Cinéma - Lee Miller de Ellen Kuras (2024)

Les femmes photographes ont mis du temps à prendre leur place dans l’histoire. Et ce n’est que depuis ces 20 dernières années qu’on redécouvre des pionnières, comme Lee Miller.

Grace en soit rendu à Kate Winslet, à la fois actrice, productrice, Kate Winslet a tellement porté ce projet qu’on pourrait prendre ce film pour sa création. Et pourtant c’est bien Ellen Kuras qui a trouvé une ressemblance entre cette ex-mannequin devenue photographe de guerre et Kate Winslet avec qui elle avait travaillé comme directrice photo. L’histoire a captivé Kate Winslet qui a mis ses deniers personnels pour financer le film. Huit ans pour arriver à ce résultat ! Et nous pouvons donc enfin connaître cette période qui fit basculer le destin de Lee Miller, ancienne mannequin, fréquentant la bonne société artistique en France. Elle rencontre son mari Lord Penrose (Alexander Skarsgård), aristocrate et artiste, le suit en Angleterre alors que la guerre commence. Il peint des camouflages tandis qu’elle veut se rendre plus utile que photographier les femmes qui s’investissent dans le soutien du pays. Elle convainc la rédactrice en chef de Vogue, Audrey Withers (Andrea Riseborough) d’aller sur le front non pas comme anglaise mais comme américaine, sa vraie nationalité. Et avec sa force de conviction et son culot, elle va à Saint-Malo sous les bombes et les tires, suit la libération de Paris puis l’Allemagne jusqu’à la libération des camps de concentration.

Poster

Ces huit ans ont été remarquablement mis à profit pour ce biopic qui aurait pu rester classique. Si la forme l’est avec cet entretien entre un jeune journaliste (!?) et la Lee Miller de 1977, et les flashbacks, le fond va un peu plus loin que la reconstitution des photos les plus marquantes. On rappelle le contexte de ces années 30-40 où la place de la femme est soit à la cuisine, soit «soit belle et tais toi». mais Lee Miller n’est pas de cette trempe. Elle est une femme libre dans ses choix de carrière comme dans sa vie personnelle. Une féministe avant l’heure ? Le scénario ne manque pas de mettre en avant cette facette du personnage. On n’en apprend pas plus sur la manière qu’elle a d’appréhender la photo (elle a côtoyé Man Ray…), elle qui venait d’abord de la mode, mais on sait qu’elle a aussi voyagé au moyen-orient. Sa rencontre avec un autre photographe, David Scherman de Life, semble l’aider pour des aspects techniques comme les flashs de l’époque. Mais elle apporte une créativité à son partenaire et ce sens de la mise en scène qui était sans doute issu du monde de la mode. C’est d’ailleurs une des interrogations en filigrane du film : Comment rendre la réalité pour qu’elle soit acceptable ? Une célèbre photo de Lee Miller peut-être vue comme polémique et pourtant, elle a toutes les raisons d’être justement mise en scène si on en comprend le contexte.

Lee Miller ne sera que peu publiée dans cette partie de sa carrière, car ce qu’elle a vu dans les camps n’était alors pas «acceptable» dans le contexte de la victoire. Le film aborde aussi de manière indirect le choc post-traumatique au sens large. Elle a ses fêlures (je n’en dirai pas plus…) et cela explique aussi son caractère et sa sensibilité qui s’expriment ensuite dans son style, ses choix de sujets et son sens du cadrage et de la lumière. Le film se termine bien heureusement avec des photographies marquantes de Lee Miller pour que l’on puisse comprendre encore mieux ce travail et ce talent inné. Le film rend donc hommage à la fois à l’œuvre et à l’artiste-journaliste. Sa manière de retranscrire cette horeur a inspiré mais aussi posé des questions à bien des photo-journalistes. Ici elle arrivait souvent après les faits mais dans l’une des scènes du film, on peut se poser la question sur la capacité qu’a le témoin d’une horreur à intervenir. Ce n’est jamais simple.

Kate Winslet s’est attachée un excellent casting, avec notamment Noémie Merland dans le rôle de la compagne de Paul Eluard, Marion Cotillard dans celui de Solange D’Ayen, une aristocrate rédactrice du Vogue français. Andy Samberg fait aussi un très bon boulot pour le rôle de David Scherman. Les décors sont plutôt réalistes avec des vues d’une Allemagne totalement dévastée par les bombardements. Avec une ancienne directrice photo aux commandes, le résultat ne pouvait qu’être à la hauteur. Ellen Kurras a travaillé avec Michel Gondry ou Sam Mendes, entre autres. Le scénario est à crédité à 3 personnes, dont deux femmes, Liz Hanna (The Post de Steven Spielberg) et Marion Hume (Vogue Australia et documentariste spécialiste de Lee Miller). Il fallait bien de cela pour insister sur l’hostilité de l’époque envers les femmes qui voulaient s’émanciper et briser les barrières. Entre l’armée, le journalisme et la photographie, Lee Miller avait de quoi faire.

Mission parfaitement réussie par Kate Winslet et son équipe pour rendre justice à son héroïne et donner envie de s’y intéresser. Mais c’est aussi une figure féminine inspirante de plus, car il reste tant à faire.

Une Bande-annoncevideo


Ecrit le : 16/10/2024
Categorie : cinema
Tags : Cinéma,film,drame,histoire,photographie,2020s,1940s

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