Littérature - Amour, meurtre et pandémie de Qiu Xiaolong (2023)

Cette énième enquête de l’inspecteur Chen aurait pu passer inaperçu. Mais quand l’auteur dissident parle de sa ville à travers des témoignages reçus, on replonge dans la politique COVID Zero du PC chinois.

Qiu Xialong est en effet natif de Shanghai mais vit aux USA. Cela ne l’empêche pas de savoir ce qu’il se passe dans son pays d’origine et notamment ce qu’il s’y est passé durant la pandémie de SARS-CoV2 en 2020. L’enquête se situe au début de cette pandémie, quand le parti communiste chinois met en place une politique drastique de confinement, après avoir commis des erreurs lors de l’apparition du virus à Wuhan. L’inspecteur Chen vient justement de se rendre à Wuhan un peu avant et garde des liens avec un ami qui y est confiné. Il est mis sous la touche par le parti depuis quelques temps mais on vient à nouveau le chercher pour ce qui ressemble à un des meurtres en série près d’un hôpital de Shanghai. Avec son assistante Jin, il sort enfin de ce placard pour parcourir cette ville qui commence seulement à se confiner et découvrir les terribles paradoxes de cette politique qui en disant vouloir protéger, ne fait que resserrer l’étau de la surveillance.

L’inspecteur Chen est donc policier mais également poète, érudit, fan de T.S. Elliot, et traducteur à ses heures de poésie classique chinoise, ce qui est aussi une couverture. Il a une grande connaissance de l’histoire et l’auteur use de ces artifices pour donner des expressions, des anecdotes historiques, etc… On en sait un peu plus sur une culture de la surveillance qui n’a pas attendu Xi Jin Ping pour commencer, sur cette succession d’ouverture et de fermeture à l’occident ou cette manière de chasser le “négativisme” dans une surveillance de chaque instant. Garder l’unité reste le Leitmotiv de ce pays à la gigantesque population. Chen est la figure de l’inspecteur intègre dans ce monde dystopique et corrompu. Le sujet principal du livre est plus certainement le confinement tel qu’il a été vécu qu’une enquête qui prend des tournures plus que surprenantes. Ainsi l’auteur ne nous ballade pas trop dans de fausses pistes mais nous fait ressentir cette pression du parti. Les mails, les échanges par applications et par téléphone surveillés, les caméras, les espions, les micros : Tout est toujours présent sans que l’on sache comment le parti et ses sbires zélés vont les interpréter.

Il y a beaucoup de citations d’Orwell, évidemment. Pour l’auteur, ce n’est plus un roman, c’est la réalité. A travers le “Dossier Wuhan”, il relaie de manière dissimulée de vrais témoignages d’habitants. Mais le paradoxe arrive vite. Chen a besoin de témoignages pour résoudre son enquête. Il fait appel à ces même caméras de surveillance. Il fait appel aux membres du parti qui sont présents dans chaque pâté de maison, chaque districts. Il fait appel à certains passe-droits des huiles du parti pour sauver le parent d’un ou d’une ami(e). L’auteur n’interroge pas ce paradoxe mais montre aussi ceux qui ont décidé de taire certaines critiques pour vivre ou survivre dans ce monde. On rabâche l’esprit du collectif, le but commun….tout en détruisant des quartiers pour le profit de quelques uns, qui ensuite seront aussi victimes de purge lorsqu’ils prennent trop de place. L’auteur relaie aussi les critiques sur Xi Jin Ping, vu comme bien pire que ses prédécesseurs et mettant à mal la fameuse croissance chinoise par ses décisions.

Ce n’est donc pas un polar d’action mais quelque chose de plus politique et psychologique. Assez court, il se lit plutôt vite malgré ce style presque caricatural avec des citations poétiques ou historiques à chaque page. Cela peut nous paraître plus exotique mais pourtant nous oublions la progression de cette surveillance dans notre propre pays. A l’heure où j’écris ces lignes, une proposition de loi pour obliger à avoir des “backdoors” pour la police dans les messageries cryptées/chiffrées a été rejetée de justesse en France. On voit la surveillance algorithmique se développer sous couvert d’événements sportifs. Cela pourrait rapidement tomber dans de plus mauvaises mains qu’aujourd’hui. Ce livre nous en donne aussi un aperçu par cette double lecture. Ce n’est donc pas le polar du siècle mais un curieux mélange des genres qui donne une vision évidemment critique de cette terrible pandémie dont le nombre de victime en Chine n’est pas si clair. Entre les morts de la maladie et les dégats collatéraux (suicides, dépressions, meurtres, …) c’est encore moins facile à dénombrer que chez nous, avec ce culte du secret… Et puis un jour, Xi Jin Ping sera remplacé, et personne ne sait dans quelle direction ira la Chine, et son inspecteur Chen.


Ecrit le : 03/10/2025
Categorie : litterature
Tags : littérature,chine,covid19,pandémie,enquête,2020s

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