Depuis très longtemps, le personnage de Toussaint Louverture me fascine. La dernière biographie historique sur ce personnage majeur de l’anti-colonialisme me permet enfin d’en apprendre plus

Comme le rappelle l’auteur de ce livre très complet et complexe, il a été beaucoup écrit sur le “père” de la révolution haïtienne, que cela soit de son vivant, ou pendant les 2 siècles qui ont suivi. On a eu des hagiographies, ou des pamphlets critiques, mais rarement une neutralité qui se contente des faits. Surtout qu’il n’est pas aisé de retrouver des documents après l’histoire tumultueuse de Saint-Domingue / Haïti.

Le livre parle peu de l’enfance de Toussaint de Bréda (du nom de la plantation où il fut esclave) dans les années 1740. L’histoire se concentre finalement de 1770 à son décès. L’auteur essaye de faire la synthèse de la documentation réunie et dévoilée encore récemment, bien qu’il ne soit pas toujours facile de faire le tri entre réalité et fiction. L’esclave Toussaint apprend vite à se débrouiller, à se construire dans une colonie dont l’économie est dépendante totalement de l’esclavage. Sa famille vient d’Afrique mais lui est né sur place. L’auteur fait comprendre ce qu’est cette société complexe entre les blancs d’une bourgeoisie et aristocratie dominante, les blancs sans le sou, les noirs africains, les natifs d’Haîti, les Tainos, les métis, etc…Parvenir à unifier tout ce monde paraît illusoire. Mais la révolution française de 1789 vient rajouter aux idéaux venus des États-unis, et à la littérature de la France des lumières.

Toussaint qui se baptise Louverture, va se nourrir de tout cela, de rencontres aussi avec des rebelles, des “marrons” (esclaves qui se sont enfuis), avec des militaires, avec des “protecteurs” sur sa plantation. Il est curieux, polyglotte, habile négociateur et devient aussi une éminence grise des mouvements de libération. C’est d’abord un chef militaire dans cet environnement conflictuel. Les Caraïbes de l’époque restent encore un espace de conflit entre les trois empires français, espagnol et britannique, auxquels viennent se mêler les jeunes États-unis. Louverture va jouer de ces rivalités pour obtenir ce qu’il désire au fond : La liberté et l’unité. On le voit s’allier aux espagnols, être royaliste puis républicain. Cela m’a rappelé une autre histoire d’indépendance, celle d’Ho-Chi-Minh au Vietnam qui a su aussi naviguer entre les rivalités russes, françaises, chinoises et américaines. Nul doute qu’il connaissait cette histoire de Louverture d’une certaine manière.

Le personnage est donc complexe, et la situation laissée à Haïti a tout d’une poudrière. Il était trop tôt dans l’histoire pour imaginer copier un modèle républicain. Et on comprend ensuite les dérives autocratiques dans cette île impossible à pacifier durablement. Mais de cette complexité que l’auteur essaie de décrire et comprendre, naît la complexité de lecture. Nous ne sommes pas dans la facilité d’un roman ou d’une fiction vue la profusion de détails, d’anecdotes et de notes. Le but est évidemment d’être complet, comme dans un travail historique et n’attendez donc pas un roman historique. J’y ai trouvé mon compte parce que je ne connaissais pas les détails de cet homme remarquable. J’ai complété cette lecture en m’intéressant au parcours du Général Dumas, le père d’Alexandre et qui a quitté Saint-Domingue pour une carrière militaire durant cette même période trouble.

Les deux partagent une relation complexe avec un certain Bonaparte qui a rapidement mis sous l’éteignoir les libérations d’esclaves. L’histoire d’Haïti est partie de tout cela, et reste marquée par ce personnage qui a presque su aboutir à son rêve. Mais de rêve, il n’y a point eu avec l’héritage que le colonialisme et l’esclavagisme laissèrent. Il faut alors continuer sur d’autres livres d’histoire. La figure de Toussaint Louverture reste fondatrice par son parcours, et rappelle finalement qu’une nation ne naît pas facilement sans une autorité fédératrice et puissante qui doit pouvoir assurer son héritage. A méditer.