Musique - Enrico Macias - Olympia Paris 2024
C’était le 28ème Olympia et l’anniversaire des 60 ans du premier Olympia d’Enrico Macias. Il y a très peu d’artistes qui peuvent témoigner d’une aussi longue carrière dans une salle aussi mythique…qui affichait complet, évidemment.
Une heure avant l’heure officielle, une longue file d’attente s’étendait sur le Boulevard des Capucines. Un fourgon de Police avait juste déposé la relève de la patrouille «Vigipirate» qui sécurisait la salle. Si l’atmosphère était globalement à la joie, il fallait garder en tête la situation conflictuelle en Palestine qui déchaîne les passions en France. Ici, le public présent était plutôt âgé, familial aussi avec deux, trois voire quatre générations venues assister à ce qui pourrait être la dernière tournée et l’avant dernier Olympia (il y a une autre date le lendemain). On entend parler anglais, hébreu, français, espagnol, arabe. Le répertoire de l’artiste l’a fait connaître de nombreux pays dans le monde. Une salle que certains diraient «black, blanc, beur» si cette formule n’était pas si restrictive. La salle ouvre et nous sommes d’ailleurs fouillés une première fois pour les sacs puis une seconde fois avec fouille tactile différenciée pour hommes et femmes puis contrôle des billets. Nous voilà enfin dans le long corridor tapissé de rouge qui descend jusque dans le hall circulaire. Une unique petite boutique sur la droite, permet de satisfaire les fans avec le merchandising, plutôt sobre avec l’iconique «Ah qu’elles sont jolies…». Cela faisait un bout de temps que je n’avais pas mis les pieds dans cette salle et ça n’a pas changé…sinon qu’il y a des sièges de l’époque Coquatrix : étroits, pas très hauts, trop rapprochés pour ma taille avec un petit accoudoir en bois. J’imagine la torture pour certaines personnes âgées ou encore cette dame en fauteuil qui a une place en milieu de rangée et condamnée à y rester tout le concert. Mais bon, il y a du personnel pour placer, aider, ranger les fauteuils, … En attendant, je vois quelques «peoples» arriver comme l’animateur Benjamin Castaldi, l’ancien politicien véreux Julien Dray (né à Oran), où la réalisatrice girouette Yamina Benguigui. Puisqu’on en est à la politique, je mets sur le compte de l’âge et de l’émotion les dernières déclarations de l’artiste suite au 7 Octobre. Je viens avec des souvenirs de jeunesse, des paroles de paix en tête.
Forcément, l’installation de tout ce monde prend un peu de temps et les 20h30 passent…20h50, les lumières s’éteignent soudainement. La voix d’Enrico retentit mais le rideau reste d’abord baissé. Je comprendrais ensuite que c’était préférable, vu les difficultés qu’Enrico Macias a à se mouvoir maintenant. Âgé de 85 ans, il a fait une mauvaise chute il y a 5 ans et reste quand même diminué par cela. Pourtant, ça ne se voit pas du tout à l’ouverture du rideau sous les vivas de la foule. Pas de standing ovation mais patience…A Paris, la salle se chauffe. Derrière lui, c’est une sorte de Big Band à l’ancienne avec au fond à gauche la section cuivre, exclusivement féminine, la batterie et les deux percussionnistes à droite. Un rang en dessous, ce sont des violonistes et violoncellistes à droite, elles aussi exclusivement féminines. Puis au centre nous avons la basse. Enfin à sa gauche, ce sont les trois choristes féminines, deux guitaristes. Dans chaque coin de la scène, nous avons un clavier : électronique à gauche, classique à droite, celui-ci faisant office de chef d’orchestre. Ce n’est pas l’habituel Jean Claudric, pourtant dans la salle, mais qui a pris sa retraite. On en apprendra un peu plus au fil du concert. Car place à la musique pour l’instant et au concept du concert. En effet, au dessus du nom de l’artiste, en lettres rouges sur le fronton de la salle, il y a le nom de Joan Sfar, le dessinateur réalisateur. Et c’est bien de dessin qu’il s’agit car au delà du programme, il dessine en live pendant tout le concert et on peut voir le résultat sur un écran disposé au dessus de la scène. Je ne suis pas toujours fan du style mais cela rajoute de l’animation, le jeu de scène d’Enrico étant forcément plus statique qu’avant. Nous voilà donc à voir l’illustration des paroles et de la musique. Le déroulé est plutôt chronologique avec ses chansons parlant de l’Algérie, forcément idéalisée. «J’ai quitté mon pays» «aux talons de ses souliers» viennent rajouter dans la nostalgie et la tristesse, ce qui parle à une bonne part du public. La voix d’Enrico Macias encore un peu hésitante sur les aigus, se fait plus affirmée au bout de trois chansons. Même à son âge et avec sa carrière, l’angoisse devait le tenailler. Le public est chaleureux et applaudit à chaque titre.
photo Iceman 2024
Ce qui ne change pas, c’est son jeu de guitare, pour les deux seuls morceaux où il empoigne l’instrument, une jambe pliée sur un cube pour le poser. Quelle dextérité, saluée par les hourras de la foule. Deux morceaux c’est court mais c’est déjà pas mal vu sa santé. C’est tout de même moins souple qu’avant, pour un tel prodige. Un moment de partage et de communion que l’acoustique de la salle, parfaitement réglée, aide aussi à rendre à sa pleine mesure. C’est ensuite l’arrivée en France et cette très belle chanson «Paris, tu m’as pris dans tes bras». Il a rappelé avant que c’était en mars 1964 qu’il faisait son premier concert ici à l’Olympia et qu’il fête donc ses 60 ans de ce concert (et bien plus pour la carrière…). Il y a sans doute quelques personnes qui y étaient mais la chanson est surtout reprise en cœur par un public de connaisseurs. Il sourit et nous tend le micro. Même venus de loin, ça chante en français cette chanson qui parle à tous ceux qui ont quitté leur pays. Le plus récent «Oranges amères» vient aussi apporter de la chaleur avec le dessin coloré de Joan Sfar au-dessus. A chaque chanson, cela se lève (surtout des femmes,..) pour danser et chanter la chanson qui nous touche un peu plus que les autres. Il y a de toutes les sensibilités et c’est cela qui est remarquable. Les petits discours qui ponctuent le concert restent de paix, d’amitié entre les religions et d’espérance. Il fait venir une jeune chanteuse brune, Noah (mais pas celle que l’on connaît jusqu’ici…) qu’il couve un peu comme une personne de sa famille. Un joli duo, presque trop court. Le concert est coupé en deux par une large pause de 20 minutes, qui en fera 25, le temps que tout le monde puisse revenir après quelques ablutions. L’intensité n’a pas baissé. Les sourires sont sur les visages et restent quand l’artiste revient sur scène.
Enrico Macias prend le temps de nous présenter toute son équipe pour les remercier aussi. Il perd un peu le fil et on sent quand même le poids des années. Mais c’est aussi là que l’on découvre que c’est très familial : Le bassiste est son fils. Il y a aussi sa petite fille dans les choristes. Le guitariste et une choriste sont mariés. Ce sont les même musiciens depuis des années et il n’y a que les sections cuivre et violon qui sont rajoutées pour ces concerts. Les percussionnistes ont bien participé à mettre l’ambiance pour lancer les applaudissements marquant le rythme des morceaux, dans la première partie. Les percussions vont donner leur pleine mesure dans cette seconde partie qui est un peu plus arabo-andalouse, comme le concert capté en 2003. Il fait venir un autre chef d’orchestre de musique arabe avec son violon et sa flute traditionnelle. Moment suspendu pour les deux solos de ce petit monsieur assis sur sa chaise pendant que le maître Macias le regarde avec amour. Si la chaleur est là dans la musique, c’est avec «Ah qu’elles sont jolies» que la salle se met à se lever complètement une première fois. Les youyou traditionnels résonnent à nouveau dans la salle. Le sol se met à vibrer à l’unisson des percussions. Enrico se tourne vers deux femmes qui brandissent un drapeau algérien avec un regard ému. Mais la salle s’embrase quand résonne les premières notes de Ya Rayah de Dahmane El Harrachi. Encore une chanson qui a dépassé les frontières de par son sens. Il n’y aura quasiment plus de pauses jusqu’à la fin avec les tubes comme le «Mendiant de l’amour» qui fait sauter et danser tout le monde, et puis après une improvisation, le titre final est le très festif El Porompompero. Tout le monde chante avec Enrico, ce qui gomme peut-être la fatigue vocal. Pas de rappel mais de longs saluts du chanteur qui parcourt lentement le devant de la scène, esquissant même un petit pas de danse. C’est qu’il faut qu’il assure le lendemain. La sortie est joyeuse et lente, comme pour prolonger le moment. Au dehors, la police est toujours là pour assurer la sécurité, jusqu’à la sortie des artistes. Il fait encore une bonne température à cette heure et le fronton rougeoie toujours. S’il n’était pas au plus haut, Enrico Macias a encore tout donner pour la joie de son public, un public qui donnait l’impression que nous sommes tous frères sur cette terre, ne serait-ce qu’une soirée. La tournée se poursuit jusqu’en 2025.