Geopolitiko 2 - Nouvelle Calédonie, un pays !
Avec la réapparition de la Nouvelle-Calédonie à la une des informations pendant quelques jours, il me paraissait intéressant d’en dire un peu plus que ce que l’on peut entendre et lire sur le sujet. Car j’ai l’impression que nous sommes revenus dans les années 50, à l’époque de la décolonisation avec un discours qui sent la nostalgie coloniale (ce qui va aussi avec l’extrême droitisation ambiante). En effet, la Nouvelle-Calédonie est considérée par les Nations Unis comme un pays à décoloniser !
Une Histoire coloniale
En témoigne un drapeau, celui de Kanaky, le nom officiel donné par les indépendantistes depuis les années 70. Dès 1946, les nations unies avaient listé la Nouvelle Calédonie comme «Non-Self-Governing Territories», ce que l’on peut traduire par Liste des territoires non autonomes, soient les territoires non décolonisés. Certains de ces territoires ont refusés l’autonomie, mais dans un processus jugé équitable et pas troublé par un corps électoral gonflé artificiellement. C’est un peu le cœur du problème actuel. Le précédent de l’île de Mayotte et des Comores reste en mémoire avec ce référendum de 1974 où Mayotte se singularise des autres îles. Il faut dire que l’histoire de l’esclavagisme et de la colonisation a fortement déstabilisé la population de cette île par rapport au reste des Comores (Njadzija, Mwali et Nzwani). La jurisprudence comorienne laisse des traces chez les mouvements indépendantistes calédoniens. Mais comme les Comores, l’archipel de Nouvelle-Calédonie est une position géostratégique importante pour la France, notamment dans les hypothétiques conflits du Pacific sud et ouest. De quoi expliquer le double discours d’un président qui a déjà montré qu’on ne pouvait pas lui faire confiance.
Les Kanaks à l’exposition coloniale de 1931 (source inconnue)
L’histoire de l’archipel remonte à 8400 ans mais la colonisation tend à gommer tout cela. D’abord ignorée après sa découverte en 1774 par James Cook, elle est aussi identifiée par La Pérouse et Dumont D’Urville en 1788 et 1827 pour l’ensemble des îles. Ce sont d’abord des missionnaires anglais qui essaient de christianiser la population estimée alors à 50 000 kanaks (elle devait être de 80 000 avant ce début de colonisation). Leurs succèdent des missionnaires français. Mais c’est avec Napoléon III que l’île est prise par les Français en 1853 pour en faire initialement une colonie pénitentiaire à l’instar de l’Australie pour les Anglais. Les militaires organisent le territoire et installent des prisonniers peu à peu. Les théories racialistes de l’époque font le reste, classant les Kanaks au plus bas de l’évolution humaine et en exhibant aux expositions coloniales de Paris (jusqu’en 1931). En 1887, le statut de l’indigénat spolie les kanaks de toute liberté et tous biens. Les maladies et les tueries des rebelles par les colons déciment les Kanaks. On retrouvera des statuts similaires vis à vis des annamites en Indochine avec des conséquences similaires. Des communards comme Louise Michel seront déportés sur l’île et déjà ils relateront ce qu’ils voient de la colonisation et de la ségrégation raciale. Il faudra attendre 1931 pour voir l’île ne plus être un lieu de déportation politique (mais il y en aura d’autres dans les colonies françaises). La découverte du Nickel remonte à 1878 et l’exploitation amène des travailleurs du Tonkin, de Java ou du Japon (déjà)…On y plante aussi du café avec évidemment des travailleurs largement exploités et maltraités, sans doute pire qu’au Tonkin. La deuxième guerre mondiale va favoriser indirectement des échanges entre les îles mélanésiennes (Vanuatu, Fiji, Iles Salomon, Santa Cruz, Nouvelle Guinée et l’archipel Bismark) avec des apports de population kanaks. Les Kanaks entrevoient autre chose que la colonisation française. 1946 apporte la fin de l’indigénat, le statut de citoyen, mais un droit de vote limité.. Il faut attendre 1957 pour un véritable droit de vote à l’égal des autres citoyens français. Le Nickel va être la source d’une immigration massive qui déstabilise complètement la représentativité des Kanaks, des les années 60. Évidemment, les terres riches en nickel ne sont aucunement la propriété des habitants premiers de l’île, relégués dans la misère. Le port de Nouméa est déjà essentiellement européen.
Le précédent des années 80
C’est dans les années 80 que tout cela dégénère (pour les colons européens) avec un véritable mouvement structuré pour l’indépendance Kanak : Le FLNKS. Il succède à un Front Indépendantiste et à d’autres mouvements du même ordre déjà agglomérés dans cet ensemble, et dont beaucoup de leaders ont été assassinés…sans trop d’enquêtes, sinon tués par la Police. Jean-Marie Tjibaou en prend la tête en 1982, après des étude d’Ethnologie en métropole et une formation religieuse. Son combat est d’abord non-violent avec les urnes face à l’opposition non-indépendantiste du RPCR de Jacques Lafleur, représentant ce qu’on appelle les Caldoches (population non-européenne de l’archipel). Le terme ayant une connotation négative, la population non-kanak revendique aujourd’hui l’utilisation de «Calédonien» pour ceux nés sur les îles constituant la Nouvelle-Calédonie. On comprend évidemment le glissement sémantique à vocation colonialiste !
Mais le paroxysme de la lutte entre les deux partis est atteint lors des élections territoriales de 1984. Si la Nouvelle Calédonie bénéficie d’un Conseil de Gouvernement depuis 1957, sensé accompagner la décolonisation, dans les faits il n’y a pas eu d’évolution notable qui convienne aux deux parties. En 1984, cela se change en Gouvernement de Territoire. Mais les élections territoriales sont boycottées par les indépendantistes qui ne voient pas d’évolution possible vers la décolonisation dans ces conditions. Cela se traduit par une radicalisation du FLNKS avec barricades et violences, ce que rejette aussi d’autres partis indépendantistes. Diviser pour mieux régner… Le RPCR voit aussi une radicalisation dans ses rangs, d’inspiration FN. Sans surprise, les élections sont remportées par le RPCR mais avec une abstention importante (70 à 80%) dans certaines des îles, ce qui rend le territoire ingouvernable. Les deux camps prennent les armes, ce qui se solde par des dizaines de morts, dont deux frères de Djibaou, après des pillages de maisons caldoches et des représailles dans des localités kanaks. L’histoire se répète aujourd’hui…Le haut commissaire Edgar Pisani vient sur place déméler la situation : Un statut d’indépendance-association est proposé….Et déjà à l’époque refusé par l’Assemblée Nationale, mais aussi par le FLNKS. Les régléments de compte se succèdent entre chaque camps avec des morts. Et on déclare…L’Etat d’urgence, tiens comme aujourd’hui. Cela ne règle rien, bien au contraire.
Ce n’est qu’avec une nouvelle proposition politique de Pisani que cela commence à se calmer. Un Conseil exécutif vient seconder le Haut-commissaire et est composé par les élections à venir avec une nouvelle répartition électorale. Ces élections aboutissent à un nouveau rapport de force en 1985. Le changement de gouvernement en 1986 n’arrange rien pour la mise en place d’un référendum sur l’indépendance en 87. Les Indépendantistes boycottent à nouveau. Un procès d’une embuscade d’anti-indépendantistes ayant causé la mort de 10 Kanaks met déjà le feu aux poudres en Octobre 87. Le paroxysme est atteint quand après l’envoi de renforts de gendarmerie, des Kanaks s’emparent d’une gendarmerie sur l’île d’Ouvéa en 1988. S’en suit une prise d’otages et l’assaut de la grotte par le commandant Prouteau. Bilan : 19 morts chez les indépendantistes et 6 chez les gendarmes. Cela précipite une règlement plus pacifique après les présidentielles de 88 : Les Accords de Matignon (gouvernement Rocard).
Les accords de Matignon et Nouméa
Et donc nous sommes actuellement dans la poursuite de ces accords. Ils comprennent une première période de 10 ans de développement garantissant des avancées économiques et institutionnelles pour les Kanaks. Et dix ans plus tard, le gouvernement Jospin signe les accords de Nouméa : Cela établit un transfert de compétences préparatoire à cette décolonisation et possible indépendance. On y parle notamment de la culture Kanak, de droit coutumier, mais aussi d’un calendrier fixant des consultations référendaires. Ainsi le second référendum de 2018 voit une participation de 80% et une victoire du Non à l’indépendance par 57% contre 43% sur un corps électoral défini par l’accord de Nouméa. Il s’agit du premier référendum prévu par ces accords, qui en prévoient trois.
Il montre une réelle disparité dans l’île principale, les non-indépendantistes étant concentrés sur la côte sud et les grandes villes, celles peuplées par les européens. Et déjà les partis travaillistes kanaks n’ont pas participé au scrutin. Ce sont leurs héritiers que l’on retrouve dans le CCAT d’aujourd’hui. Dans les faits, il reste un important problème de répartition des richesses qui continue de fracturer l’île principale et les autres de l’archipel. Ainsi Nouméa concentre deux tiers de la population. Et ce sont les provinces du sud qui s’accroissent le plus. Et si la population Kanak reste stable autour de 40%, on voit bien que les richesses se retrouvent inégalement réparties. Les zones kanaks ont un chômage à plus de 25% quand Nouméa est à 9%. Mais comme l’économie dépend essentiellement de ses minerais, on voit mal la France et ses entreprises abandonner l’île, d’où le jeu de dupes qui s’installe à nouveau.
Si les institutions ont évolué, l’économie reste défavorable à la population Kanak. Le Nickel (30% des ressources mondiales) qui représente 40% du PIB est aussi fluctuant avec les cours mondiaux. Un pacte sur ce sujet est en attente de signature en 2024. Il y a actuellement trois usines : SLN, Prony et Konianbo. La dernière a des capitaux suisse. La seconde a des capitaux brésiliens et japonais. La première est française avec des capitaux de la Banque Publique d’Investissement. L’enjeu est essentiel pour les batteries par exemple. Mais l’outil de production vieillit (notamment en terme de consommation énergétique) et les cours rendent le Nickel calédonien moins compétitif. La production d’énergie sur l’île est basée aujourd’hui à 97% sur les énergies fossiles. Les investissement tardent à arriver, notamment sur le photovoltaïque et vise surtout l’alimentation du réseau public et pas l’industrie du Nickel. Le coeur de l’accord sur l’exploitation du Nickel est sur la cession de concessions minières et notamment à des collectivités calédoniennes. C’est là qu’une redistribution des richesses pourrait commencer mais aujourd’hui les conditions ne sont pas réunies. L’aspect environnemental, par exemple, n’est aucunement garanti pour les provinces du nord de l’île, celles là même qui sont sous gouvernement kanak.
Un désengagement des versements publics
Un déni aux relents colonialistes
En voulant forcer la main par ce nouveau corps électoral, le gouvernement français a trahi une promesse de 40 ans. Certes, il y a bien eu trois référendums mais le dernier est marqué par un boycott des indépendantistes et on comprend aisément pourquoi. Le deuxième référendum de 2020 avait donné un résultat similaire à celui de 2018. Ces référendums sont trop rapprochés pour changer clairement les rapport de force et ne sont pas dans l’esprit des accords de Nouméa et Matignon. En réalité, c’est aussi pour forcer la main sur les accords à venir sur l’exploitation du Nickel, lorgné largement par d’autres pays comme la Chine, le Japon, le Brésil…. Récemment, le président Macron parlait aussi avec ces mêmes chefs d’état. Allez savoir ce qui a pu être demandé ? Dans tous les cas, la trahison des accords fait revenir à 1984. Mais on voit surtout que les mêmes erreurs sont faites encore, comme si les ministres et haut-commissaires ne connaissaient rien à l’histoire. On peut même craindre que cela ne dégénère encore en une guerre civile comme cette fuite en avant avait causé cela en Indochine ou Algérie, toute proportion gardée. Quand on entend un haut-commissaire parler de rétablir l’ordre «coûte que coûte», cela rappelle des discours des années 40 ou 50. L’interdiction de l’usage de Tiktok (et pourquoi pas Signal, Telegram, Whatsapp pendant qu’on y est ??!!) est une première dans un pays démocratique occidental. Encore une dérive fascisante de la part de Darmanin et Macron. L’armée n’est pas encore déployée à ce stade mais on a déjà vu les dégâts des années 80 et ce qui se perpétue dans la mémoire du peuple Kanak.
L’ issue de ce conflit avait été dans un calendrier politique mais avec des éléments économiques qui manquent totalement actuellement. On entend des discours similaires aux années 80 chez les habitants européens qui monopolisent les médias…puisque ceux-ci restent à Nouméa. Or, si Nouméa représente la plus grande densité de population, ce n’est pas pour autant la clé économique du problème. Trouvera-t-on un médiateur aussi pertinent sur le sujet qu’auparavant ? Là encore, le calendrier électoral français ne joue pas en la faveur d’un règlement positif. La droitisation de l’opinion n’aide aucunement et l’assemblée a largement montré son incompétence par son vote, répétant en cela l’erreur de 1984. Les critiques sur les mouvements kanaks ont des relents coloniaux, ceux-ci étant soient des enfants capricieux, soient des sauvages quand on décode le discours médiatique ambiant. J’ai même personnellement l’impression que c’est bien pire que dans les années 80 où j’avais déjà compris les enjeux de cette révolte kanak par médias interposés.
Prendre de la hauteur ?
Si on prend un peu de hauteur, il faut se souvenir qu’il y avait le même impact économique dans les colonies françaises où la guerre a tenu lieu de porte de sortie : Algérie et Indochine. L’Indochine, c’était l’opium, le caoutchouc pour Michelin,…accessoirement le trafic des piastres, en plus d’un point d’appui en Asie du sud-est. L’Algérie, c’étaient les ressources gazières et minières et la porte d’entrée de l’Afrique. La Françafrique qui succéda en Afrique de l’ouest était aussi à visées économiques pour l’hexagone (cf affaires Total par exemple). On en voit le résultat aujourd’hui avec toujours de grandes puissances rodant tels des vautours autour du butin. S’accrocher à la Nouvelle-Calédonie en créant du ressentiment ne peut qu’être néfaste. L’Australie et la Nouvelle-Zélande voisines ont beau jeu de nous critiquer. Quelqu’un disait que l’Histoire ne nous apprend rien…Je rajouterai bien un hélas car c’est incroyable de répéter sans cesse les mêmes erreurs et même schémas capitalistes destructeurs. Voilà une île qui a d’autres ressources et d’autres développement possibles qu’une exploitation et destruction à outrance par exemple, où l’activité de transformation reste trop limitée. Son positionnement géographique pourrait-il être mieux pensé vis à vis de la zone Asie-Pacifique ? Et tout cela en intégrant les communautés dans autre chose que le politique mais l’économique ? Ce sont aujourd’hui des pistes bloquées par l’avidité de quelques uns. A suivre…Mais en verrai-je la fin de mon vivant ?