Cinéma - Batiment 5 de Ladj Ly (2023)
Après le multi-récompensé Les Misérables, on peut dire que Ladj Ly était attendu au tournant pour son second film. Cette fois, nous revenons 10 ans avant, toujours dans une cité HLM mais pour en conter la destruction par une mairie pavée de bonnes intentions, comme l’enfer !
Cette fois, Macron s’en fout complètement du film car il ne lui fait pas peur pour sa fin. Mais avant de parler de ce qui fera débat dans le film, parlons de l’histoire : «Jeune femme d’origine malienne, Haby Keita (Anta Diaw) s’implique dans la vie de sa ville. Elle apprend que le nouveau et jeune maire de la commune, Pierre Forges (Alexis Manenti), a prévu le réaménagement de son quartier de la cité des Bosquets. Ce plan prévoit cependant la destruction du bâtiment 5 où la jeune femme a grandi. Avec d’autres habitants, Haby va tout faire pour s’opposer au projet et va manifester pour sauver l’édifice.» Pour bien comprendre le contexte, il faut y rajouter que l’ancien adjoint (Steve Tientcheu) au maire issu de cette cité est supplanté par le petit nouveau médecin bien propre sur lui, désigné maire par son parti après la mort du précédent. Et le copain d’Haby, Blaze (Aristote Luyindula) ne partage pas sa vision de la société et des moyens pour parvenir à ses fins. Le film se base sur le vécu de son auteur dans la cité du même nom à Montfermeil, même s’il ne la cite pas dans le film. Il le présente bien comme cela en avant première et comme un film politique. On ne connaît pas spécialement le parti du maire dans le film mais on le devine de centre droit avec une dérive autoritaire très …dans l’air du temps. Pour avoir connu bien avant cela, le même genre de situation dans une autre ville avec une municipalité tantôt communiste tantôt de droite, le sujet des cités HLM laissées en décrépitude pour former de véritables ghettos et la pseudo rénovation qui consiste surtout en des opérations financières, le sujet ne m’était pas vraiment inconnu. Ce n’est pas un documentaire sur la dérive de ces utopies architecturales, mais une fiction basée sur le réel sur comment on a manipulé les gens qui y vivaient. Des maires de centre gauche ont aussi fait le même genre de magouilles dans le même département de Seine Saint-Denis, avec autant de cynisme. Car derrière l’histoire de cette barre d’immeuble, il y a cette politique locale puante face au sort d’humains considérés comme «misérables» pour reprendre le précédent film. Alors on y voit aussi de la solidarité, de la démerde mais beaucoup moins les traffics qui se développaient aussi. Au delà d’une minorité qui intéresse les médias, il y a la majorité qui essaie d’y survivre par de petits travaux, de sortir des méandres de l’administration avec les problèmes de langue, quand déjà quelqu’un parlant parfaitement français a du mal. C’est un choix du réalisateur pour ne pas polluer son propos. Certains trouveront que l’on verse plus facilement dans le misérabilisme et l’angélisme. C’est pourtant le bon choix pour atteindre un autre but : Toucher et faire réagir le spectateur !
Car pour moi, le vrai sujet est dans un choix de militantisme : Doit-on choisir la voie légale et démocratique comme semble le représenter le personnage d’Haby ? Ou doit-on préférer l’action et la violence comme le représente Blaze ? C’est l’éternel choix du militantisme politique et j’aime à rappeler l’exemple des Suffragettes qui parvinrent à leur but par l’utilisation des deux modes. Ladj Ly a utiliser bien plus que son vécu pour construire son histoire et la rendre crédible. Il a pioché dans d’autres faits réels sur d’autres cités. Il le fait dans un montage court, rapide qui donne un film d’1h40. Certaines scènes sont là pour faire une pause dans la tension qu’il essaie de maintenir car la rage ne tarde pas à pointer son nez. Rage contre ce maire, dont l’acteur est bien choisi tant il est antipathique, mélange entre Olivier Dussopt et Jordan Bardela. Rage contre l’injustice surtout, mais aussi l’impasse politique que représente l’adjoint au maire, sorte de caution du parti pour attirer les votes dans ce quartier. Avec ces 4 personnages, voici poser la question de la politique de la ville. Pour nous faire comprendre en peu de temps la situation de cette cité, Ly fait le choix d’une séquence d’intro inattendue, la descente d’un cercueil dans une cage d’escalier insalubre. Tout est là entre la saleté, l’obscurité, la solidarité, la souffrance, le chagrin, le désespoir, la haine. Peu de temps après, nous sommes dans la demeure «Belle époque» d’un maire hors-sol, qui est pourtant pédiatre…mais refuse de voir la misère dans son cabinet.
Ladj Ly avait été critiqué pour avoir fait un film de mecs dans les Misérables. Cette fois, il centre le récit sur Haby, une jeune femme forte. Il y a aussi d’autres rôles féminins qui donnent d’autres tonalités, comme la femme du maire qu’on devine verser dans la religion catholique et le social, avec tous les paradoxes que cela comprend. Il y a ces mères courages qui partent très tôt au petit matin pour revenir épuisées. Il y a cette femme flic qui se retrouve entre deux feux et isolée dans ce monde de mec qu’est la Police. La peinture du lieu semble donc plus équilibrée et bien plus dans son temps alors que l’on se base sur des faits du passé. Le film ne fait pas beaucoup référence à des années en particulier. Il pourrait être en 2005, 2010 ou 2020. L’arrivée de migrants syriens (chrétiens) qui fuient la guerre donne juste un vague repère temporel. Malheureusement, la situation n’a guère changée pour ce type de cité et pour les gens qui y vivent. Mais détruite puis reconstruite autrement, en plus petit, plus morcelé, un ghetto reste un ghetto et l’abandon, l’ostracisation, la violence et la condescendance restent le lot quotidien.
Le film fonctionne car il émeut. Il rend triste mais il fait aussi rire par le ridicule de certaines situations, répliques de ce monde politique cynique. Il fait surtout enrager jusqu’à nous faire nous demander s’il faut entrer dans l’arène ou rester passif comme avant. Dans la salle d’avant première où je l’ai vu, dans une banlieue qui a connue cela, le public réagissait bien, voyant sans doute quelques éléments de vie passée, de vie actuelle, qui se passait à quelques mètres de l’entrée du multiplexe. Comme tout film politique, on se pose la question de son utilité. Et c’est là que la fin intervient avec un point d’interrogation qui est en filigrane du visage d’Haby, face à un Blaze qui fait un choix radical. Le film résonne étrangement avec les émeutes récentes de 2023 suite à un homicide d’un policier sur un jeune conducteur. Il résonne aussi face aux lois immigrations à venir, aux racismes qu’on essaie de trier et hiérarchiser, à l’absence de politique de la ville, aux lois strictement répressives face aux émeutes et qui ne règlent jamais le fond du problème. Si Les Misérables était comme un signal d’alerte, cette fois, c’est un constat d’échec plutôt amer, avec une tentative de voir de l’espoir. Cet espoir est-il aussi utopique que l’était le Bâtiment 5 à sa construction ? Chacun fera son propre choix à la conclusion du film. Ceux qui ne voient dans le film qu’une déception n’ont ils pas en eux un des choix possible ?