Technologie – L’hybridation rechargeable, arnaque ou pas ?
Je vois de plus en plus d’articles parler des consommations réelles bien supérieures à celles annoncées pour les véhicules hybrides rechargeables. Au point que l’on crie souvent à l’arnaque alors qu’il faudrait simplement expliquer comment ça marche ?
Les protocoles de test
Dernier avatar de cette campagne de dénigrement, l’avis de l’association environnementale Transport & Environment (T&E) qui dénonce des différences sur les marque BMW, Mitsubishi et Volvo. Il se trouve que je connais bien le protocole suivi pour leur test puisque j’ai travaillé avec eux de manière indirecte. Il n’y a pas à le mettre en doute mais plutôt à expliquer le résultat, un peu vite monté en épingle par la presse.
2012 Toyota Prius Plug-in Hybrid
Dans les chiffres officiels d’un véhicule, on fait rouler la voiture sur un cycle bien défini (WLTC), sur des rouleaux, à l’intérieur pour que cela soit répétable avec le moins d’influences possibles. Il dure jusqu’à 1800 secondes, soient 30 minutes. La distance correspond à environ 23km et le véhicule part avec des batteries pleines. Vous aurez vite compris que dans ces conditions, un véhicule hybride rechargeable sera le plus souvent en mode électrique. D’autres chiffres sont utilisés mais peu souvent affichés avec le test en conditions réelles (RDE). Cette fois nous sommes en extérieur et les consommations et émissions ne doivent pas dépasser X fois celles sur bancs à rouleaux. La valeur de X (1,5) va être sévérisée et la distance utilisée doit faire un minimum de 16km. T&E part sur ce même type d’essai mais en changeant les conditions de parcours (plus long) ce qui fait que l’on sort de la stricte utilisation du mode électrique des véhicules.
Un banc à rouleaux
Le contexte commercial
Il faut rappeler aussi que les constructeurs ont choisi de privilégier ce mode de fonctionnement pourtant complexe car d’une part les règles fiscales poussent les entreprises à avoir des parcs affichant des consommations moyennes basses et j’insiste sur le Affichant. Et d’autre part, la réglementation sur les émissions globales des constructeurs (accessoirement très favorable aux premium allemands) donne un petit bonus pour les hybrides rechargeables et un gros bonus pour les électriques dans le calcul du réalisé annuel par rapport aux objectifs. Malgré ça, il y a eu rachat de “bonus électriques” (Fiat Chrysler auprès de Tesla) et échec sur les objectifs pour certains (encore VW..). Reste donc la mise sur le marché massive des hybrides rechargeables. Ajoutons à cela la mode débile des SUV ,crossovers, et autres trucs lourds et peu aérodynamiques sur lesquels les constructeurs margent plus que sur la berline. Il faut bien compenser la surconsommation réelle avec quelque chose. Le Diesel devient aussi trop cher à “dépolluer” dans les dernières normes.
Un peu de technique
Quand j’ai vu les valeurs homologuées sur les hybrides rechargeables pour les consommations (et donc les émissions), j’ai évidemment rigolé. Une hybride simple à 4l/100km se retrouve miraculeusement à 1,5 ou 2l/100km lors de son passage en rechargeable. Cela ne correspond absolument pas à la valeur que vous obtiendrez sur un plein, alors que pour l’hybride simple c’est déjà plus réaliste. Par exemple, sur ma vieille voiture hybride de 14 ans, j’obtiens de 3.6 à 5.5l/100km pour une valeur moyenne homologuée à 4.6l/100km environ. L’hybridation est extrêmement intéressante en ville et pas du tout sur autoroute. En effet, le principe est d’avoir le meilleur des deux mondes en terme de rendement : Le rendement d’un moteur thermique est intéressant sur autoroute alors que celui du moteur électrique y est déplorable. Et inversement en ville. Moins il y aura d’à-coup, plus le thermique est intéressant. On comprend donc que pour avoir un bon résultat, il faut soigner la gestion moteur.
Le matériel de test en conditions réelles
Alors pourquoi T&E obtient-il parfois 89% fois plus de consommation que ce qui est annoncé ? Le but des constructeurs est de passer les tests officiels, qu’ils soient RDE ou WLTC. S’ils dimensionnent les batteries pour passer le cap mini des 16 et 23km dans ces deux conditions, ils sont gagnants. Donc quelques constructeurs se sont empressés de rentrer dans cette brèche de la réglementation en ne soignant pas particulièrement la répartition entre les modes mais en privilégiant le mode électrique tant qu’il y a de l’énergie. C’est relativement facile et ça ne fait pas activer une éventuelle détection de cycle comme on l’a vu avec le Volkswagen gate. Pourtant, il y en a qui ont bien travaillé le sujet, ont soigné la gestion moteur pour obtenir un meilleur rendement grâce à la capacité d’un véhicule hybride rechargeable à stocker plus d’énergie. Penchons nous justement sur la différence entre ces hybrides.
J’ai fait des schémas simplifiés montrant les différents éléments des 4 types de véhicules sur le marché. Je ne m’attache pas à ceux qui sont à 4 roues motrices, et aux différences entre série et parallèle. Cela permet surtout de comprendre la complexité et le poids embarqué pour tous ces systèmes.
Dans une hybride simple, il y a des batteries pour faire environ 3 à 5km et elles se rechargent dans les phases où elles sont inutiles comme le freinage et les décélérations. Il y a donc un surpoids encore raisonnable par rapport à un véhicule classique, pas de partie chargeur, convertisseur, inverseur…Bref, même dans un système série/parallèle, on a un matériel embarqué limité. Le convertisseur est parfois aussi présent ou intégré dans un des éléments. Dans l’hybridation rechargeable, il y a plus de batteries pour faire de 25 à 50km en général. Il faut y rajouter aussi une partie chargeur avec un convertisseur, un inverseur qui permet de choisir ce qui recharge ou décharge les batteries, et tout ça fait un poids considérable en plus de la consommation et du rendement à la charge. Donc pour la même utilisation, une hybride rechargeable traîne plus de poids qu’une hybride simple et consomme donc plus. Et évidemment, un véhicule électrique a la même chose, sans toute la partie moteur thermique mais avec cette fois beaucoup plus de batteries de traction dont la densité énergétique est encore loin de son équivalent pétrole. Alors l’avantage est où me direz vous ?
Rester branché
Le principal avantage d’une hybride rechargeable est lorsque vous faites peu de kilomètres entre deux recharges. Par exemple, si vous utilisez le matin votre voiture pour faire 30km en péri-urbain, que vous pouvez la brancher en arrivant et repartir le soir, c’est intéressant. Idem si c’est pour aller au centre commercial pas loin. Forcément, on se dit que l’électrique seul fait mieux que ça. Mais lorsque vous partirez en vacances pour faire 800 à 1000km sur autoroutes, vous oublierez l’électrique mais garderez l’hybride rechargeable…qui pourtant est plus vorace que ses équivalents thermique. Il est connu que l’on fait plus de petits parcours que l’inverse en dehors de certaines professions. Mais malheureusement, on s’aperçoit que les utilisateurs d’hybrides rechargeables pensent rarement à brancher leur véhicule et donc ne s’y retrouvent pas. Le taux de satisfaction est actuellement très faible. La raison est qu’ils ne trouvent pas de bornes disponibles ou bien que comme ils voient de l’autonomie sur l’ordinateur de bord (qui calcule avec l’essence embarquée) ils n’y pensent pas. Il faut aussi ajouter que les chargeurs des hybrides rechargeables sont souvent dimensionnés pour la prise domestique et pas du tout pour une charge rapide. C’est plus simple pour tout un chacun chez soi car ça ne représente aucun coût d’installation d’une “wall box”. Oui, on rogne sur tous les coûts ! Sur des petits parcours en plus, le véhicule électrique a son avantage, mais on veut aussi garder de l’autonomie car ça rassure pour la polyvalence.
La jungle des chiffres
Si en plus on ajoute les véhicules dits Mild-hybrid ou siglés 48V qui possèdent un alterno-démarreur, le consommateur n’y comprend pas grand chose dans les boniments des vendeurs et des politiciens. Il faudrait pouvoir connaître le résultat d’un test réel avec départ batterie vide, chose que certains organismes d’accréditations font parfois de manière officieuse. On ne l’a pas dans la documentation présentée. Il faudrait connaître le type de cycle moteur utilisé ce qui peut être un indice sur la bonne gestion du comportement moteur, par exemple les moteurs en cycle Atkinson.(une liste est présente ici ). On ne l’a pas non plus. Je suis allé voir quelques fiches techniques. Par exemple la BMW 225xe qui possède un petit moteur 1.5l turbo de 100kW et un gros moteur électrique de 65kW, annonçant fièrement près de 50km d’autonomie. 1.9l/100km en WLTC évidemment ! Un test de 46km d’un site web a obtenu 3.8l/100km, sachant qu’ils ont du pousser un peu l’engin. Correct et on doit être sans doute proche d’une moyenne réelle sans trop de recharges (plutôt à 4.8 à mon avis). Sauf que la différence est colossale pour le consommateur. Idem pour la Clio E-tech qui est donnée pour 4.3l/100km et se voit essayée par l’argus à 4.5l/100km. Le comportement relevé pour la recharge reste surprenant, quand même et me laisse dubitatif. Au moins les chiffres sont honnêtes…et peu ambitieux. J’ai eu l’occasion de conduire aussi une Peugeot 508 Hybride (225ch) rechargeable et j’obtenais des chiffres décevants sur un parcours péri-urbain, proches de 7l/100km parfois quand on annonce 1.7l/100km. Un essai du moniteur automobile m’a confirmé le problème : “Au début de la semaine de test, je rechargeais de temps en temps pour, en moyenne, limiter la consommation à un convaincant 3 l/100 km. Mais quelques jours plus tard, sans charge, l’appétit en l’essence avait déjà atteint 7 l/100 km. L’autonomie purement électrique ne dépassant jamais 40 km, les possibilités purement électriques restaient trop limitées”.
Alors j’ai cherché un peu en regardant les chiffres disponibles, comment un client lambda peut faire pour s’y reconnaître. La première chose est de regarder les consommations du véhicule thermique équivalent dans la gamme. Je peux supposer qu’il faudra retirer 15 à 20% de consommation par rapport aux chiffres. Exemple: Prenons une BMW 530e hybride rechargeable. Elle utilise un moteur de cylindrée 2 litres 184ch plus un moteur électrique et ses batteries. Elle pèse 1770kg et annonce pourtant 1.7l/100km et 47g co2/km. Si on prend la BMW 520 qui a le même moteur (notez l’astuce sur le nom), elle ne pèse plus que 1530kg et annonce 5.7l/100km et 132g co2/km. On retrouve en général les mêmes ratios chez Audi, Mercedes ou Volvo. Oui les suédo-chinois font comme les allemands puisque c’est le même créneau. Donc la consomation hors-utilisation des batteries sera plus proche de 5.7l/100 que de 1.7l/100 car ce que l’on gagne avec l’hybridation sera en partie perdue par le surpoids.
qui pense réellement faire 1.7l/100 avec ça ?!
C’est assez simple chez les constructeurs allemands. C’est plus difficile sur les modèles uniquement disponibles en rechargeable. Dans ce cas, il faut se reporter sinon sur un modèle hybride simple techniquement proche. Exemple : Une Toyota Prius existe en normale et rechargeable. Quand l’une est annoncée avec un poids de 1375kg et une consommation de 4,2l/100, l’autre est à 1530kg et à une consommation de 1.5l/100. Votre consommation sera donc fonction de l’utilisation de la recharge entre ces deux extremums. On retrouve sensiblement les mêmes valeurs sur la Hyundai Ioniq (voir l’expérience de Timo ), concurrente directe de ce véhicule. Par contre, je peux d’expérience dire que dans une utilisation routière les chiffres annoncés sont valables à seulement +/- 0,5l, à moins de rouler comme un dingue sur l’autoroute. A noter que l’influence du gonflage est prépondérante sur ces véhicules. Sur la mienne, si je suis en dessous de la valeur de gonflage de 10%, je vais surconsommer de 5%, ce qui forcément se retrouvera dans votre porte-monnaie. On rentabilise vite un petit système de gonflage qui vaut 30 Euros pour le modèle analogique à pédale jusqu’à plus cher pour des compresseurs électriques.
L’arnaque se niche aussi dans l’électrique : 2.5 tonnes,19kWh/100km soit le pire dans ce domaine.L’équivalent de 2l/100km comme un PHEV !
Un soupçon d’arnaque, mais pas qu’ici
On s’aperçoit aujourd’hui que l’hybridation rechargeable est privilégiée sur des gros véhicules déjà lourds à la base pour faire baisser la moyenne officielle (chose encore vérifiée sur un essai du Moniteur auto sur le C5 Aircross hybrid). Sauf que tous ces véhicules n’ont rien d’écologiques, quelque soit la motorisation. Même en électrique. Faire le tri, c’est pouvoir tester le véhicule et afficher la consommation sur l’ordinateur de bord en regardant le niveau de batterie au départ…Pas facile de décharger cela. Mais si le moteur thermique affiche beaucoup de chevaux, il y a tout lieu de penser qu’il n’y aura pas de miracles à la fin, surtout si vous ne faites pas que de l’autoroute. Alors se faire plaisir en faisant vroum vroum pendant que le thermique demeure (mort assurée en 2030), c’est à chacun de voir et je pense qu’il y a des circuits et des véhicules adaptés pour ça. D’ici là, on fera forcément aussi bien avec la progression de la densité énergétique des batteries mais paradoxalement, ça sera l’inverse des thermiques actuels : Plus de conso sur autouroute qu’en ville.
L’hybridation rechargeable n’est pas une arnaque pour autant. Il y a des véhicules très efficaces mais j’ai tendance à penser qu’ils se comptent sur les doigts d’une main. C’est une technologie transitoire, comme l’est aussi l’hybride simple. J’ai décrit le type de parcours sur lequel ce type de véhicule est intéressant. Si ce n’est pas votre utilisation, passez votre chemin. L’arnaque est plus du côté des flottes de véhicules et des taxes qui se basent sur des chiffres très loin du réel. On se retrouve alors avec des VRP roulant en hybrides rechargeables alors que ce n’est clairement pas le meilleur choix. En plus le surcoût peut se discuter face à un véhicule purement électrique, par exemple, qui lui sera impossible à emmener en vacances dans l’état actuel du réseau de recharge. Tout cela amène à penser sa manière de se déplacer finalement. Pour ma part, je conserve mon vieux véhicule hybride, rentabilisé économiquement et écologiquement. Peut-être qu’en occasion cela pourrait me tenter puisque cela gomme quasiment le surcoût mais certainement pas neuf, et surtout si j’y étais forcé. A vous de voir maintenant. Gardez à l’esprit que l’automobile va redevenir un luxe, si elle ne l’était pas encore…
- voir aussi le numéro de février 2021 de Que Choisir :
Bande son : London Grammar - Californian Soil