même impact. Une voiture va consommer 1000 fois plus d’énergie qu’un smartphone a être fabriquée, 100 fois plus qu’un lave-linge. Et côté consommation , c’est 10 000 fois plus qu’un smartphone pour la voiture et toujours 100 fois pour le lave linge. Alors je vais donc certainement pointer au chômage avec cette étude mais il ne faut vraiment pas renouveler sa voiture rapidement. Un cycle de 15 ou 20 ans paraîtrait plutôt bien pour limiter les émissions. Finalement, l’impact de la construction de smartphone, souvent pointée du doigt comme du gaspillage, est minime par rapport à d’autres secteurs. Mais il y a pourtant aussi d’autres pollutions autour et des tensions sur les minerais. Bien inférieur pourtant à la voiture et autres bien “lourds”. Après, vous vous demandez encore pourquoi je regarde d’abord les tests de fiabilité des constructeurs au moment de choisir une voiture, en plus de la consommation réelle ? C’est bien la durabilité qui est à privilégier et de ce côté là, les dernières technologies de moteur thermique sont bien mal loties avec de fortes pressions, des encrassements, des substances et filtres à changer régulièrement.
L’échelle log permet de mieux voir les rapports entre les différents biens mais écrase les différences
Toutes ces étiquettes sont donc bien jolies mais le véritable problème reste dans la production et la vie du produit, du puit à la tombe comme on dit. Nous n’avons évidemment pas cette information car elle génerait grandement le commerce de tous ces biens. Le transport par container et bateau voire avion a bien aussi une influence mais finalement peu important par rapport au reste. Si des efforts ont été faits dans la construction de ces biens, parfois compensés par des plantations d’arbre, l’impact est de moins en moins dans le pays où est consommé le bien. C’est bien ici aussi le cœur de la problématique dans la négociation des objectifs climat des grandes nations. Et mes chiffres sont valables avec un mix énergétique français, peu coûteux en CO2. Dites vous qu’avec un mix chinois, cela change le rapport de force puisque l’on a une multiplication par 10 par rapport à la France. Cela augmente l’impact de la consommation sans bouleverser totalement l’échelle de valeurs entre les différents produits.
Alors quand il faut payer cher pour réparer certaines choses, pensez aussi à ce que cela coûte non seulement à racheter mais à reconstruire un nouveau produit. Et j’avais envie de terminer par un groupe Texan, état souvent symbolique…
Bande son : ZZ Top - I Gotsta get Paid
Commentaires
Anatolem par mail
J’ai quand même du mal à comprendre qu’on serait plus écologique en jetant un produit qui fait le boulot, pour en acheter un qui a fait des centaines de kilomètres, qui emploie des gens à bas coût et avec des conditions de travail qui laissent sans doute à désirer. Faut avoir une âme écologique mais faut pas sombrer dans l’extrémisme. On nous fait miroiter un monde meilleur avec de l’électricité éolien, mais qu’est-ce qu’on va faire des pales lorsqu’elles seront en fin de vie sans compter combien il a fallu d’énergie pour la produire.
Iceman
C’est aussi cet argument social qu’il faut mettre dans la balance lorsque l’on achète pour rempalcer. Pour l’électro-ménager, c’est simple, il n’y a que l’Europe de l’est au mieux, maintenant. Pour les petites voitures aussi, à quelques rares exceptions. Et puis il y a le ratio entre le prix de la réparation et le prix du neuf. Il arrive justement à cause de ces éléments sociaux que le neuf est aussi cher ou moins cher que la réparation ! Et pourtant environnementalement, ce n’est pas pareil. Pour les éoliennes, il me semble justement que des associations ont mis en lumière ce problème d’usure et donc d’abandon de certaines pales, machines, parfois par manque d’entretien aussi. Mais en face aussi il y a sur d’autres énergies ce même problème et une énergie considérable à déployer pour “détruire” ce que l’on a construit et qui aura duré 40-50 ans. L’équation est complexe mais pas insoluble.