Geopolitiko 3 - La corne de l'Afrique

Pour ce second numéro, après ce panorama assez général du monde, intéressons nous à l’un des lieux les plus tumultueux de ces dernières années et pourtant les moins médiatiques : La Corne de l’Afrique. Il y a beaucoup à en dire et c’est article n’en est qu’une introduction.

Un peu de géographie

photo satellite Rappelons ce qu’est la corne de l’Afrique. Rien à voir avec les éléphants (ils ont beaucoup été chassés pour acheter des armes avec l’ivoire…) ou les rhinocéros qui pourraient y survivre, c’est le surnom de la péninsule à l’est du continent et dont la forme rappelle une corne de Rhinocéros. C’est globalement entre le golfe d’Aden (en face du Yemen) et le début de la région des grands lacs. Il y a principalement 4 pays : Djibouti, Érythrée, Éthiopie et Somalie. Mais par extension due aux conflits frontaliers, on y met aussi le Soudan, le Sud-soudan, le Kenya. Comme c’est une zone de passage maritime très importante, les ports y sont stratégiques avec des bases militaires pouvant assurer la sécurité. La France y est notamment présente à Djibouti. Les Émirats arabes unis y ont une présence importante pour assurer les flux pétroliers. La Turquie est présente au Soudan et en Somalie. Les USA sont en Éthiopie tout comme la Chine qui est aussi présente en Somalie. On trouve même le Japon en Éthiopie.

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Les ethnies y sont nombreuses mais voici une carte ci-dessus qui montre que la répartition est bien différente des frontières des pays que l’on y rencontre. C’est aussi une région historiquement agricole, vivant du pastoralisme (élevage) du fait d’un climat chaud à modéré et des massifs montagneux. Les sécheresses peuvent y être longues, le climat étant tropical avec une saison de pluie proche de la mousson. Pour les ressources du sol, on trouve aussi des Hydro-carbures en Éthiopie et au Soudan, et même en Somalie, peu exploités encore. Le Cobalt du centre de l’Afrique est aussi en transit par cette zone vers la Chine. La Somalie est riche en Uranium, Le Cuivre et l’Or sont présents au Soudan, en Éthiopie et Érythrée. On trouve aussi du Manganèse ou encore du Plomb et du Nickel. Tout cela attise évidemment la convoitise et alimente les trafics, enrichissant des groupes armés qui déstabilisent les gouvernements plus ou moins installés par les puissances mondiales.

Un peu d’histoire, aussi

A travers 3 cartes, on peut essayer de comprendre la complexité de la région et l’influence de la colonisation européenne sur la situation actuelle. Tout d’abord en 1850, seules les cotes sont connues avec parfois des sultanats présents et le début d’une colonisation anglaise. La Nubie s’allie avec l’Égypte en 1820 avant d’entrer dans l’empire britannique en 1899. En Abyssinie, ce sont des princes qui régnèrent pendant un siècle jusqu’en 1855. Alors chrétienne, c’est lors du règne de Tewodros II que l’on commence à voir cette région ballottée par des conflits sous influence européenne. Mais si les côtes sont perdues, le cœur de la région deviendra l’Éthiopie. Zanzibar et Somalies sont liés dans l’histoire. Aujourd’hui, la ville de Zanzibar et ses trois iles sont intégrées à la Tanzanie. Mais le protectorat britannique remonte à 1890, après avoir été un sultanat. C’est un traité avec l’Allemagne qui fixe les frontières de l’époque, dont sera issu le Kenya actuel…mais ne subit pas le massacre de masse de la Namibie (1904-1908), ni les camps de concentration de la guerre des Boers plus au sud (1898-1902). Plus au nord, c’est l’Italie qui s’empare violemment de ce qui fut appelé le Somaliland à travers des protectorats avec les sultanats précédents. La possession d’Aden (Yemen actuel) par les britanniques sera aussi influente dans la partition future de ce territoire.

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Avant le premier conflit mondial, tout est en place pour que les puissances européennes étendent le conflit sur le continent africain. Si le Congo Belge reste au centre, la corne de l’Afrique est morcelée avec l’Éthiopie restée indépendante au centre, ou qui tente de le rester. On voit que selon l’issue du conflit, les territoires basculeront à nouveau d’un coté ou de l’autre dans une répartition qui n’a que faire de l’histoire de ces peuples. L’Érythrée apparaît ainsi sur la carte dès 1869 lorsque l’Italie débarque sur les cotes alors abyssiniennes ou de ce qui pourrait être la grande Éthiopie. Les frontières sont fixées en 1885 mais aujourd’hui on dénombre 80 groupes ethniques et linguistiques différents.

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L’Italie fasciste ne s’arrêtera pas là dans les années 30, s’attaquant à l’Éthiopie en 1935…sans succès malgré la supériorité matérielle et technologique. C’est aussi ce qui poussa à la séparation de l’Éthiopie et de l’Érythrée (voir plus loin), malgré la constitution de 1952 regroupant les deux états. Entre 1958 et 1991, un mouvement indépendantiste sévira dans la région pour aboutir enfin à une indépendance en 1993 mais une paix signée en 2018. Mais la population Tigréenne de religion chrétienne orthodoxe reste de part et d’autre des deux pays. La religion marque aussi la région avec une majorité de musulmans en Somalie et sur les côtes tandis que la sud et le centre ont été convertis au christianisme lors de la colonisation.

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De la carte de 1950, il y aura les premières indépendances sur la base des frontières définies par les colons. On constate évidemment qu’avec les déplacements de population et les conflits passés, ces frontières n’ont rien de logique. Elles sont une première source de conflits futurs. Il est temps de s’intéresser à ces différents pays en détail puisqu’à partir de ces frontières, d’autres conflits ont donné des découpages.

Soudan et Sud-Soudan

Le Soudan est indépendant en 1956. Mais dès 1955, une guerre civile déchire le pays au sud et durera 17 ans. Durant cette période, le pays reste incapable déjà d’avoir un gouvernement stable. En 1969, un coup d’état installe le colonel Gaafar Muhammad Nimeiri qui installe sa dictature. Un coup d’état des communistes en 1971 est réprimé dans le sang. En 1972, un accord d’autonomie met fin au conflit au sud. Nimeiri s’appuie aussi sur le religieux pour renforcer son pouvoir, le nord du pays étant musulman, le sud étant chrétien. Nimeiri est aussi soutenu par les USA dans ce contexte de guerre froide des années 70-80. Mais son pays, malgré sa main de fer, est toujours divisé par des rivalités ethniques et tribales. A l’ouest, le Darfour qui a connu une relative indépendance au 19ème siècle, a toujours voulu conserver sa spécificité. Il est dominé par un mouvance islamique modéré. A l’est, les Bedjas vivent par delà les frontières des pays en étant en partie nomades.

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En 1983, la guerre civile reprend et est suivie par un coup d’état militaire en 1985 mettant un éphémère gouvernement civil au pouvoir. 1989, c’est l’arrivée au pouvoir par la force d’Omar El-Bechir qui rétablit un pouvoir islamique sans partis. La répression est sanglante, notamment au Darfour divisé en 1993 en trois provinces. Omar El-Bechir se rapproche de la Chine, et négocie avec le sud pour obtenir la paix, tout en massacrant les populations du Darfour. S’il est réélu en 2010, le pays se soulève en 2018 et parvient à le destituer. Il est jugé pour crime contre l’humanité et génocide…toujours en instruction. Les négociations avec le sud du pays ont abouti à un référendum d’auto-détermination en 2011 avec 98% pour l’indépendance. Le Sud étant riche en pétrole, cette indépendance déstabilise l’économie du pays. C’est aussi une des raisons de la révolution de 2018 avec l’augmentation du prix du pain et de l’essence.

En 2021, après un conseil de transition, un premier ministre économiste à l’ONU s’installe au pouvoir démocratiquement. De courte durée puisqu’un coup d’état fragilise le pays. Il démissionne en 2022, le pays étant en réalité sous la menace des militaires. Le conseil de transition installé est divisé entre deux généraux : Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdan Dogolo. C’est de la rivalité que naît le conflit actuel. La dispute est d’autant plus incompréhensible qu’elle porte sur l’intégration dans l’armée d’une Force de Soutien Rapide (FSR) de type paramilitaire et dirigée par Dogolo. Le pays se divise à nouveau avec à l’ouest le FSR, au nord et à l’est l’armée régulière. Tous ont participé de plus ou moins loin aux régime d’El-Bechir avec ses exactions et les populations civiles en pâtissent. 90% de l’économie étant agricole, les sécheresses et les guerres mettent à genou l’économie, l’enjeu majeur restant ensuite le pétrole. L’exportation du pétrole du Sud-Soudan est dépendante du Soudan du nord, auquel elle verse une redevance pour l’accès à Port-Soudan.

L’autre richesse du pays est l’or avec un contrôle par les milices de la FSR. Encore artisanale, l’extraction de l’or est aussi au main de trafiquants puisque seulement 20% passe par des canaux officiels. El Bechir avait passé un accord avec la Russie de Poutine sur cette exploitation en 2017. Et Wagner s’est implanté sur place à la faveur de cette guerre civile pour s’emparer de ces richesses. Les ingérences étrangères sont donc nombreuses autour de ces deux principales ressources minières.

Ethiopie et Erythrée

En 1952, l’Érythrée a été rattaché par l’ONU à l’Éthiopie en fédération et cela se termine par une annexion en 1962. Pourtant, on a vu que par le passé, les deux territoires ont eu des histoires différentes. S’en suit donc une guerre d’indépendance qui se finit par l’indépendance de ce pays en 1993. Isaias Afwerki en devient le premier président après 30 ans de guerre. Côté Éthiopienne, il y a le règne de l’empereur Hailé Sélassié, accessoirement messie des Rastas. C’est lui qui est aussi à l’origine de l’Union Africaine basée toujours à Addis Abeba la capitale éthiopienne. L’empereur est renversé en 1974 par un mouvement soutenu par l’URSS, le DERG, l’Éthiopie de Sélassié étant dans les «non-alignés». L’Éthiopie et l’Érythrée deviennent le terrain de l’opposition des deux blocs de la guerre froide, les USA soutenant les rebelles Érythréens, notamment le Front de Libération du Peuple du Tigré qui renverse le pouvoir militaire en 1991. En 1993, un référendum d’auto-détermination aboutit à l’indépendance de l’Érythrée. Mais les tensions persistent autour du sujet de la frontière. L’un des sujets est aussi dans l’accès à la mer de l’Éthiopie, coincée par l’Érythrée au nord ainsi que Djibouti, la Somalie à l’est et le Kenya au sud.

L’économie de l’Éthiopie est essentiellement agricole mais on trouve aussi or, gaz naturel, fer, étain…mais aussi des pierres précieuses et du tantale, élément essentiel dans l’électronique. Ceci explique les investissements chinois massifs dans le pays. Mais là encore, l’avion ne suffit pas pour l’exportation. La Chine ayant aussi une position forte au Kenya, l’exportation peut passer vers le sud, la Chine ayant investi dans le rail. En Érythrée, on trouve aussi de l’or, du pétrole, du cuivre mais ils sont encore peu exploités. Les exportations agricoles de l’Éthiopie sont aussi agricoles, autant dans les pays voisins qu’en Chine (qui a permis aussi de diminuer la dette du pays) et dans les pays du golfe. Mais en 2024, un accord a été conclu avec le Somaliland, ce nouvel état reconnu rapidement par Addis Abeba, et permet un accès de 20Km à la mer. De quoi susciter la colère d’autres pays concurrents de la région.

Le conflit interne au Tigré s’est aussi réveillé lorsque le pouvoir a été pris démocratiquement en 2020 par Abiy Ahmed, de l’ethnie Oromo. On voit sur la carte plus haut que le pays est divisé en ethnies différentes, dont les tigréens qui représentent 6% de la population. S’il fut acteur de la réconciliation dans le pays, il est accusé par les tigréens de les mettre sur la touche et de les persécuter. Le conflit s’est donc rouvert en 2020 et s’est terminé par un nouveau traité de paix en 2022. La situation reste à la fois fragile en interne et en externe, la Chine pesant largement pour un apaisement de manière à favoriser ses affaires avec le pays.

Somalie, Somaliland et Kenya

On se souvient encore de la Somalie en 1992 lors de l’opération US «restore hope» qui se termina mal. On se souvient aussi des attentats au Kenya dans centres commerciaux ou hôtels. Mais qui connaît le Somaliland, cet état créé en 1991 et coincé entre Somalie, Djibouti et Éthiopie. Ils forment à eux trois une grande partie de l’accès à la mer de la corne de l’Afrique…et donc permettent des échanges importants avec le monde et notamment les états du golfe, la Chine, le Japon et le reste de l’Asie. Comme vu au dessus, le Somaliland a monnayé un accès à la mer pour l’Ethiopie. Le Somaliland pratique un Islam rigoriste tandis que le Kenya se partage entre chrétiens, musulmans et religions locales. La Somalie est aussi musulmane mais cela se mèle à des clans qui créent une situation de guerre civile quasi perpétuelle. En 1960, après l’accession à l’indépendance, il y a une brève période démocratique mais les clans ont eu raison de cela. Là encore, la guerre froide a laissé des traces jusqu’au règne des seigneurs de guerre dans les années 90. C’est une plateforme du trafic d’arme et par extension du trafic de l’ivoire. Le pays s’est donc retrouvé morcelé et a perdu (enfin pour ceux qui le reconnaisse) le Somaliland au nord.

somali

(carte de la bibliothèque du congrés)

Les conflits ont débordé également sur le Kenya voisin et c’est ce qui explique aussi cette période d’attentats dans les années 2000-2010. Ces conflits ont été jugulés aussi par les pays voisins, Éthiopie et Kenya participant aux négociations comme à des actions contre des groupes terroristes frontaliers. Pays exposé aux sécheresse, sans pouvoir stable, c’est évidemment le théâtre de déplacements de population, massacres, et de famines, accentuées aussi par la disparition d’une grande partie du cheptel caprin et de dromadaires. Le pétrole y est exploité par des compagnies étrangères et ne profite pas à la population dans un état corrompu et sans réel pouvoir. C’est également un pays qui participe largement à la piraterie dans cette zone, du fait justement de cette pauvreté endémique.

Conclusion

Voilà donc ce qui fait de ce point du globe un des plus chauds. Les empires s’y sont retrouvés pour batailler. La guerre froide a continué d’y semer le désordre. Les nouveaux empires d’aujourd’hui continuent aussi de s’y battre et de piller les ressources. Et au milieu de tout cela, de paisibles agriculteurs et pêcheurs tentent d’y survivre. Quand ils ne le peuvent plus; il partent sur les routes du monde pour trouver la paix et y reconstruire leurs vies. Ils se retrouvent ainsi en Ouganda (3,5% de la population, en plus de la guerre du Kivu), au Tchad, au Kenya, en République Démocratique du Congo (en plus de la guerre civile déjà présente), et au sein de camps dans leurs propres pays (2,5% de la population soudanaise) et parfois en Arabie Saoudite. Peu d’entre eux terminent en Europe (environ 1% en France, comme en Europe). De quoi relativiser aussi le ressenti et amener à parler d’autre chose que le piratage d’un navire de plaisance quand les causes profondes de ces conflits sont ignorées.


Ecrit le : 20/08/2024
Categorie : geopolitique
Tags : géopolitique,démographie,guerre

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