Réflexion - Une vie
Une vie entre les mains…Nous avons déjà la notre mais paradoxalement on ne ressent rien de particulier. Mais ressentir la vie d’un-e autre est quelque chose de fort.
Je ne parle pas spécialement de serrer dans ses bras quelqu’un mais aussi de celle d’un enfant, de celle d’un animal, de la vie d’un arbre, d’une plante, de l’infiniment petit à ce que l’on peut avoir à notre taille. A chaque fois, je ressens quelque chose, bien plus que cet amas de molécules que nous serions tous.
L’humain
Commençons par nous même, humains. Prendre quelqu’un dans les bras, le serrer contre soi, c’est entrer dans une certaine intimité déjà. Que ce soit l’être aimé ou juste ce qu’on appelle aujourd’hui un “Hug”, parce que étreinte a une connotation négative, c’est un moment unique où l’on peut parfois ressentir un partage, une “chaleur”. Oh, cela arrive rarement car nous restons le plus souvent à distance avec nos congénères, juste une embrassade, un serrage de main, une accolade. La vraie étreinte, amicale, cordiale, pas plus virile que cela, elle est rare et pourtant cela nous rappelle à notre condition d’humain, d’être avec des sentiments, de l’amour au sens large.
Parfois on va étreindre un enfant, faire un “câlin”, parce qu’on veut le réconforter, lui montrer qu’on l’aime. Lui aussi veut montrer qu’il aime cette personne…sinon il nous le fera comprendre, hein. Ce petit bout d’humain paraît alors si fragile à cet instant, si innocent parfois (ça ne dure pas, hélas). Cette fragilité, la petitesse de cet être vivant peut nous faire ressentir jusqu’à son cœur qui bat, sa respiration, ses chagrins et larmes, son sourire, le moment où il se sentira bien ou nous fera nous sentir bien. Lorsque l’on est parent, c’est évidemment un bonheur de plus, qui peut chasser bien des tristesses et des chagrins.
Alors il y a des moments tragiques lorsque l’on demande d’ôter la vie à un humain. Il y a des métiers qui peuvent demander ça, avec comme excuse de se protéger soi, d’en protéger parfois d’autres, ou simplement parce que quelque chose s’est brisé, que l’on ne ressent plus rien. J’ai fait mon service militaire, tenu des armes de guerre destructrices, appris à tirer, à poser des mines, détruire des véhicules. Mais tout cela n’était que factice pour moi. Et pourtant dans cet apprentissage, on en finit peu à peu par oublier qu’un jour, il peut y avoir un humain que l’on ne connaît pas à la place de la cible en carton, quelqu’un comme vous et moi. L’entraînement est aussi là pour gommer ce sentiment d’ôter une vie, que cela devienne un sinistre automatisme.
La vache obstinée - Julien Dupré - 1882
Les animaux
L’humain n’est pas le seul à qui on s’octroie le droit de vie ou de mort. La principale de nos cible, c’est l’animal. Je ne peux m’y résoudre et pourtant je l’ai fait bien des fois. Il y a des accidents parfois, un choc sur la route avec de gros ou petits animaux. On fait attention aux chiens, aux sangliers, moins souvent aux hérissons, encore moins à tous les insectes qui viennent heurter nos phares et pare-brises. Les insectes sont souvent nos premières victimes, si petit, si différents de nous dans notre regard d’humain. Pas de cœur qui bat se dit-on. Si petit, si nombreux, comme excuse (de moins en moins vrai). Et bam, un coup de torchon, de tapette, de balai pour s’en débarrasser, parfois pour se protéger d’une piqûre, seul défense qu’ils possèdent. Pour les plus gros animaux, on réalise un peu plus, mais ça ne nous empêche pas de les élever pour les manger en les tuant.
J’ai eu entre les mains un jeune agneau ayant perdu sa maman à la naissance. J’ai eu des chiots, des chatons aussi dans la main. J’ai eu des oisillons ou des oiseaux. Il y a ce sentiment identique de tenir un être fragile à protéger, pourtant parfois bien plus doué que nous ne le serions pour s’en sortir. Il y a eu aussi ce sentiment d’être à l’unisson avec cet être, le battement de son cœur, sa respiration. Et quel drame lorsque je me suis retrouvé à tenir un de mes chats entre mes mains avant une opération, pendant l’anesthésie. L’impression furtive que la vie s’échappe soudainement lorsqu’il s’endort, ne réagit plus à rien et pourtant la vie était encore là. C’était alors juste ce sentiment que tout n’était pas “normal” dans ce moment, que nous avions cessé d’être connecté ensemble.
Alors c’est vrai que je n’ai pas de souvenir particulier avec des animaux comme les insectes. La vie est aussi là et j’en viens à me demander si c’est lié à la présence du cœur. Pour un poisson je pense avoir ressenti cette même connexion, et que dire des mammifères marins, tels les baleines ou dauphins où cela semble aller plus loin. Pourtant l’insecte a un cœur, même s’il ne fonctionne pas de la même manière. Est-ce du à la taille, que je ne ressente pas ce même sentiment vis à vis d’eux, tout en essayant de les préserver si je dois dévier leur trajectoire de la mienne ? Je m’interroge réellement sur ce point. Autant je me sens responsable de la vie d’un animal domestique ou même sauvage que je trouverai sur ma route, autant je peux oublier ce sentiment avec un être qui, de prime abord, me semble plus éloigné de mon métabolisme.
Les plantes
Mais ce qui vient battre en brèche cette théorie, c’est ce sentiment de vie qu’il peut y avoir dans les plantes. Là aussi, le sentiment n’est pas le même partout. L’arbre est comme à part. Avez-vous tenu contre vous le tronc d’un arbre. On imagine cela presque comme un rocher et pourtant il y a comme une connexion qui s’opère, une vie qui semble se connecter à la notre à ce moment là. Je n’ai évidemment pas tenu contre moi une fleur mais la fragilité d’un végétal m’émeut également. Pourtant, c’est sans vergogne que je marche sur l’herbe, que je vais enlever cette “mauvaise herbe” qui revient dans une faille de la terrasse ou sur le trottoir. Est-ce justement de par cette classification induite par notre éducation que l’on ne peut ressentir ce même sentiment envers certaines plantes. Et puis, si j’ai cessé de manger des animaux ou même des les exploiter, je mange forcément des plantes. Là aussi, je me permets de prendre une vie pour préserver la mienne, comme le font des animaux et sans même demander la permission ou remercier pour ce bienfait (leur a-t-on demandé?).
Si je parle de remercier ou de demander, c’est parce que chez certains peuples il y a plus de communion avec la nature et ce que j’appelle ici la vie. Nous avons cessé d’agir comme cela mais à un moment nos ancêtres respectaient sans doute bien plus la nature et la vie de tous les êtres que nous ne le faisons aujourd’hui. Je ne saurais dire quand la rupture a été consommée. Et je ne peux même pas dire si ce que j’ai décrit auparavant dans ce sentiment de connexion est la même chose que ce que ressente d’autres de mes connaissances, de mes proches ou ce que toi lecteur tu as pu ressentir dans d’autres circonstances. On rangera peut-être cela dans du mysticisme, par ignorance ou condescendance. Je crois pourtant que ces mystères qui font que nous pouvons parfois nous “connecter” entre humains, peuvent aussi nous apprendre des choses sur les liens avec le vivant, avec simplement la vie.
Bande son : Lifa