Cinéma - Emilia Perez de Jacques Audiard (2024)
Voici donc le film qui représentera la France aux oscars : Un Objet Filmique Non Identifé, et une incursion de son auteur-réalisateur dans un, plutôt des genres différents.
Je ne chercherai pas très longtemps par quel cheminement Jacques Audiard a pu passer de l’envie de faire un film musical à ce film au scénario si inatendu et improbable. Il est heureux qu’un réalisateur puisse avoir la liberté de faire un film aussi atypique. Je vais reprendre volontairement le synopsis tel qu’écrit dans sa fiche Wiki : «L’avocate Rita Moro Castro (Zoe Saldana) est spécialisée dans la défense de criminels. Un chef de cartel mexicain en fuite, Manitas del Monte (Karla Sofía Gascón), la charge d’organiser le simulacre de son décès ainsi que sa chirurgie de réattribution sexuelle pour qu’il vive la vie dont il a toujours rêvé. Tournant le dos à son passé, la désormais Emilia répare le malheur qu’elle a causé dans le passé en tant que Manitas en fondant une association d’aide aux victimes des cartels.»
On a donc non seulement un film musical mais aussi un film de genre (film de cartel, de gangsters), un drame social, et le tout dans un environnement atypique pour nous, le Mexique contemporain. Point de western cette fois comme «Les frères sisters», mais un film dont l’un des sujets serait la rédemption. C’est un thème que l’on a vu en filigrane de plusieurs Audiard, d’ailleurs. Et au centre de cette rédemption, il y a l’amour, comme le laisse penser une des versions d’affiche du film. Difficile de juger ce film pour un genre tant il semble partir dans tous les sens, tout en restant homogène et remarquablement mis en image. Pour commencer par la technique, il fallait un excellent montage pour que ça se tienne (Juliette Welfling), ainsi qu’une photo qui parvienne à rallier tous ces styles (Paul Guilhaume). La musique est signée Camille et Clément Ducol, arrangeurs habituellement d’albums de variété française. Et c’est là que je pourrais avoir un regard sévère si je tenais ce film pour un pur film musical. Les chansons hésitent entre le couplet-refrain et les titres à la comédie musicale à la Michel Legrand (phrases mises en musique). Il y a quand même de grands moments comme le numéro du diner de charité ou celui en introduction du film. J’ai plus de mal à comprendre le fait de prendre un Mark Ivanir inexistant dans sa chanson avec la magnifique Zoe Saldana. L’autre grande satisfaction du film est au casting avec une Karla Sofía Gascón toute en nuance et en sensibilité, mais aussi en rage contenue, face à une Zoe Saldana véritable artiste complète et qui a bien mérité son co-prix d’interprétation de Cannes. Selena Gomez (la femme de Manitas) n’est pas là où on l’attendrait et c’est heureux. Adriana Paz est presque trop rare face à ce trio.
Pour un métrage de 2H12, on ne s’y ennuie pas. Avec ces surprises scénaristiques, le film tient aussi grace à la tension qu’Audiard installe et maintient. A peine se dit-on que le tempo va se calmer qu’il installe une angoisse, par exemple que l’identité d’Emilia soit découverte, ou que Adriana Paz soit victime d’un règlement de compte. Le Mexique et ses problèmes d’insécurité sont un bon choix pour cela mais on pourra trouver ça caricatural aussi. Mauvais procès car Audiard n’en abuse pas. Ce n’est pas un film sur la trans-sexualité non plus mais plus sur l’identité au sens large et la recherche de son équilibre intérieur. C’est justement ce qui est introduit dans une des premières chansons de Rita au début du film. Elle n’est alors qu’une assistante d’avocat macho, alors qu’elle fait quasiment toute la plaidoirie et se montre bien plus talentueuse. C’est le cas aussi de Jessi (Selena Gomez) qui cherche aussi à construire sa vie dans ce milieu hostile, ou Epifania (Adriana Paz) qui veut se re-construire après des violences conjugales. Casting féminin donc, sujet très actuel et tout ça en langue espagnole. Car évidemment, il faut le voir en V.O. sous titré pour en apprécier toute la musicalité avec homogénéité. Le bémol pourra être justement dû à son sujet trop riche pour vraiment satisfaire un spectateur qui s’attend à du développement. La partie musicale en patit aussi dans la dernière partie et c’est un peu dommage.
Je ne pourrais donc pas dire qu’il s’agit d’un chef d’œuvre mais il fait partie des meilleurs Audiard, par son originalité, son style et sa maîtrise technique. Après la parenthèse «Les Olympiades», assez lié à la période COVID, on retrouve un réalisateur qui semble revivre en dehors de tout carcan. Il nous surprendra encore dans son prochain film et fait désormais partie des grands pour se permettre cela. Et pourtant, je ne suis pas fan de toute sa filmographie. Mais il ose et ça devient si rare…