Réflexion – Sait-on encore ce qu’est la guerre?

Je fais partie de la dernière génération à avoir fait son service militaire. Ca n’a l’air de rien, mais ça fait aussi voir les choses autrement.

Alors bien sûr, il y a service militaire et service militaire. J’étais dans ce que l’on appelle une compagnie de combat, plus précisément dans l’infanterie motorisée dans une unité anti-char. Le paradoxe c’est que j’étais aussi dans un char… mais léger. Passons ce détail. J’ai appris à tirer avec une arme de guerre, à tirer avec un lance-roquette, à poser des mines et autres petites joyeuseté du genre dans différentes manœuvres. Tenir entre les mains ces moyens de tuer n’est pas si anodin. Au début, cela ressemble en effet à un jeu, puisqu’on a des tirs à blanc. Mais quand il s’agit de tirer à 300, 600m et de voir un morceau de carton tomber en face, on réalise peu à peu ce que ce serait sur un humain. Finit l’aspect First Person Shooter en réel. Vient un jour où on fait un exercice de conquête ou de défense d’un village, ou tu dois ne pas être “abattu” ou tu ressens cette angoisse de l’attente de monter au front. Tu es pris dans ce jeu étrange, dans ta propre sauvagerie qui dormait peut-être jusqu’ici.

Bien sûr, pendant ces mois, d’autres choses m’ont traversé l’esprit et m’ont marqué. D’autres l’ont vécu autrement que moi. J’ai croisé des engagés volontaires qui avaient des espoirs, qui voyaient cela comme un boulot ou encore une aventure. On ne parlait pas de mort, on ne parlait pas de tuer, curieusement. Quelques années plus tard, j’apprenais la mort d’un sergent que j’avais pour chef à l’époque, dans un pays africain où il était alors en poste. Une mort idiote pourrait-on dire puisque l’ennemi était un ancien allié de la France, une dispute géopolitique ou sur l’appropriation de richesses derrière tout cela. Même pas une guerre… La guerre a assez causé de dégâts dans ma famille pour m’y faire penser pendant ce service. Je me souviens de quelques jours dans une tranchée gelée et humide, à patauger dans la boue sous une pluie battante. Deux jours pour moi avec l’assurance de rentrer au chaud, de ne pas me prendre une balle ou un gaz, face à la souffrance de millions d’autres.

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La bataille des pyramides par Gros

Je n’ai ressenti aucune jouissance, aucun sentiment d’héroïsme. Je n’ai eu aucune envie de poursuivre l’expérience comme d’autres de mes camarades de l’époque. Juste faire ce qu’on attendait de moi, faire le job. Notre capitaine, saint-cyrien pur jus, avait l’armée chevillée au corps. Il est bien monté en grade jusqu’à l’état-major, général aujourd’hui. Mais lui aussi ne parlait pas tant de la réalité de la guerre, même s’il a écrit sur le sujet. On ne parle pas de ces sacrifices humains, sinon en terme de héros, de martyrs, pour glorifier cela. On fait visiter de hauts lieux des combats, devenus des sépultures avec souvent des fosses communes. Les images dérangeantes ne sont même plus là. J’en ai vu pourtant mais loin d’ici, dans un pays ravagé par 30 ans de guerre, dans un musée qui accusait encore l’ennemi. Pour être juste, il aurait fallu montrer les exactions des deux camps, les gens envoyés dans une boucherie sans nom, même si c’était pour leur liberté face à des impérialismes. Et dans ce même pays, je voyais un stand de tir avec des armes sur un site du souvenir. L’argent plutôt que la mémoire, là encore.

Depuis quelques années, j’entends beaucoup le terme “Guerre” en toute circonstance. Contre le terrorisme ou même contre un virus. On fait des conseils de défense dans tous les sens, aux mains de gens qui n’ont pas même idée de ce qu’est le “front”, qu’il soit dans l’armée ou la santé. Le mot perd de son sens, de sa vérité. Nous ne sommes pas en guerre, aucunement menacés d’aller sur un front pour une mobilisation, ni même de choisir un camp dans une guerre civile. Il y a bien quelques volontaire sur ces conflits sporadiques où le pays s’engage mais rien d’une véritable guerre comme certains pays les vivent aujourd’hui. Les guerres sont de nouveau lointaines. La dernière en Europe fut en Ex-yougoslavie. Elle semble enterrée, oubliée mais reste pourtant latente, prête à ressurgir accompagnée d’une idéologie malsaine. Ah si, le Donbass en Ukraine, mais on croit presque que c’est l’Asie, comme le Haut-Karabakh. Avouez que sur une carte, vous ne savez pas situer.

Le temps nous a fait oublier l’histoire, la montée de ce sentiment qui amène à jalouser, envier, détester. Le désir de revanche…Il nous a même fait ignorer les monuments aux morts. Les hommages sont devenus trop systématiques avec de beaux discours mais qu’on n’écoute plus, qu’on lit sans même en comprendre le sens profond, ou en détournant tout de son sens. “Plus jamais ça” disait-on après ces guerres mondiales. Et puis on sait ce qu’il est arrivé. Cela a continué, ailleurs, pour d’autres raisons, entre pouvoirs des blocs, entre conquêtes de libertés et appropriations. Les noms ne touchent plus, pas plus que les dates devenues celles d’un siècle plus tôt. Un peu comme si on me demandait d’être touché par ces guerres napoléoniennes sanguinaires. La guerre est devenu un paragraphe dans un livre, une image furtive d’un pays inconnu. La guerre au mieux, c’est le témoignage d’un réfugié que cela a plus bouleversé qu’il ne le croit.

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dégats de la guerre

La guerre s’est banalisée, devenant à nouveau un jeu plus réaliste que nos bagarres d’enfants. Mes parents ne voyaient pas d’un bon œil que je joue avec des armes factices. Mais l’enfant reproduit aussi ce qu’il voit : Les films, les livres, … La guerre fait partie de nous, souvent glorifiée, rarement dépeinte dans sa froideur morbide. Elle est devenue aujourd’hui virtuelle, avec ces scores, sans que l’on meurt réellement. On y trouve de l’adrénaline, de l’exaltation, sans même se mettre en danger. Je crois qu’elle est profondément en nous et qu’interdire ne servirait à rien. On peut le dire, bien sûr, qu’il ne faut pas faire la guerre. IL ne faut pas non plus exposer de jeunes âmes à cette violence souvent pire que celle des films. Mais la violence est là, quelque part, prête à surgir, même chez le/la plus pacifique.

Ainsi, des manipulateurs continuent d’envoyer des innocents se sacrifier à leur place. Ils sont au pouvoir de pays, ou simplement de petits groupes endoctrinés. Le résultat reste le même, une guerre, quelque soit le prétexte. Ils se gardent tous bien de parler de la réalité, de la souffrance, des privations. Ils se drapent souvent de bons sentiments, d’humanité quand c’est pour commettre des crimes contre cette même humanité. Il faut parfois garder la tête bien froide quand c’est tout un pays qui se met à suivre ces fous. Il faut parfois savoir décoder les signaux pour ne pas croire le plus séduisant. Cela me désespère quand on pense à recourir à des militaires, quand je lis certaines tribunes.

Comme je disais, j’ai vu la guerre dans son horreur, je l’ai “pratiquée” un peu plus que bien des personnes en exercice et j’ai écouté ceux qui en revenaient ou en étaient revenus, victimes, belligérants, forces d’interposition. J’ai que ça ne concerne plus ou que l’on voit ça comme un “truc lointain”. Je ne sais pas, au fond, ce qu’il faudrait faire pour que l’on sache, pour que cette sauvagerie diminue en nous. Je ne sais pas qui se sentira concerné par ce texte, ou ces quelques images mises pour illustrer. Je pourrais égrener les œuvres à lire ou voir sur ce sujet mais j’ai le sentiment qu’on ne sait plus les voir comme moi je les vois. Mais pourtant j’essaie de garder ce qu’il y a de bon en tête, de voir qu’il y a aussi de la solidarité et de l’entraide dans ce monde pour compenser tout cela.

Bande son : Hair - Scène finale video


Ecrit le : 07/08/2021
Categorie : reflexion
Tags : réflexion,guerre,mort

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