Littérature – Nickel boys de Colson Whitehead (2020)
Entre fiction et réalité, entre évasion, enquête et mémoire, voilà un livre qui mélange les genres tout en étant furieusement d’actualité. Et pourtant, nous sommes dans la Floride de la ségrégation raciale, dans les années 50-60.
On découvre des cadavres dans un terrain d’un ancienne maison de correction en Floride. Des anciens pensionnaires, sans doute, dont les autopsies montrent des violence et des assassinats sommaires. Mais que se passait-il donc avant que l’établissement soit fermé ? C’est ce que l’auteur afro-américain Colson Whitehead nous fait découvrir. Il a obtenu son deuxième prix Pulitzer avec cette fiction pourtant basée sur une histoire réelle similaire.
Son héros, c’est Elwood Curtis, un jeune noir abandonné par ses parents et recueilli par sa grand-mère. Contrairement à beaucoup des jeunes de son quartier-ghetto, il montre de bonnes dispositions pour les études. Il est aussi fan d’un certain révérend Martin Luther King ce qui le pousserait à une résistance pacifique à la ségrégation. Un professeur de son école (pour les noirs), parvient à lui trouver une place dans une université. C’est sur la route vers cet établissement qu’il monte dans la mauvaise voiture et se retrouve dans cette maison de correction, malgré son innocence.
La description de cette époque est justement très journalistique et historique, n’oubliant rien des humiliations et injustices de la Floride. Il y a les lois Jim Crow et les manuels d’occasion récupérés des blancs avec des insultes à chaque page. Terrible scène où le professeur d’Elwood demande de rayer toutes ces insultes page par page. Et puis il y a une justice qui n’a que le nom… Cela aboutit dans ces maisons qui ne réhabilitent pas mais brisent des vies. Aucun enseignement, un espoir de sortir plus tôt si on « se tient bien » sauf que ce n’est qu’illusoire. On se prend d’affection pour ce jeune héros qui subit d’abord autant de ses congénères que des surveillants tortionnaires. Puis il comprend le « fonctionnement » du lieu, essaye de s’en sortir. Mais le peut-il seulement quand sa seule famille désespère de le revoir à l’extérieur ? Au passage on apprend le nom d’un périodique du KKK qui est largement distribué à cette époque chez les tenants du pouvoir.
Mais justement le mystère demeure sur le devenir du jeune homme. Un témoin des meurtres? Une victime? A-t-il réussi à s’évader ? Le déroulement est un peu long et le roman n’est pas un page-turner. Ou peut-être cette violence omniprésente me faisait-elle mal dans ma chair. J’ai pourtant continué jusqu’à ce twist final … Non je n’en dis pas trop. Et on comprend surtout bien mieux le pourquoi du Black lives matters, après cette lecture. La blessure est si récente et profonde. Même si certains de nos héros fuient ensuite vers le nord, ils restent marqués à vie par ces traitements infligés. Coupables réels ou imaginaires se mêlent dans l’établissement jusqu’à niveler tout cela dans la violence, institutionnelle chez les cadres de l’établissement. Il faut s’endurcir pour s’en sortir, mais à quel prix ? Cela interroge autant sur une résilience individuelle que celle d’une société entière.
Je ne sais pas si ça méritait un tel prix journalistique puisqu’ici c’est traduit. Mais c’est une pièce essentielle pour comprendre l’histoire états-unienne contemporaine et ce clivage profond entre une partie de la population et la police. De là à comprendre la violence qui gangrène ce pays?