BD - Urban de Ricci et Brunschwig (2011-2023)
C’est un peu l’histoire d’un scénario maudit qui mit 40 ans à être édité. Un récit de science-fiction qui ne trouva pas son histoire puis sa forme.
L’histoire justement en rappelle beaucoup d’autres, forcément, mais garde sa singularité : “Dans un futur pas si lointain, nous sommes conviés à Monplaisir, le dernier lieu de loisir offert à une humanité en train de se reconstruire. Tout y fait l’objet d’un jeu… même la mort.” Luc Brunswig était bien jeune lorsqu’il écrivit les premières lignes de son récit dans les années 80. Il était fan de Metal Hurlant, de Moebius, …et de heavy metal aussi d’ailleurs. Il fallait trouver un personnage central, développer l’univers, trouver le nom qui sera finalement Monplaisir. Et donc l’histoire commence ainsi : “Dans un futur pas si lointain, sur 300 000 hectares, avec deux niveaux d’accès et près de 18 millions d’entrées par jour, Monplaisir est le plus grand parc d’attraction de la galaxie, ainsi que la ville de tous les vices ! Un monde où l’humanité exploitée peut profiter, deux semaines par an, de multiples plaisirs sans aucune limite. Les résidents y croisent aussi bien les visiteurs en mal de divertissement, que des malfrats en tous genres. Pourtant, la cité est extrêmement contrôlée : système d’intelligence artificielle, nommée A.L.I.C.E., robots nettoyeurs, caméras vidéo de surveillance avec retransmission sur écrans géants… À cela s’ajoute la brigade des Urban Interceptors, qui combat les criminels et autres meurtriers. Zachary Buzz a quitté sa campagne et ferme natales, pour intégrer cette brigade d’élite, extrêmement convoitée.”
Le héros de cette histoire en 5 tomes (réunis dans une lourde intégrale) est donc un petit gars de la campagne, Zachary Buzz, un gros costaud un peu naïf mais attachant. Il est fan d’un héros de dessin animé qui est une sorte d’ami imaginaire, un justicier sombre et implacable. Mais en arrivant à Monplaisir, il déchante, voyant qu’il n’est qu’un jouet de distraction pour la foule dans cette sorte de Las Vegas, ou plutôt de Sin City (Brunschwig l’avait baptisée ainsi à cause de Frank Miller…). On retrouve en effet quelques thèmes chers à Miller mais aussi à Alan Moore au niveau social, lutte des classes. Mais il y a aussi toute l’aspect robotique, cette IA (avant que ça soit à la mode…) qui semble tout voir, tout savoir au profit d’un dictateur/dirigeant mégalo, Springy Fool. On a donc une sorte de Dystopie où la classe ouvrière vient dépenser son fric dûrement gagné dans des mines d’autres planètes dans cette sorte de ville close du plaisir. Plusieurs fils rouges sont à suivre comme ce tueur à gage à attraper, le sort de la liftière dont le héros tombe amoureux, le secret derrière la figure de Springy Fool, et ses acolytes peu reluisants, ainsi que des meurtres de femmes renvoyés sur leur planètes d’origine.
Brunschwig a mis du temps à trouver le dessinateur pour mettre en image ce qu’il avait imaginé. Il y a eu beaucoup de projets avortés, de réécriture comme il l’explique dans la post-face de l’intégrale. On voit énormément de clin d’œil à ses maîtres, ses inspirations qui vont de Moebius à Gotlib, de Gimenez à Miller. Et c’est vrai que le résultat a du cachet, sous l’encre et les pinceaux de Roberto Ricci. On n’est pas dans un style trop passéiste ni trop palette graphique. L’univers est graphiquement foisonnant et les scènes d’action ne détonnent pas. On a même une impression de comics à l’américaine, renforcée par ce héros récurent dont le héros est fan…mais pas seulement. Le scénario ne dévoile que peu à peu sa complexité, surtout à partir du troisième tome. Le temps a finalement bien aidé à bâtir un univers cohérent dans ce Monplaisir. Car chaque détail prend peu à peu son importance pour amener à un dénouement qu’on attendait moins positif dans cette noirceur ambiante. Une belle série qui est une synthèse de plusieurs styles, plusieurs époques et plusieurs thèmes sans en trahir aucun.