Réflexion - En soldes
J’ai l’impression de toujours être entre deux périodes de soldes, tant elles se succèdent. Elles changent de thème, mais on est passé de l’injonction de faire une bonne affaire à l’injonction de consommer.
Je me souviens de mes parents et grands parents qui cherchaient souvent la bonne affaire, décortiquaient les prospectus qui arrivaient. Non pas que ça soit la pauvreté mais c’était une habitude. Il y avait le souvenir de la guerre, de la reconstruction pour les uns, des débuts difficiles dans la vie pour les autres. Alors on allait parfois un peu loin, dans un de ces nouveaux hypermarchés parce qu’il y avait une grosse promotion sur de la viande (qu’on ne mangeait pas tous les jours) ou autre chose. On faisait “le plein” comme ils disaient. J’étais jeune, ça me dépassait un peu. Mais bon, l’essence était (relativement) bon marché pour justifier un tel déplacement en famille (5 dans la R6…) et ça occupait une soirée. Je préférai peu à peu rester au rayon livres plutôt que supporter ce flot de grandes personnes rivées à des caddies. Et puis sinon on allait parfois chez Tati, le vrai, celui de Barbès. Là encore, une sacré expédition, des bacs de fringues de toutes sortes où on furetait. Puis petit à petit, j’ai eu l’impression que cette habitude a disparu. Surtout quand mes grands parents ne pouvaient plus se déplacer comme avant. Ce n’était pas non plus le hard-discount d’aujourd’hui (pas celui d’il y a 15 ans, déjà mort) où l’on vend du non durable, de la mauvaise qualité, qui vient de loin.
Mais l’on consommait encore des choses faites “chez nous”. Pas celui de l’extrême droit alors, mais juste celui d’une industrie des trente glorieuses. Ils regardaient les étiquettes, recherchaient le made in France avant que ça ne redevienne à la mode (et introuvable). Et puis ça s’est perdu, parce qu’aussi il n’y avait plus le choix. Les vêtements déjà, tous fabriqués ailleurs, dans des matières moins nobles aussi, pour le grand père, spécialiste du domaine. On reprisait aussi, on réparait et parfois c’était moins joli. J’ai été traumatisé par les pièces aux coudes mais finalement, c’est un style. Oui, on achetait durable, qu’importe les modes. Pas de futilités non plus, juste l’essentiel, le fonctionnel. Les moqueries de certains à l’école, pff,… Puis peu à peu, avec un peu d’aisance financière, des petits plaisirs et luxes sont arrivés. La télévision couleur, le magnétoscope, la chaîne HiFi, l’ordinateur. Là encore, du choix réfléchi, pesé, mais pas forcément la séduction des soldes sur des entrées de gamme ou des produits à la mode. Plus de produits “made in France”, même si on parlait d’usines japonaises qui s’installaient en France. Elles sont reparties plus à l’est de l’Europe après la chute du mur. Et la Chine s’éveilla, remplaçant le “Made in Taiwan” par le sceau de l’empire en reconstruction.
Je n’ai donc pas été habitué à changer pour changer, pour suivre une mode et ça, je l’ai conservé. Je cherche toujours durable, fiable, autant que je peux et parfois le modèle que personne ne connaît ou ne veut parce que moins glamour. Je dis ça mais lorsque j’ai commencé à travailler, je me suis fait quelques plaisirs, notamment dans l’informatique où j’ai passé quelques années à upgrader ma machine de l’époque avec ce qui sortait. Je l’ai un peu raconté ailleurs. Quelques plaisirs musicaux, et mélomanes aussi, puis en terme de home-cinéma. Mais rien de très extravagant finalement. Même quand nous étions “gamers”, madame et moi, nous attendions un peu avant de succomber à la dernière console sortie, en “vieux routiers” que nous étions. A force d’être en dehors des modes, on arrive à être dedans, me disait le grand-père qui savait de quoi il parlait. Et du coté de la high tech, la dernière folie fut certainement un smartphone de milieu de gamme acheté deux ans après sa sortie, … et qui, signe du destin, était cousu de bugs et malfaçons. Il fonctionne encore après 5 ans quand même, après 2 retours atelier, mais depuis je vise plus bas. Bref, je suis loin de courir les soldes, plutôt le rapport qualité prix sur ce qui ne sera pas soldé. Et donc, pas de fringue en vente pour en racheter d’autres, idem sur les autres domaines. Pourtant, je vois bien qu’imperceptiblement, il y a des failles, on se laisse tenter par un petit vêtement par ci, un autre par là ce qui fait que l’on trouve tous les 10 ans les placards trop garnis de choses que l’on ne mettra plus et que l’on donnera. En espérant juste que ça ne sera pas trop vite broyé.
Je vois pourtant chaque année les mêmes scènes se reproduire. Les files d’attente devant les boutiques à la mode, devant les supermarchés qui font une promotion ou des soldes, les émeutes pour un produit. Je vois aussi les marques jouer avec la rareté sur un marché pour en favoriser un autre et vice-versa. Ça donne l’impression que l’on rate un truc, évidemment. Euh, si je rate maintenant les jeux premium, ce n’est pas très grave car je n’ai jamais l’impression que la jouabilité est au niveau de la performance technique, ou de l’innovation, ou très novatrice surtout. Fini le temps où je pouvais m’extasier sur le photoréalisme pour un jeu injouable ou creux. Et puis c’est vrai que mes centres d’intérêts ont évolué, comme les occupations. Récemment j’ai discuté avec un fan de “pomme” et son utilisation et je lui disais qu’avec mon truc à 10 fois moins cher, je faisais la même chose…Sachant qu’il avait la possibilité de faire des choses intéressantes mais qu’il ignorait. Alors il me sort qu’il a profité de l’offre de son opérateur…Hum, là je n’ai pas voulu sortir la calculatrice pour voir si tel forfait que tu peux changer tous les 6 mois peut te faire faire une bonne affaire par rapport à un forfait cher qui te ferait gagner des points sur un renouvellement.
Pourtant la tendance est à des opérations comme le cashback, le fait de redonner de l’argent lorsqu’on achète quelque chose. Ça fidélise, OK, mais surtout c’est un gros piège à consommation. L’humain est ainsi fait qu’il va vouloir avoir plus de cashback et donc va plus acheter, même des choses qu’il n’aurait sûrement pas envisagées avant. On a le droit d’être conscient de ça en jouant le jeu mais à un moment, on perd de vue cet aspect consumériste de la chose. Même principe sur les bons d’achats des cartes de fidélité des supermarchés. J’en reçois plein sur les tickets mais toujours sur ce que je n’achète pas, sur une marque que je ne veux pas. Mais j’imagine celui ou celle qui collectionne ça et fait ses courses en fonction de ses bons. Regardent-ils/elles vraiment le produit concurrent sans le bon d’achat ? Pareil pour les offres qui permettent d’avoir plus de points ou d’argent dans sa cagnotte. Je ne regarde pas car ça m’orienterait vers ce que je ne veux pas. Je connais les prix de beaucoup de produits, surtout fruits et légumes d’ailleurs et je ne suis pas rivé sur mon portable avec le prix de la concurrence, etc. Je regarde plutôt ce qu’il y a dedans.
Les prospectus qui garnissent les boites aux lettres sont là pour ça pourtant. Il faudrait aller prendre ça chez telle enseigne, ça chez une autre, etc… Je l’ai connu avec mes parents quelques fois mais au final, tu te retrouves à compléter tes courses avec des choses peut-être plus chères ou alors à bouffer quelques litres d’essence si tu n’as pas la chance que les enseignes soient très proches. (20km de plus, ça fait dans les 1 à 2 euros tout de même). Je ne parle même pas du temps passé. Le jeu en vaut-il toujours la chandelle quand on peut cibler d’entrée l’enseigne qui offre en moyenne le “panier le moins cher”. Encore un truc utilisé par les hyper pour montrer qu’ils sont mieux que les concurrents. Sauf que je ne suis pas un panel à moi tout seul et qu’en tant qu’infâme végan, je n’ai vraiment pas le panier de tout le monde. Ça marche sans doute avec certains mais pas moi. Je ne me reconnais déjà pas dans les habitudes de mes congénères sur le tapis de caisse. Forcément, le truc de mettre des lots à l’entrée éloignés des produits en individuel pour ne pas comparer les prix, ça ne fonctionne pas avec moi.
Mais le pouvoir d’achat est une donnée clé. D’un côté l’impression qu’il a baissé, de l’autre un gouvernement qui nous dit qu’il a remonté. Qui croire? Notre impression peut être faussée car nous ne retenons que les gros postes. Il y a l’énergie qui monte et pèse très lourd sur les plus modestes. Les salaires augmentent inégalement, comme le SMIC ce qui ne compense pas totalement une inflation qui reste une moyenne. Ce qui ne trompe pas, c’est l’augmentation de la pauvreté et le jour où le compte bancaire est à zéro chaque mois pour de plus en plus de personnes. Tenez, j’ai eu de l’intéressement participation et j’en suis content. Mon salaire a pourtant peu augmenté (mais il a augmenté contrairement au point des fonctionnaires). Sauf que cette prime d’intéressement ne donne pas la même impression que le salaire qui tombe chaque mois. Et on n’en fait pas forcément la même chose. Pour certains, ça comblera juste le découvert. Il ne faut donc pas croire que l’un remplace l’autre et que l’on va réinjecter cette générosité ou la moindre prime dans ce qui était prévu. De là le mauvais débat sur la prime de rentrée qui paye des téléviseurs, ce qui d’ailleurs est illusoire car aucune augmentation de vente n’a été esquissée. Globalement, je m’en sors pas si mal malgré l’augmentation de l’énergie mais suis-je une exception ? Est-ce que ça va durer? L’incertitude du lendemain pèse aussi sur cette notion de pouvoir d’achat.
Une chose qui m’inquiète plus dans cette injonction des soldes, c’est ce que l’on met en solde. C’est très souvent de l’éphémère, du non-durable, de l’obsolète. Soit on aura du solde sur de la fringue jetable (on en parle de la qualité en baisse ?), soit sur du high-tech à l’obsolescence programmée, plus rarement sur le modèle qui est fait pour durer (il y en a) et qui n’est souvent pas pris par les centrales d’achats qui préfèrent aussi vendre, vendre, vendre. Sinon faire des promos sur de la viande aux hormones, du poulet en batterie gonflé artificiellement, on sait faire aussi, donnant l’illusion de pouvoir vivre. On peut même faire du pain qui ressemble à du caoutchouc. Pour la provenance, c’est quand même rarement du local, même si c’est acheté dans la boutique locale. Ça fait venir, le vendeur peut essayer de fourguer plus cher et local mais c’est rarement ce qui se passe. Il faut vider les stocks, vider l’arrière boutique, et rebelote derrière, on commande pareil dans la nouvelle gamme en pariant que ça se vendra mieux cette année. L’impression de garder le pouvoir d’achat à travers les soldes est donc contre-productive non seulement sur la balance commerciale, mais aussi pour la planète. Imaginez si on instituait une règle environnementale sur les soldes, basée sur la distance parcourue par les matériaux… On en est loin.
Là dernièrement j’ai un souci avec un produit que j’ai acheté il y a onze ans. Je tente la réparation mais pièce cassée, trop fine pour la soudure sans détériorer autre chose. Je cherche le remplacement, le prix est 6 à 10 fois ce que ça doit coûter à fabriquer, deux fois supérieur à si j’avais acheté de la rechange à l’époque et au final à revient presque à 20% de tout l’ensemble neuf. Ça passe encore, donc je vais faire durer un peu plus. Surtout qu’en regardant le neuf, ça ne me paraît pas beaucoup mieux en durée de vie et qu’on vend aussi la même chose en location avec contrat : En deux ans, tu as explosé le prix du truc neuf à coté. Évidemment, on t’assortis ça de promos permanentes du genre “vous payez moins cher pendant un an…”. Et si tu n’en veux pluss, t’en fais quoi ? Tu te tapes toute la réinstallation ? Encore une autre manière de garder captif. Ne parlons évidemment pas du lieu de fabrication.
On parle souvent du “consom’acteur” et c’est clairement ce qui ne se fait pas. Nous subissons les soldes sans pouvoir les orienter sur ce qu’il faudrait. C’est du futile plutôt que de l’utile et pour ceux qui ont du mal à boucler les fins de mois, les soldes seraient à faire sur ce qui permet de manger, se chauffer, et déjà se vêtir correctement pour longtemps. Et quand je dis manger, c’est manger correctement et pas de la m…. L’injonction à consommer ou participer à des soldes donne l’impression que ne pas le faire c’est ne plus être dans cette société. En ligne, on a des soldes toutes l’année, des algorithmes qui vont te chercher les meilleurs prix et proposer dans une enseigne le produit tendance pour te dissuader de le prendre ailleurs. Dur de résister à cette machine à broyer. Pourtant, je pense encore à mes parents et grands parents, à cette relative austérité qu’ils avaient et qui ne rendait pas malheureux. Mais que peu à peu ils ont perdus aussi de vue dans les années 80-90…Loin de dire que c’était mieux avant, je pense quand même qu’on peut agir mieux maintenant et que si luxe on peut se permettre, c’est de vivre avec plus durable et frugale.
Bande son : Alright ?
Commentaires
Sima78 par mail
On est de fait impactés par les soldes, ne serait-ce que par le martelage publicitaire (tv, prospectus, radio, affiches, etc.) un véritable fléau. Par contre, la résistance de chacun à céder à l’attrait des soldes dépend de notre éducation, notre entourage et l’influence que cela peut avoir (avoir les mêmes chaussures que ses copains, avoir une plus belle voiture que celle du voisin, etc.), notre mode de vie (en effet, par ex. il y a moins de soldes sur les produits végans, mais on y vient peu à peu). Mes parents à l’époque étaient déjà anti-pub et les prospectus partaient au feu, bien qu’ils aient des salaires modestes ils avaient leurs habitudes, la nourriture et vêtements au marché, le PQ, la lessives et autres dans les grandes surfaces, ils étaient économes. Enfant, tous les pulls que j’ai portés étaient tricotés par ma mère, et je les aimais.
Ni moi ni Mme Sima aimons faire les achats, donc y allons que pour ce dont nous avons besoin, soldes ou pas… Mais comme tu le dis, lors d’achat en ligne pour ce que nous ne trouvons pas ailleurs, les algorithmes vont orienter, influencer notre achat, c’est indéniable. Si les soldes peuvent dans certains cas être une manne pour certains (des parents achetant à cette occasion tous les vêtements pour leurs enfants et eux-mêmes), les soldes ne sont pas toujours sources d’économie (faire 20 km pour gagner 2cts du litre d’essence dans hypermarché), c’est malin la personne qui fait le déplacement ira certainement faire ses achats. Les soldes sont également liées à la surproduction et donc nous pousser à la surconsommation. Nous vivons dans une société ou l’argent à tout prix pour une minorité est en totale contradiction avec ce qui est prôné, un environnement soi-disant durable, le souci du réchauffement climatique n’est que de façade. Ce qui compte est produire, produire et produire pour vendre, vendre et vendre encore. Et si les gens s’endettent avec des crédits à la consommation, les financiers y gagnent encore.