Réflexion - L'armée moins muette ?
L’armée est revenue le truc à la mode (on militarise la journée du citoyen maintenant…). On lui trouve de l’argent magique et il paraîtrait même que les volontaires ne manquent pas. Au point que la grande muette est partout.
Les campagnes de publicité de chaque arme rivalisent les unes avec les autres pour attirer le jeune en mal d’aventure ou tout simplement d’emploi. On parle de la camaraderie, traduire l’esprit de corps, qui donne l’impression d’être exceptionnel ou à part. on a l’impression d’armes modernes avec des visées infra-rouge, des hélicoptères, des drones, des avions, des navires bravant les flots…C’est Hollywood. D’ailleurs dans ce domaine, les états-uniens sont le modèle avec de nombreux films chaque année qui reçoivent le concours de l’armée pour glorifier les marines, les GI, l’US airforce…Du pur marketing comme le ferait toute entreprise qui cherche à recruter. Regardez comment Amazon, McDonalds se vendent aussi pour recruter leurs esc…employés. Comme on disait dans un film parodique que les fans reconnaîtront “Tout est super génial, Tout est cool quand tu joues dans la même équipe”
Alors l’armée profite aussi d’un paradoxe puisque depuis un peu plus de 20 ans, nous avons une armée de métier et plus de service militaire. Ce service national permettait parfois d’entraîner des troupes régulières, mais aussi de sélectionner quelques éléments motivés qui appréciaient cette opportunité. Il y avait aussi un moyen d’alimenter les réservistes. La paradoxe était aussi que l’on voyait l’écart entre le marketing et la réalité du terrain avec une armée qui a de vieux moyens de transport, de communication et des armes plus ou moins rafistolées, bien loin des jolis défilés du 14 juillet à Paris. Pour ma part, je me souviens d’un colonel tout fier d’avoir motorisé son régiment avec de vieux AMX 10 (pas le RC, le vrai, le premier petit transport de troupe blindé) qui avaient plusieurs campagnes dans les chenilles et tombaient régulièrement en panne en manœuvres. On avait du vieux moteur Renault, des transports de troupes de plus de 40 ans, des cars à l’avenant et des systèmes anti-chars de plus de 30 ans. Et encore, c’était pour les engagés quand les appelés avaient le modèle des années 50. Je me souviens même d’une présentation des derniers modèles prévus dans…10 ans, ceux-là même que l’on voyait dans pubs de l’époque. Je n’en ai pas vu beaucoup le 14 juillet.
Récemment, le fils d’un collègue s’est engagé. C’était son rêve et si j’avais prévenu que la réalité était bien différente, on lui a fait miroiter beaucoup de choses pour le pousser à signer. Ça m’a rappelé un engagé de l’époque de mon service que j’avais croisé à l’infirmerie et qui était déçu. Car là aussi il s’est très vite retrouvé à l’infirmerie car il n’a pas supporté de courir en short T-Shirt à 5h du matin en hiver. C’est fragile le jeune de nos jours, hein ?! (un millier d’engagés déserterait chaque année en moyenne en France) Je me souviens des appels sur la place d’arme de la garnison en Alsace dans la même tenue avant de courir dans les vignes. On avait envie de tuer le “pitaine” qui tardait à venir, le temps de … se changer lui aussi pour nous accompagner. Oh ce n’était pas grand chose non plus pour une classe 10, c’est à dire des appelés d’Octobre qui faisaient les classes en automne. Les classes 12 ont plus morflé. Par contre, les promesses non tenues pour les engagés, c’est une vieille tradition car il y a de l’écrémage, de la sélection non dite justement par ces exercices. On veut des durs au mal, des gens prêts à …euh non, faut pas le dire qu’on meurt de nos jours. Enfin pas dans les pubs. Mais de toute façon, ils n’arrivent pas tant que ça à recruter…ou à garder leurs engagés (+70% de non renouvellement selon le dernier numéro de la Revue dessinée)
Non parce que dans le régiment, on te le fait bien passer le message du sacrifice avec la crypte des anciens, ceux qui ont donné la gloire à un régiment décimé en 1915, ou ailleurs. Tellement bien que mon sergent, un brave gars venu de la Martinique, perdra la vie 6 ans plus tard en Côte d’Ivoire. Le ministère tient bien un site pour cela, In Memoriam qui s’arrête curieusement en 1968. Attendez, c’est quand le dernier conflit ? Dans le début des années 60 en Afrique contre l’indépendance de nos colonies. Et je ne parle même pas des essais nucléaires où l’on envoya quelques bidasses se faire irradier gentiment dans le désert Algérien (en même temps que quelques bédouins) ou au large de Mururoa. Mais ce n’est plus un temps de guerre comme en Ukraine ou à Gaza où les morts se comptent chaque jour par dizaines ou centaines. La France n’est plus en guerre pour l’instant mais les dirigeants qui parlent de guerre tout le temps ne savent même pas ce que c’est, encore moins l’armée puisqu’ils n’ont pas été sous les drapeaux.
J’ai aussi souvenir d’une manœuvre avec des réservistes : Une belle bande de pied nickelés que je n’aurais pas voulu avoir comme supérieurs en temps de guerre. A ces moments je repensais à la débâcle de 40 autant qu’à mes ancêtres, un qui avait été découpé par une mitrailleuse pour un bosquet en 1915 quand d’autres étaient artilleurs dans un conflit précédent ou dans…ces colonies où les troupes commettaient les pires exactions. Leur mémoire s’est perdu au fil des générations mais je ne tiens pas cette armée très bavarde pour ce qu’elle veut en haute estime aujourd’hui. Alors quand j’entends qu’il y a des jeunes qui veulent s’engager pour aller en Ukraine, je rigole doucement. Ce n’est pas Medal of Honor ou Call of Duty où tu revis gentiment après avoir pris quelques balles. Aujourd’hui, on ne va pas trop communiquer sur les culs-de-jatte qui se sont fait repérés par un drone radio guidé à quelques kilomètre de là. Il y en a pourtant de tels reportages parfois, glorifiant le sacrifice, sans s’appesantir sur des familles détruites et surtout ce que c’est que la guerre dans des tranchées qui rappellent cruellement ce qui s’est passé 100 ans avant.
J’en vois déblatérer à longueur de journée sur une chaîne d’information continue qui s’est spécialisé sur cela avec des anciens généraux, des colonels de réserve qui montrent de jolies cartes, affinent leur théorie, etc. Oui c’est cela aussi, jouer avec des pions et des unités que l’on sacrifie pour fixer une offensive ennemie. J’ai été joueur de wargame aussi, à différentes époques sans oublier ce qu’il se passait sur le terrain et pour comprendre justement l’écart colossal entre l’état major et le troufion. J’entends quelques collègues s’alarmer de la menace russe, dire qu’il faut se préparer. Oui, à quoi? A un bombardement de missile hypersoniques ? A des chars russes sur les Champs-Élysées ? A des drones sur la tour Eiffel ? Je vous laisse deviner ce qui est le plus probable quand il y aurait au minimum 3 ou 4 pays à survoler/traverser avec divers systèmes de défense. L’armée d’aujourd’hui est de plus en plus fantasmée à coup de jeux et marketing mais aussi d’images de civils massacrés dans les bombardements aveugles. Et c’est la même armée qui garde contre vents et marées les secrets des massacres de Thiaroye, les utilisations d’armes chimiques en Algérie, au Vietnam au mépris de toutes les conventions signées le petit doigt sur la couture.
L’armée reste encore la grande muette à la fois dans la situation réelle de notre armement, souvent désuet et dépassé, que dans ses actions et ses promesses non tenues. Elle cache très bien le racisme et la misogynie … (j’ai quelques anecdotes sur le sujet, argh..)L’argent magique qu’on trouve aujourd’hui quand il n’existe jamais pour les hopitaux et les écoles (même militaires…), servira parfois plus pour des campagnes inutiles et lointaines, pour du marketing, que pour préparer ou même surtout éviter des conflits. On parle peu d’ailleurs des casques bleus français morts pour tenter d’éviter l’escalade de conflits. Un petit mémorial caché dans un cimetière communal pour rendre hommage à 3500 “soldats de la paix” existe en Loire atlantique. C’est tout. Les cérémonies pour célébrer 14-18 ont perdu leur impact et le “plus jamais ça” semble bien oublié. Une autre guerre devrait nous occuper, celle contre notre dégradation du climat mais là encore, c’est le grande muette.