Cinéma - Megalopolis de Francis Ford Coppola (2024)
Attendu comme un nouveau chef d’œuvre du réalisateur de 85 ans, le film a été descendu par la critique. Pourquoi tant de haine ? Je me le demandais en allant voir un film dont le sujet m’interpellait.
Cela fait des années que Coppola écrit ce scénario. Mais à l’age où il sort ce film, je pense plus à un film testament, une sorte de conclusion à a vie de réalisateur et même d’humain. S’il a fait des films, c’est pour dire des choses importantes, laisser des traces : Apocalypse Now et Jardins de pierre sur la guerre de Corée et du Vietnam, Le Parrain sur la communauté italo-américaine, Cotton club sur le jazz, Tucker sur un héros méconnu de l’automobile US, etc… plus quelques petits films plus ou moins alimentaires aussi. Sur ce dernier film, il a misé sa propre fortune et on peut dire qu’il ne récupérera pas grand chose. C’est signe qu’il tenait à passer vraiment un message. Mais quel est-il ?
«À New Rome, allégorie de New York, une jeune femme Julia Cicero (Nathalie Emmanuel) est partagée entre la loyauté envers son père Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), le maire de la ville, et son amant, l’architecte Cesar Catilina (Adam Driver). Si le premier a une vision conservatrice de la société, Cesar est plus progressiste et tourné vers l’avenir. Après une catastrophe qui a ravagé la ville, l’architecte veut recréer la cité et en faire une utopie, alors que le maire, corrompu, y est totalement opposé.»
Je ne connaissais pas bien cette partie de l’histoire romaine prise ici en référence. C’est la période où Crassius (Jon Voight), l’homme le plus riche de Rome, joue de ses influences pour faire et défaire des carrières. Coppola joue un peu de cette histoire et d’autres classiques du théâtre avec son très bon casting (outre ceux cités, il y a aussi Laurence Fishburne, Shia Le Boeuf, Aubrey Plaza, …). J’y ai vu (et je ne suis pas le seul) un rapport avec l’excellent Fountainhead/Le Rebelle de King Vidor, sur un architecte qui refuse des codes déjà très antiques pour sa propre vision. Mais en dehors de cette référence et de toutes celles qui égrainent le film, c’est le message global qui m’a longtemps interpellé dans ces plus de 2h. On est face à une mégalopole décadente, corrompue, telle la Rome de l’époque et ça ressemble assez bien à ce monde moderne, cette société capitaliste qui court à sa perte, notamment pour le climat mais pas seulement. Nous sommes dans un futur improbable ? Non, comme indiqué au début du film, nous sommes dans un conte ! Et cela fait toute la différence par rapport à la science-fiction. Dans les contes, l’auteur essaie justement de passer un message et va parfois au delà des vraisemblances.
Ici, c’est la survie du monde qui est en jeu. Il y a cette caste dominante, avide d’image, d’événementiel. Et puis il y a le peuple, reclu dans des ghettos, repoussé loin du regard de ces riches. Il y a la pollution, le climat qui restent en filigrane de l’histoire et là, j’ai compris où voulait en venir Coppola. Il remet en cause cette marche du monde représentée par le maire qui veut créer un casino à la place d’une zone d’habitation détruite. Cesar n’est pas non plus si limpide. Il est féru de science mais aussi mégalomane et pense trouver une solution dans une nouvelle ville inspirée par la nature et voulant fusionner avec elle. Mais n’est-elle pas un mirage tout aussi énergivore que les autres ? Et puis il y a ce curieux personnage joué par Shia le Boeuf, Clodio, le cousin de César. Un complotiste, un manipulateur incestueux, un fou dangereux qui a des promesses populistes… Un coté Trump ? Sans doute mais pas seulement car cette dérive de la politique US n’est pas nouvelle. On verra aussi des piques envers les influenceurs et la vanité de cette société du spectacle.
Alors forcément, après le fond difficile à percevoir dans les premières minutes, il y a la forme. On a une ville qui est clairement New-York (le Chrysler Building) mais dans des couleurs saturées de orange, comme si le soleil était brûlant et couchant… Et pourtant il manque cette sensation de chaleur. Il est vrai qu’on peut ne rien ressentir dans un New-York de canicule si l’on reste dans des lieux sur-climatisés. On a l’impression d’effets spéciaux grossiers parfois ou datés mais je trouve que cela renforce bien l’effet conte. Et ce qui me conforte dans l’idée de film testament, c’est le nombre de clins d’œil à d’autres films (par exemple, l’une des rares voitures que l’on voit est une … Tucker). Je ne pense pas d’ailleurs que le réalisateur ne se dédouane de la situation qu’il décrit. C’est justement cela qui doit le motiver depuis quelques décennies à faire un film où il puisse dire ce qu’il a sur le cœur. La complexité des relations familiales de ces familles est-elle à considérer comme un message ? Pas évident et c’est un film à tiroirs où il faut être curieux de chaque détail, des multiples messages.
Je n’ai vu qu’une fois ce film, au moment où j’écris cette chronique mais il me faudra bien un ou deux visionnages de plus. On pardonne beaucoup à d’autres réalisateurs qui font semblant de dire beaucoup en perdant le spectateur. C’est plutôt l’inverse ici. En s’attaquant d’une certaine manière à cette société du spectacle et aux puissants, il savait certainement qu’il aurait un retour de baton. Comme l’ont rappelés certains, ses grands films ne furent pas bien accueillis au début. S’il n’est pas à la hauteur de ceux là, il est pourtant très singulier dans la production actuelle et n’a pas livré tous ces secrets. Navet ultime pour certains, coup de génie pour d’autres, je le situe plus positivement dans les bons films qui demandent au spectateur de s’investir. Et là aussi, ce n’est plus vraiment dans l’air du temps.