Geopolitiko 6 - Les Pays Baltes
On pense souvent que Lettonie, Estonie et Lituanie pourraient être les prochaines cibles de Poutine. Trois pays différents qu’on associe quasi systématiquement mais à l’histoire tourmentée. Et en effet, il y a de forts indices de danger !
Tout le monde ou presque avait sous-estimé Poutine sur le Donbas et l’Ukraine et pourtant il a presque réussi son pari de grignoter toujours un peu plus de territoires pour restaurer la Grande Russie de ses rêves. L’arrivée de Trump n’a fait que précipiter les choses et de toute façon, l’Europe n’est ni prête, ni autonome. Ce qui rend l’hypothèse balte à nouveau probable, malgré de fortes différences sur le “besoin” qu’aurait la Russie de reprendre ce territoire. Bien plus que la Moldavie (puisque l’Ukraine la sépare de la Russie) ou les républiques du Caucase et d’Asie centrale, en grande partie encore satellites de Moscou.
Un peu de géographie
pour bien comprendre, il faut situer ces trois pays cousins. Ils se trouvent entre la Russie, la Pologne, la Biélorussie et l’enclave russe de Kaliningrad, le tout bordé par la mer baltique qui donne sur les pays scandinave et l’Allemagne.
Lorsque les alliés se sont partagé l’Europe à Yalta, le sujet de l’enclave russe de Kaliningrad n’était pas si génant que cela car alors, la Russie avait conquis tout l’Est de l’Europe ou n’était pas loin de la faire. Les Pays baltes sont alors des “républiques socialistes soviétiques” intégrées dans l’Union…l’URSS. Et il a fallu attendre la chute de cet empire russe pour que les pays baltes retrouvent l’indépendance, en 1990 pour la Lituanie et l’Estonie, en 1991 pour la Lettonie. Mais pour cette enclave ou plutôt exclave de Kaliningrad, ex-Königsberg, c’est plus compliqué. Ce territoire à haute valeur historique, est aujourd’hui à haute valeur géo-stratégique avec la base navale la plus avancée à l’ouest de la Russie, des armes nucléaires en batterie. Une anomalie historique comme le sont ces pays baltes pourtant si différents les uns des autres mais dont le destin a été lié par les grandes puissance à plusieurs reprises. Kaliningrad reprend plus ou moins les contours de ce qui s’appelait la Prusse-Orientale, lieu de pouvoir fort pour l’ancêtre de l’Allemagne. C’était l’époque où la Prusse recouvrait une partie de la Pologne actuelle et le nord de toute l’Allemagne, avant que soit constituée la confédération allemande par un certain Otto Von Bismark. Voilà qui complexifie d’autant le dessin des frontières à travers les ages. Évidemment, les trois pays coupent l’accès à la mer de la Russie sur la Baltique entre Kaliningrad et Saint-Petersbourg. Et ce sont aussi de petits pays en taille, surtout comparés à l’Ukraine ou même au seul Donbas.
Un peu d’histoire
Les origines de ces trois pays plongent dans les dominations “vikings”. On y retrouve aussi des peuples autochtones proches des finnois, peuples présents dans la Russie actuelle, la Finlande et la Suède. Ces territoires côtiers ont subit les dominations polonaises, danoises, russes sans discontinuer. Il n’eurent jamais d’indépendance réelle durant ces siècles, toujours vassalisés par ces royaumes. Pourtant, la culture et la langue de ces trois pays a su se préserver. L’estonien est considéré comme toujours proche du finnois et classé dans langues finno-ougriennes. Le lituanien est proche des langues indo-européennes, comme le letton. Ils ont subi les influences du prussien et sont proches au point d’être presque des dialectes. Les sentiments nationaux de ces trois pays se sont ainsi formés sous les dernières influences russes et prussiennes durant lesquelles les langues étaient souvent interdites de pratique. Aussi, au sortir de la première guerre mondiale, après la chute de l’Allemagne, donc de la Prusse orientale et de la Russie, les trois pays obtiennent chacun leur indépendance, notamment par des guerres face à une armée rouge encore faible. De 1920 à 1939, ces trois pays ont existé de manière indépendante, non sans frictions avec les voisins Polonais, Russes et Allemands, des populations de ces trois origines restant présentes. L’alliance éphémère de Staline et Hitler fait tomber ces trois pays à nouveau dans la Russie…puis coté allemand pendant l’ouverture du front de l’est entre Russes et Allemands. Et évidemment à Yalta, Staline prit soin de dessiner la frontière au delà de ces trois pays et jusqu’à la Prusse orientale, si symbolique. La Pologne n’obtenait qu’une indépendance de façade, évidemment. Pendant l’URSS, les trois pays étaient donc trois républiques socialistes soviétiques avec des frontières internes. On connaît aussi le destin de l’Ukraine dans ce régime…Mais, ces trois pays sont membres de l’OTAN, ce qui aurait pu être une garantie il y a quelques années.
Trois pays si différents
On a vu que l’un des trois se distingue par sa langue. Mais si les trois ont des accès à la mer qui peuvent intéresser les russes, ils n’ont pas les mêmes ressources économiques. De grandes transformations se sont opérées durant 30 ans, même si ce ne fut pas sans heurts avec les crises économiques de 2008 ou 2020. Pour l’Estonie, la plus au nord, il y a des ressources pétrolières. Mais il y a également de l’Uranium…et souvent près de l’Uranium, on trouve ces métaux rares qui constituent les fameuses terres rares dont sont si friands états-uniens et chinois…et les russes. C’est aussi un territoire encore tourné sur l’agriculture pour l’exportation, comparé à ses voisins. En allant plus au sud, la Lettonie a des ressources en calcaire, en tourbe et en bois. Cela en fait un pays important pour les constructions ou l’agriculture des pays environnant. Elle a aussi des exportations importantes en machines électriques. La Lituanie a aussi une économie tournée vers les sciences, vers les réseaux et services, en plus de ressources en bois et en pétrole et dérivés.
Si l’on regarde les ports des trois pays, on retrouve surtout du trafic sur Klaipeda (Lituanie) et Riga (Lettonie), Ventspills (Lettonie) restant un port moyen en Europe. L’Estonie n’a que Sillamae comme port important, loin derrière ses voisins baltes et surtout subissant la concurrence des ports russes et Finlandais voisins. En terme de PIB par habitant, l’Estonie est au 43ème rang mondial (chiffres 2022), quand la Lituanie est 42ème et la Lettonie est au 51ème rang. Cela place les deux premiers pays parmi les leaders des anciens pays de l’est, la Lettonie étant plus comparable à la Grèce ou la Slovaquie. Les indices de développement humains sont plutôt élevés et les rapprochent des pays occidentaux ou scandinaves. Mais un autre les points les distinguent nettement dans le contexte actuel : Les dépenses militaires. Elles restent moyenne pour l’Estonie (1,5Milliards de $ selon Globalfirepower soit moins de 4% du PIB), tandis que la Lituanie (2,4Milliards soit près de 5% du PIB) a augmenté ses importations d’armes en provenance des USA, et la Lettonie (1,1Milliards soit près de 3,6% du PIB) a diminué la part des armes provenant des USA. Cela reste en % plus élevé que la France (à peine 2% avec 55Milliards) mais très loin dans le classement des budgets militaires dans le monde (66 à 84ème place), quand la Russie est 3ème avec 126Milliards de dollars estimés (54 Milliards pour l’Ukraine, par comparaison). Les cartes peuvent être largement rebattue dans les prochains mois.
Et Poutine dans tout ça ?
Il convient de ne pas confondre Poutine et Trump, car s’ils aiment le pouvoir et l’argent, ils ne sont pas guidés par les mêmes intérêts. Poutine veut laisser une trace dans l’histoire et restaurer l’empire russe, essentiellement dans la vision Stalinienne des choses. Aussi, il faut avoir en mémoire cette fameuse carte de l’URSS qui comprenait nos trois pays baltes. On aura aussi la même problématique avec la Moldavie, la Biélorussie étant de fait liée à Moscou, en ce qui concerne l’Europe. Car il y a aussi un aspect revanchard par rapport à l’Europe qui l’aurait rejeté. Il y a aussi une sorte de revanche culturelle face à une Europe qu’il voit comme décadente dans ses valeurs. Autant la Finlande peut être épargnée dans cette vision historique (et il faut se souvenir de la lutte des finnois contre l’armée rouge en 39-40 en Carélie qui épuisa l’armée rouge), autant les trois pays cités sont une cible de choix. Leurs territoires sont moins grands et les marines étrangères moins aptes à intervenir que l’on pourrait le penser. Reste quand même la domination aérienne qui est en pleine mutation depuis la guerre en Ukraine. Laissons ces aspects là aux spécialistes.
De manière logique, en sortant d’un conflit, on ne voit pas la Russie replonger dans un autre avec les pertes conséquentes en terme de troupes, de matériel et de logistique. La Biélorussie serait encore plus en première ligne et pas forcément du meilleur soutien. Mais il ne faut pas être logique et le timing pourrait justement être parfait avec un Trump qui pourrait encore monnayer son soutien en ressources énergétiques, et une Europe toujours pas prête ou unie. Reste évidemment à trouver la fameuse excuse comme les “nazis” ukrainiens que nous avait sorti Poutine. Il a l’imagination féconde pour envahir. L’importance de l’économie de ces trois pays ne saute pas forcément aux yeux vis à vis de pays tiers, comme cela avait été le cas pour le blé ukrainien. Si je citais la tourbe, c’est parce que c’est un petit chaînon de la chaîne agro-alimentaire, comme le bois l’est pour le secteur de la construction et de l’ameublement largement en tension au niveau mondial.
L’épée de Damoclès qui plane depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir, les pays baltes en sont bien conscient. Et si cela pouvait faire sourire dans les années 2000, il n’en est plus de même dans un contexte de nationalismes exacerbés, de montée des budgets militaires, de crises financières chez les leaders européens. Est-ce que l’Europe et les proches voisins pourraient ou voudraient intervenir dans un conflit précipité ? Le fait qu’ils soient membres de l’OTAN et de l’union européenne n’est plus une garantie si sûre. Trump a des visées similaires à Poutine sur des territoires et pourrait s’en servir comme une sorte d’excuse pour ne rien soutenir comme action. L’heure tourne donc pour ces trois pays et pour une Europe qui pense déjà à 2028, date des nouvelles élections US.