Cinéma - Citoyen d'Honneur de Mohamed Hamidi (2022)
Le retour dans son pays d’origine est un sujet beaucoup traité dans la littérature comme au cinéma. Mais s’attaquer à ce sujet en y mêlant la situation en Algérie est plutôt osé.
C’est un remake d’un film argentin du même nom datant de 2016. Il y a d’ailleurs un clin d’œil dans la scène d’introduction. Ici, Samir Amin (Kad Merad) est aussi prix Nobel de littérature. Il vit à Paris dans un bel appartement, divorcé, père d’un fils avec lequel le dialogue se rompt. Et suite à son prix, il est dans le doute, n’écrivant plus, refusant toutes les invitations. Jusqu’au jour où son village d’origine, en Algérie, le convie à une semaine de célébration. Il a quitté son pays pour poursuivre ses études à 20 ans et son œuvre littéraire est très marquée par cela, même s’il n’y est pas retourné depuis 35 ans.
Voilà un film parlant d’Algérie, tourné par contrainte au Maroc, par un réalisateur né en France mais lui aussi franco-algérien, avec comme héros un acteur né an Algérie et un casting très franco-algérien également. Donc la problématique du film est bien prise en compte. Comme Samir Amin le dit dans sa “master class” dans le film, beaucoup d’écrivains ont écrit sur des pays où ils ne sont jamais allés. Mais ce n’est pas le seul sujet du film. Le risque est évidemment de tomber sur quelques clichés sur le pays concerné. Et en même temps, il y a une certaine vision de l’Algérie depuis l’extérieur, mais aussi de la part de son héros, que le réalisateur s’emploie à contrarier.
Samir va donc suivre un parcours initiatique avec son voisin d’enfance Miloud (Fatsah Bouyahmed) qui l’accueille. Au premier abord, c’est le gars trop gentil, naïf. Mais l’on s’aperçoit vite que la situation n’est pas celle d’une petite ville perdue dans la montagne. Derrière l’accueil des officiels, il y a les blessures de la période dite de la “décennie noire”. Il y a ce conflit de génération entre le pouvoir et la jeunesse. Il y a la corruption…Alors avec un tel poids, il n’est pas évident de garder la légèreté d’une comédie même dramatique.
Le problème de ce film est que l’on a l’image de Kad Merad dans des comédies, même s’il a prouvé son talent dans d’autres registres par le passé. En plus avec le code couleur de l’affiche, on peut croire à une énième comédie pour prime-time de grande chaîne. Il n’en est rien et on trouve plus de profondeur dans un format d’1h30. On part donc avec un faux rythme de comédie tout en sentant venir le basculement vers le drame. De là peut-on ressentir un manque dans le drame ou la comédie mais l’ensemble fonctionne pourtant très bien. Le casting est impliqué avec des contre-emplois comme celui de Zinedine Soualem ou Brahim Bihi, des découvertes comme Brahim Bouhlel et des confirmations avec Oulaya Amamra. Antoine Marteau rend honneur aux magnifiques paysages du … Maroc, même s’il essaie de les rendre plus algériens. Et s’il subsiste des défauts, ils sont effacés par le scénario très bien adapté à cette nouvelle situation, qui reste à l’équilibre entre le sujet initial et la description de la complexité de la situation.
Sans dévoiler tout le film, on y parle évidemment du Hirak et des manifestations de 1988. C’est une jeunesse partagée entre la révolte et la désillusion qui s’exprime à travers le personnage de Selma (Oulaya Amamra) ou du poête Mehdi (Brahim Bouhlel). Ils s’expriment dans des nouvelles, du rap, un thème cher au réalisateur, également fondateur du Bondy Blog. La société décrite dans cette ville paraît fracturée et meurtrie mais on peut voir toute la fierté et l’unité qui peut se faire au travers de leur héros local.
Je m’interroge sur la “happy end” quasi obligatoire dans ce format, puisque apparemment la fin de la version argentine était plus ouverte. Cela ne me gâche aucunement le plaisir d’avoir vu ce film qui interroge sur les liens que l’on entretient avec une terre que l’on n’a parfois à peine connu. Il y a des attractions inexplicables en nous qui nourrissent fantasmes et rêves. Des rêves qui ne donnent pas lieu à des désillusions quand enfin on tente de les réaliser. Et si Samir Amin retrouve sa maison, sa ville, ses connaissances, il trouve aussi des inspirations, nourrissant par là même celles d’autres personnes. Un message d’espoir aussi pour l’Algérie qui par ses richesses multiples peut se permettre de rêver. Et si ce n’est pas des Nobels, elle reçoit aussi des messages d’amour (complexe) comme ce film.